La maison de Lucienne Lazon
En complément de l’article présentant l’histoire du Vieux-Moulin, voici celle bien plus proche de nous, de l’exploitation singulière d’une des parcelles cédées par M. Paccou durant les années soixante afin de financer les investissements au profit de ses établissements.
La parcelle concernée englobe les actuelles sections 3, 521, 522 et 5 ; elle fut acquise par M. et Mme Pierre Soliveau vers 1960. Elle comprenait un terrain irrégulier, vallonné, mi-bois mi-prairie choisi en raison de l’intérêt qu’éprouvait le couple pour la nature et la flore mais aussi de la situation champêtre que le site préservait en bordure de la ville.
Ci-dessus : On aperçoit la toute nouvelle propriété à proximité du parc du Vieux-Moulin dans un cadre campagnard. Puis apparaît l’urbanisation progressive du quartier.
Outre cet attrait pour la nature, le couple éprouvait une appétence pour les arts de la décoration. Le mari, tapissier décorateur issu d’une famille rambolitaine1, avait épousé Lucienne Lazon qui exerça la profession de créatrice en joaillerie à Paris.
1.Clément Michaux, fils d’un boulanger de Neauphle-le-Château, s’installe à Rambouillet comme ébéniste, tapissier.
Sa fille Charlotte épouse le 24 aout 1897 un compagnon de son père, Georges Soliveau, qui poursuit son activité à la mort de son beau-père. Ils ont deux enfants Pierre et André, qui, à leur tour exercent le métier d’ébéniste -tapissier -décorateur.
Le 6 mai 35, Pierre épouse Lucienne Marie Elmire LAZON, créatrice en joaillerie:
Le couple avait sollicité l’architecte Rémy Le Caisne afin de construire une maison conforme à leurs penchants artistiques mais sans perdre ou dissimuler le moindre des charmes agrestes du site retenu.
Architecte parisien ayant rejoint le groupe Espace d’André Bloc dont le but était de porter les idées du constructivisme et néo-plasticisme dans l’urbanisme et le domaine social. Victor Vasarely a également compté parmi les adhérents du groupe qui considérait l’architecture, la peinture, la sculpture et l’art comme des phénomènes sociaux. Le Caisne bâtit notamment plusieurs immeubles parisiens et l’Eglise Saint-Louis à Besançon.
L’architecte conçut ainsi une maison ancrée au sol, ne comportant en réalité point d’étages mais le jeu de quatre niveaux de hauteurs différentes alors que le plafond de sapin blanc du Nord s’inscrit intégralement sous toute la surface du toit, se prolongeant même à l’extérieur sous son décrochement. Ce toit, légèrement creusé en V afin que les descentes d’eau de pluie se fassent par la pile centrale en pierres, est semé de cheminées. La conséquence de ces différents niveaux est la disposition irrégulière des fenêtres d’une variété agréable sur les murs extérieurs, là où la vue méritait de participer au décor. L’entrelacs de minéral et de végétal est conservé pour la terrasse extérieure faite de galets agglomérés et de meules de moulin pour le blé ou le cacao au centre desquelles poussaient des herbes folles.
Strictement moderne dans sa conception architecturale et dans l’agencement intérieur des volumes, la demeure s’inscrivait de façon vivante dans le paysage tant par son implantation que par sa solide rusticité.
Le jardin d’hiver en façade et l’ordonnance de celui d’extérieur avec verger et potager, affirmaient l’importance privilégiée qu’accordaient les propriétaires aux fleurs et aux plantes.
La maîtresse de maison avait aussi usé de ses talents pour apporter un grand soin à la décoration: des percales « au muguet » de Paule Marrot, artiste décorateur, distinguée très jeune pour la qualité de ses gravures (1902-1987), aux pierres apparentes de Prasville, jusqu’aux terres cuites d’Apt, carreaux émaillés du céramiste Jacques Lenoble et meubles et objets d’André Sol, pseudonyme pour Soliveau, frère de Pierre. et de Georges Jouve, céramiste français considéré comme l’un des plus grands créateurs de céramiques du XXe siècle (1910-1964).
La propriété, modèle de rusticité et de création artistique, fut progressivement rattrapée par la ville. Il faut dire qu’elle fut à son tour divisée en plusieurs lots par Mme Lazon elle-même : le premier d’entre eux dès 1980 au bénéfice d’un fameux pâtissier de Rambouillet, pour aboutir l’an dernier à la situation actuelle. La maison est relativement préservée mais l’intérieur n’a pas subsisté; le quartier a quant à lui, perdu son aspect agreste d’autrefois même s’il demeure verdoyant et a su conserver son calme.
Bien que modeste et volontairement rustique, l’architecture de cette maison voulue par les époux Soliveau a apporté une touche d’originalité contemporaine parmi les édifices singuliers de Rambouillet qui souvent, marient cette volonté caractéristique d’intégrer un bâti insolite à la nature.
Nous avons cité le nom des propriétaires : monsieur et madame Soliveau, mais c’est sous son nom de jeune fille que Lucienne Lazon a connu la notoriété.
Orfèvre-joaillière de grand talent, elle travaille notamment sur les bijoux du clergé français. Mais c’est une exposition au musée des Arts décoratifs en avril 1947 qui l’impose dans le monde fermé du haut luxe français.
Le journal Le Monde vante ses œuvres « qui commandent le respect et témoignent des ressources fécondes du libre travail individuel. »
Mais c’est la Palme d’or du festival de Cannes qui est sa création la plus connue.
Philippe Coste
juin 2020