Le chemin Jean Racine

En cette période de (chaudes) vacances, le chemin Jean Racine me semblait un bon sujet, car il nous invite à une petite randonnée culturelle agréable de 7km entre Port-Royal-des-Champs et Chevreuse.

Quel rapport existe-t-il entre ce chemin et notre grand dramaturge ? Jean Racine aurait-il vécu dans cette région ? Posons la question à ChatGpt, ce fleuron de l’intelligence artificielle sur laquelle chacun se doit aujourd’hui d’exprimer une opinion tranchée, en soulignant bien que l’humanité est en danger.

la réponse de ChatGpt

Je vois… C’est parfaitement clair … et tout à fait faux.
Il semble qu’il me faille attendre encore un peu avant de sous-traiter mes articles à l’intelligence artificielle ! Dommage !

Le chemin Jean-Racine

C’est le 30 juin 1939 que le Président Albert Lebrun, accompagné de Jacqueline Thome-Patenôtre, alors épouse du ministre de l’Economie Nationale, et de nombreuses personnalités, est venu célébrer le tricentenaire de la naissance de Jean Racine en inaugurant à Chevreuse le chemin Jean-Racine.

Il s’agit d’un petit chemin de 7km, que Jean Racine a dû parcourir plusieurs fois en 1661 pour aller du château de la Madeleine, dont il surveillait les travaux, à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs où il avait été élevé et à laquelle il était resté très attaché.

Aujourd’hui balisé en bleu et blanc, ce chemin offre une randonnée agréable et facile d’environ 3h aller-retour, dans un paysage vallonné à l’ombre des grands arbres.

Depuis Port-Royal, le chemin longe le Rhodon jusqu’au moulin de Fauveau, puis oblique vers le Sud, pour traverser le carrefour du Roi-de-Rome, puis celui de la Madeleine, avant d’arriver au niveau du château qui domine Chevreuse.

Sept plaques de céramique, offertes par le Touring Club de France le jalonnent, chacune citant deux vers de Racine plus ou moins en rapport avec le paysage

Je ne décrirai pas ici le chemin en détail, car de très nombreux sites d’excursions le font déjà. Attardons-nous seulement sur la jeunesse de Jean Racine, et sur trois endroits particuliers de cette randonnée : les Petites Ecoles de Port-Royal, le carrefour du Roi-de-Rome et le château de la Madeleine.

Racine à Port-Royal

Fils d’un procureur et greffier au grenier à sel, Jean Racine est né en 1639 à La Ferté-Millon (Aisne) dans une famille de petits notables. Elle s’était dotée dès le XVIIème siècle d’armoiries sous forme de rébus : un rat et un cyne (cygne). Jean n’en conservera que le cygne, jugeant le rat peu flatteur.

Orphelin à 5 ans il est élevé par sa tante Agnès.

Les Racine sont très proches de l’abbaye de Port-Royal, que son abbesse Angélique Arnauld, suivant les préceptes de Saint-Cyran, a engagée sur la voie du rigorisme. La grand-tante de Jean, Suzanne Des Moulins, est intendante de l’abbaye de Paris. Anne Passart, sa belle-sœur, s’y est également retirée. En 1646 Agnès Racine y entre à son tour et vers 1651 Marie Des Moulins, grand-mère de Jean, s’installe elle-aussi à Port-Royal-des-Champs, comme aide à l’entretien du monastère.

On ne peut donc s’étonner que le petit Jean y soit éduqué.

Il semble qu’il soit venu à Port-Royal-des-Champs en 1646, lorsque sa tante entre en noviciat, et qu’il y soit resté deux ans avant d’aller à Paris, où les Petites Ecoles sont installées depuis 1646.

la Ferté-Millon : Jean Racine jeune

Il est à Paris durant la Fronde, et durant un affrontement il reçoit une blessure au front dont il gardera la cicatrice.

En 1653 il est mis en pension au collège de Beauvais, et revient aux Petites Ecoles en 1655. Elles ont quitté Paris en 1650, et sont maintenant dans la ferme des Granges de Port-Royal-des-Champs.

L’abbaye est alors engagée dans une querelle théologique (Jansénistes et Molinistes se divisent sur la notion de prédestination et de libre arbitre) qui prend vite une dimension politique et lui attire l’animosité du roi. Le 30 mars 1656 Mazarin décide la fermeture définitive de l’école. Les élèves sont dispersés. Jean reste malgré tout aux Granges jusqu’à la fin de l’été 1657, puis entre au collège Harcourt, à Paris, où il termine ses études.

Logé et employé par son cousin Nicolas Vitart, intendant du duc de Luynes (qui a fréquenté, lui aussi, les Petites Ecoles), il vient superviser en 1661 les travaux que celui-ci fait réaliser dans son château de la Madeleine, à Chevreuse.

le cabaret du Lys à Chevreuse (rénové depuis Racine)

Sans doute rend-il alors visite assez souvent à ses amis et parents de Port-Royal-des-Champs, empruntant le chemin qui porte aujourd’hui son nom, d’autant qu’il a écrit s’être beaucoup ennuyé durant son séjour à Chevreuse où il fréquentait trois fois par jour le cabaret du Lys !

Les Petites Ecoles

En 1626 la communauté féminine de Port-Royal quitte son abbaye des environs de Chevreuse, trop petite et située dans une zone marécageuse où sévit le paludisme pour s’installer rue Saint-Jacques à Paris. En 1637 à l’initiative de l’abbé de Saint-Cyran, des amis de l’abbaye s’installent dans une maison voisine pour éduquer des enfants. Sans doute le nom de petites écoles est-il pris pour ne pas se présenter comme un concurrent de l’Université de Paris, très jalouse de ses privilèges.

En 1639 Saint-Cyran est arrêté et l’archevêque de Paris demande la fermeture des petites écoles,   « n’étant pas convenable qu’il y eût ainsi une troupe de jeunes gens domiciliés dans les dehors d’un monastère de filles ». Maîtres et élèves viennent alors s’installer à Port-Royal-des-Champs, où les travaux d’assainissement se poursuivent.

En 1647 une partie de la communauté de Port-Royal revient occuper les locaux de Port-Royal-des-Champs, avec mère Angélique, et les petites-écoles reviennent alors à Paris, où un ami de la communauté leur offre une maison rue du Cul-de-sac Saint Dominique (actuelle impasse Royer-Collard). La réputation de l’école, et le nombre d’élèves croissent rapidement.

Leur renommée vient de la qualité de leurs maîtres, amis de Port-Royal, qui mettent au point une méthode pédagogique innovante. « Ce ne sont pas des maîtres ordinaires », écrira Jean Racine avec reconnaissance dans son Abrégé de l’histoire de Port-Royal.

le bâtiment des Petites Ecoles (partie droite)

En 1650 les adversaires des jansénistes exigent à nouveau la fermeture de l’école. Cette fois les élèves sont partagés en trois groupes : les plus jeunes au Chesnay, un second groupe au château de Troux, et d’autres enfants retournent à Port-Royal, sur le plateau des Granges, avec la création d’un bâtiment à cet usage, connu encore de nos jours sous le nom de « bâtiment des Petites Ecoles ».

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Parmi les amis de Port-Royal (appelés « amis du dehors » parce qu’ils ne sont pas admis à l’intérieur de l’abbaye), des hommes qui souhaitent se retirer du monde temporairement séjournent à proximité de l’abbaye. Ce sont les Solitaires de Port-Royal. Ils méditent, écrivent, poursuivent des travaux personnels. Certains enseignent aux enfants…

Parmi eux l’humaniste Pierre Nicole, Antoine Le Maistre, Blaise Pascal qui invente une nouvelle méthode pour apprendre à lire aux enfants, Claude Lancelot et Antoine Arnauld qui écrivent une Grammaire de Port-Royal…

Pour la première fois, l’enseignement est donné en français, et non plus en latin, comme dans toutes les écoles, et notamment celles des Jésuites.

Accessoirement : ce serait ici que la plume métallique remplace pour la première fois la plume d’oie !

L’école donne de l’importance à la culture hellénique dont l’influence se fera sentir dans l’oeuvre de Racine. Celui-ci maîtrisera ainsi le français, le latin, l’italien, l’espagnol et le grec.

La discipline est stricte, mais les châtiments corporels sont bannis. Un maître prend en charge de jour comme de nuit, un petit groupe de six élèves. Il lui dispense une éducation complète : il s’agit de cultiver l’esprit (le jugement) et la volonté de l’enfant, en même temps que de sensibiliser son âme.

Le 6 mars 1656 le roi décrète la dispersion des Solitaires qui soutiennent le jansénisme contre la volonté royale, et les petites écoles sont définitivement fermées. En octobre 1709 les religieuses de l’abbaye seront à leur tour expulsées, et les bâtiments rasés l’année suivante.

Le Carrefour du Roi-de-Rome

A cet endroit du chemin de Jean Racine, nous quittons son époque, et faisons un saut de 150 ans dans l’histoire.

Le 29 mars 1814 l’impératrice Marie-Louise quitte les Tuileries avec son fils. Un long cortège de voitures aux armes impériales emportent le Trésor, les diamants de la Couronne, la garde-robe de l’impératrice et de son fils…tout ce qui peut être utile dans un voyage dont on ne connaît ni la direction, ni la durée.
L’empereur semble vaincu, mais il se bat toujours, et peut très bien retourner une fois encore la situation à son avantage !

Le convoi arrive à Rambouillet. C’est pour son fils, l’Aiglon, que l’empereur a fait transformer le palais du gouvernement du comte d’Angiviller en « palais du Roi-de-Rome », mais le palais n’est pas encore habitable, et c’est donc au château de Rambouillet que la troupe s’entasse.

Marie-Louise veut rejoindre Napoléon, mais il serait en pleine bataille. Peut-être du côté de Troyes ? Les coalisés approchent de Paris, et il faut mettre à l’abri le Roi de Rome.
Rambouillet n’étant pas assez sûr, l’impératrice part se réfugier à Blois.

Le 13 avril elle est de retour à Rambouillet, après avoir erré en vain entre Blois et Orléans sans réussir à joindre l’Empereur dont le Sénat a voté la destitution le 3 avril.
Le château de Rambouillet est aux mains des coalisés : les cosaques russes l’ont occupé le 7 avril. Le 13 ce sont des chasseurs de Livonie qui accueillent celle qui n’est plus que l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche et son fils.

Le 16, l’empereur François II vient à Rambouillet rencontrer sa fille, et son petit-fils qu’il n’a encore jamais vu. Avec son ministre Metternich, ils réussissent à convaincre Marie-Louise d’abandonner son mari pour se réfugier à Vienne.

C’est donc seul que l’empereur s’embarquera pour l’ile d’Elbe, deux jours plus tard.

Et c’est au carrefour du Roi-de-Rome, sur le chemin qui deviendra le chemin Jean Racine qu’une escorte autrichienne serait venue le 18 avril à la rencontre de Marie-Louise et de son fils, pour les conduire, à Vienne. Ils évitent ainsi la traversée de Paris, où, s’ils avaient été reconnus, la réaction du peuple aurait été imprévisible.

Le château de la Madeleine

Le chemin Jean-Racine arrive au Nord-Ouest du château, qui surplombe la ville de Chevreuse. C’est un château remarquable, construit entre le XIème et le XVème siècles pour résister aux attaquants et contrôler l’accès à la vallée de Chevreuse. Probablement le château-fort le mieux conservé d’Ile-de-France.

Il ne reste sans doute rien du premier château, construit par Gui 1er, seigneur de Chevreuse au XIème siècle. La tour maîtresse actuelle était probablement précédée par une tour de bois, et c’est une palissade en bois qui entourait le château.

Au XIIème siècle la pierre remplace le bois. Des douves et des pont-levis protègent les accès.
Le puits (on évoque une profondeur de 80m ) date de cette époque, cependant la margelle actuelle est du XVème ou XVIème siècle.

La première chapelle du château ayant été dédiée à Sainte-Madeleine, c’est bientôt l’ensemble du château qui prend le nom de la sainte.

En 1356, prisonnier des Anglais, le seigneur de Chevreuse Ingerger le Grand est contraint de vendre son château pour payer sa rançon. Pierre de Chevreuse l’acquiert et l’agrandit.

Sous les règnes de Charles V, Charles VI et Louis XI (XIV et XVème siècles) le château est fortifié. Un rempart et un fossé protègent également la ville.

En 1545 la baronnie de Chevreuse est élevée au rang de duché, et en 1612 à celui de duché-pairie.
Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, épouse en 1628 Marie de Rohan, veuve du duc de Luynes. En 1661 son fils, le duc Louis-Charles de Luynes entreprend des travaux dans le château dont il héritera deux ans après. Son intendant, Nicolas Vitart, en est responsable et charge son cousin Jean Racine d’aller sur place les surveiller.

Il faut souligner que les travaux entrepris au cours des siècles, et notamment ceux auxquels Jean Racine a été modestement associé, n’ont jamais porté sur le gros-oeuvre du château, qui est toujours resté dans son « jus médiéval ».

Le château appartient aujourd’hui au Conseil départemental des Yvelines et héberge le siège du parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse. Des animations médiévales ont été organisées en janvier 2023. Elles s’inscrivent dans un projet plus vaste d’ouvrir le site au public, et de développer le tourisme. La ville de Chevreuse possède d’autres atouts, que nous évoquerons ailleurs.
Et si les extérieurs du château vous sont familiers, c’est peut-être aussi parce que vous avez suivi Kaamelott, l’excellente série d’Alexandre Astier, dont plusieurs scènes ont été tournées ici.

Enfin, pour évoquer une dernière fois Jean Racine, rappelons qu’il est toujours resté proche de Port-Royal, et que, dans son testament, il a demandé à y être enterré, aux côtés de ses maîtres.

le monument funéraire de Jean Racine à Port-Royal

Après la destruction de l’abbaye, le site de Port-Royal étant devenu un lieu de pèlerinage, Louis XIV ordonne en 1711 la destruction

des cimetières. Les restes de Jean Racine sont alors transférés par ses descendants à l’église Saint-Etienne-du-Mont de Paris, où ils rejoignent ceux de Blaise Pascal.

Cependant, un monument funéraire rappelle aujourd’hui la mémoire de Jean Racine, sur les terres de l’abbaye.

Christian Rouet
juillet 2023

Cet article a 4 commentaires

  1. Olivier Dufournier

    Il existe un autre carrefour du Roi de Rome en forêt de Rambouillet, non loin de l’étang du Roi, aux portes de Poigny, lequel n’a rien à voir avec le Roi de Rome, mais aurait reçu cette appellation au XVIème siècle, en souvenir des rois de Navarre qui furent seigneurs d’Epernon ( selon Pierre de Janti, Forêt Chasse et Château de Rambouillet).

  2. Mariani

    ChatGpt n’a pas encore étudié la biographie de Jean Racine.
    Ce n’est pas une raison pour ne pas s’inquiéter car cela ne saurait tarder.

    1. christian Rouet

      « s’inquiéter » ou espérer que ce genre d’erreurs disparaisse vite ? Nous ne nous sommes jamais inquiété que l’Encyclopédie Universalis ou plus tard Wikipedia cherchent à nous fournir des réponses à toutes nos questions. Personnellement je vois plus volontiers le côté positif de l’IA que le risque qu’elle nous ferait courir (comme n’importe quel outil nouveau). Mais c’est un vaste débat que je souhaitais introduire seulement en clin d’oeil ! 🙂

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