Voulez-vous louer le château de Rambouillet ?

Jusqu’à la Révolution le domaine de Rambouillet a appartenu à des propriétaires privés : chevalier, marquis, comte, duc. Et même rois, car si la France lui appartient alors dans sa totalité, le roi respecte le droit de propriété : pour offrir Rambouillet au comte de Toulouse, Louis XIV doit l’acquérir de Fleuriau d’Armenonville, et pour en devenir propriétaire, Louis XVI doit l’acheter au duc de Penthièvre !

La Révolution, en nationalisant les biens de la noblesse, fait de Rambouillet un bien national qu’il lui appartient de gérer.

Durant trois périodes : 1791-1793, 1804-1832 et 1852-1870 le domaine fait partie de la liste civile, c’est-à-dire que sa jouissance est expressément réservée au souverain. Plus tard, de 1883 à 2006 il sera attribué (presque) de même à la Présidence de la République, avant d’être confié en 2009 au Centre des Monuments Nationaux. 

Je voudrais rappeler ici les trois périodes intermédiaires durant lesquelles, l’Etat n’arrivant pas à vendre Rambouillet, a mis le domaine en location, et évoquer ses occupants peu connus que furent les Schickler, Duchâtel, Lefort et de la Trémoille.

Il me faut toutefois commencer par un rappel de ce qu’était la liste civile du souverain.

La liste civile

Elle est instaurée dès le 7 octobre 1789 sur le modèle anglais. En mai et juin 1791, l’Assemblée Nationale prend deux décrets afin de garantir à Louis XVI les revenus nécessaires « pour assurer un train de vie convenable à la Couronne ». La liste civile comprend une dotation pécuniaire de 25 millions, ainsi que la jouissance exclusive et la totalité des revenus de plusieurs domaines : Le Louvre, Les Tuileries, l’Elysée, Versailles, Marly, Meudon, Saint-Cloud, Saint- Germain-en-Laye, Rambouillet, Compiègne, Fontainebleau, Strasbourg, Pau, Bordeaux, ainsi que des forêts, des terres et divers bâtiments plus secondaires.

Le roi supporte les frais d’entretien de toutes ces propriétés, et toutes leurs charges, à l’exception des impôts communaux : en gros 15 millions de revenus complémentaires pour 10 millions de charges.

Pour un domaine comme Rambouillet, être dans la liste civile du roi signifie que lui seul peut décider de son utilisation et des aménagements destinés à l’adapter à son bon plaisir. La ville est ainsi assurée de la présence d’un personnel d’entretien, et bénéficie des retombées économiques  des nombreux chantiers d’aménagement ou de modernisation que peut décider librement le roi. De plus, chaque séjour royal est un évènement, même si la ville n’y est pas toujours associée, et les voies de communication, routes ou voies ferrées, font nécessairement l’objet d’un entretien particulier.

Etre retiré de la liste civile est donc une catastrophe économique, en même temps qu’une perte de prestige qui ramène Rambouillet au rang des communes voisines.

La liste civile de Louis XVI disparait avec lui. Cependant elle est votée à nouveau dans les mêmes conditions au profit de Napoléon, en 1804, de Louis XVIII, en 1814,  et de Charles X en 1825.

L’établissement de la liste civile de Louis-Philippe, après la révolution de juillet 1830, fait l’objet d’âpres négociations. Finalement elle est votée le 18 mars 1832, et marque un recul important des privilèges du roi.
L’Assemblée ramène à 12 millions la dotation pécuniaire, restée fixée à 25 millions depuis Louis XVI, et sa dotation immobilière est amputée des palais de Strasbourg, de Saint-Germain-en-Laye, de Bordeaux, de Rambouillet, ainsi que de divers hôtels parisiens et de nombreuses forêts. 

En 1853, lorsque Napoléon III devient empereur, sa liste civile est rétablie au montant initial de 25 millions, et plusieurs biens, dont le domaine de Rambouillet, sont réintégrés à sa dotation immobilière.

En 1870, avec son abdication, la liste civile disparaît définitivement. Désormais c’est une partie du budget de l’Etat, votée par l’Assemblée Nationale, qui est affectée aux dépenses de la Présidence.
En outre quatre résidences lui sont réservées : le Palais de l’Elysée, l’hôtel de Marigny, le Pavillon de la Lanterne et le Fort de Brégançon. Jusqu’en 2006 il y avait également le château de Rambouillet, remplacé depuis par la Lanterne. 

La présidence a disposé également des chasses présidentielles de Rambouillet, Chambord et Marly-le-Roi jusqu’à leur abandon en 2006.

Intéressons-nous maintenant aux périodes de gestion directe par l’Etat, « hors liste civile ».

1792-1804 : entre Louis XVI et Napoléon 1er

La chute de la monarchie de Louis XVI, en 1792, a mis fin à sa liste civile. Le domaine de Rambouillet est un bien national qui ne bénéficie plus d’aucun statut privilégié. La République ne souhaite en conserver que la seule Bergerie Nationale. Une partie du parc est morcelée et vendue en même temps que le Palais du Gouvernement construit par le comte d’Angiviller.
Que faire du château, trop important pour trouver preneur ?

On envisage d’y regrouper tous les fonctionnaires et agents des administrations de la ville, mais ce projet implique trop de travaux et il est vite abandonné. Le château semble alors destiné à être démoli, comme l’avait été celui de Saint-Hubert. Déjà la statue de la Chevrière et les bas-reliefs de la Laiterie ont été transférés (d’ailleurs sans aucune formalité) à la Malmaison, demeure d’un certain général Bonaparte.

Le coup d’état du 18 brumaire sauve in extremis le château. En 1804 la liste civile de Louis XVI est réactivée au bénéfice de l’empereur Napoléon 1er, et le château de Rambouillet bénéficie aussitôt d’un budget de remise en état (il s’agira en fait d’une profonde transformation, avec la démolition de son aile Est).

1831-1852 : entre Charles X et Napoléon III

Après être resté dans la liste civile de Napoléon, puis dans celles de Louis XVIII et de Charles X, le château de Rambouillet est retiré de celle de Louis-Philippe, victime des économies que  l’Assemblée Nationale impose à la monarchie de juillet.

A nouveau il est question de le vendre, mais le domaine ne trouve pas preneur.

Il est donc proposé à la location, avec son parc et ses dépendances, et en 1834 le baron prussien Schikler, qui possède déjà des terres et forêts voisines en fermage, remporte l’adjudication, pour   9 510 francs par an. Il poursuit cette location jusqu’au 1er mai 1846.

Il semble que les Rambolitains le voient partir avec regret.

 Par ailleurs, « la forêt ayant fait retour à l’Etat, fut gouvernée par l’administration forestière, c’est–à-dire qu’on abattit les magnifiques cordons qui ombrageaient ses trois cents lieues d’avenues et qu’on ferma toutes les routes jusqu’alors ouvertes au public » (Auguste Moutie).

La forêt est mise en adjudication de façon séparée et une Société de Rambouillet se crée pour l’exploiter de février 1840 à mars 1851. Elle regroupe trente chasseurs, dont la duchesse d’Uzès, sous la présidence du marquis de Mac-Mahon.

La Société des chasses de Rambouillet – Tiré de l’ouvrage Les Hommes des Bois – Comte Rainulphe d’Osmond (1892) – Firmin-Didot (Paris) – BnF

Le 1er mai 1846, le comte Duchâtel reprend pour une durée de trois ans. le bail que le baron Schikler n’a pas renouvelé. C’est le dernier Ministre de l’Intérieur de Louis-Philippe. L’Observateur du 4 juin 1847 ironise  :  « M. Duchâtel continue d’habiter à Rambouillet. Chaque jour un fourgon, conduit en poste, porte à cette « excellence » les pièces à signer. Ce surcroît de dépenses contribuera-t-il à rétablir l’équilibre entre les recettes et les dépenses du budget ? »

A l’expiration de son bail, le 30 avril 1849, M. Duchâtel quitte Rambouillet, où il ne semble pas avoir laissé de souvenirs particuliers. Il est vrai qu’un ministre de l’intérieur est rarement populaire !

Une nouvelle fois, le domaine est mis en vente. Deux lots sont proposés :

  • « le château avec ses immenses jardins, ses pièces d’eau, la laiterie et son jardin , le tout d’une contenance de 128 hectares, et un beau pavillon avec écurie pour 25 chevaux, mise à prix 8000 francs;
  • le droit de chasse dans le grand parc d’une étendue de 960 hectares, mise à prix 2 900 francs. »

Toujours pas d’acquéreur et voici le château à nouveau promis à la destruction !

C’est le chemin de fer qui le sauve. La ligne Paris-Chartres est inaugurée le 5 juillet 1849 par le président Louis-Napoléon Bonaparte.
Les Parisiens découvrent les plaisirs du weekend bucolique et le « train du plaisir » Paris-Rambouillet ne désemplit pas.

Le château est alors proposé à nouveau à la location, et c’est un entrepreneur de spectacles, M. Lefort, qui s’en porte adjudicataire en 1850 pour exploiter ce tourisme naissant, avec un professionnel M. Godillot.

Le château est transformé en restaurant, avec spécialités de gibier et de poisson. Un cabaret et une salle de danse accueillent les fêtards.  Pour 1 franc on visite les étages du château, et la tour François 1er. Un cercle de Paris loue une partie de l’étage pour organiser un Salon d’été. On navigue sur les canaux, avec les gondoles qui servaient jadis aux invités du roi. Des manèges sont dressés au pied du château.

L’analyse de l’eau d’une source du parc, dite « fontaine Choquet », révèle une qualité d’eau minérale ferrugineuse proche de celle de Spa. Lefort décide donc de proposer des cures dont la saison irait de mai à octobre, et qui seraient accompagnées de nombreuses fêtes champêtres.

Pour l’époque Lefort est un visionnaire aussi éclairé que le sera Disney avec ses parcs, et il connaît un temps le même succès. Mais la foule du weekend ne suffit pas à rentabiliser son entreprise, et le public se lasse vite. Lefort fait faillite et, en 1852, le château se retrouve inoccupé.

Cette activité de loisirs a été fort décriée : ouvrir ainsi aux plaisirs du peuple un château historique où sont passés tant de rois de France !
Le Guide Paulin des environs de Paris n’est pas aussi négatif dans son édition de 1855 et il est sûr en tous cas que les auberges de Rambouillet ont largement profité de ses retombées !

guide Paulin édition 1855

Faute de nouveau locataire, le château de Rambouillet est affecté par décret du 28 mars 1852 « à l’établissement d’une maison d’éducation destinée  aux filles ou orphelines des familles sont les chefs auraient obtenu la médaille militaire ».

Voici un bien noble projet, mais qui ne fait l’affaire de la ville, ni en termes de retombées économiques, ni en image de marque !

Le Conseil d’Arrondissement tente de s’y opposer, sans grand espoir.

29 août 1852, Concorde de Seine-et-Oise

Heureusement, en devenant empereur, le président Bonaparte bénéficie à son tour des prérogatives d’une liste civile, et celle-ci retrouve son niveau le plus élevé.
Rambouillet y est réintégré, et ce projet de maison d’éducation est ainsi enterré pour la grande satisfaction de la ville.
Les baux en cours, pour le domaine comme pour les chasses sont aussitôt résiliés, les locataires renonçant à toute indemnisation. Dès décembre 1852 la Vénerie impériale est rétablie.

Et depuis 1870 …

Avec l’abdication de l’empereur et l’avènement de la 3ème république, le concept de liste civile disparaît définitivement. Rambouillet se retrouve vacant et on lui cherche à nouveau des locataires.

Le 23 novembre 1871 les chasses de Rambouillet sont adjugées. Le duc de la Trémoille loue le grand-parc et le château pour y organiser des chasses et de grandes réceptions. Au préalable il lui faut remettre en état le domaine, qui a terriblement souffert de l’occupation prussienne et du massacre inconsidéré du gibier.
Les plus hautes personnalités d’Europe sont accueillies à Rambouillet et les journaux se font l’écho de manifestations prestigieuses. Pour la première venue du Prince de Galles, le 18 octobre 1874, 1250 pièces de gibier sont abattues !
Le président de la république chasse à Marly, mais il est souvent l’hôte de Rambouillet, comme nombre de ses ministres.

En mai 1883 le duc de la Trémoille propose de renouveler sa location, et on dit qu’il aurait même proposé d’en tripler le loyer à 30 000 francs. Mais le gouvernement choisit de le conserver pour y organiser lui-même des chasses présidentielles sous son contrôle et à son seul profit.

La Patrie du 27 juillet 1884 – Gallica

La chasse reste alors une occasion privilégiée de se rencontrer entre « membres de l’élite », en mêlant adroitement relations publiques, négociations discrètes et plaisir. Des rois, des grands-ducs de Russie, des ambassadeurs sont les hôtes de la République à Rambouillet. Je reviendrai ailleurs sur l’organisation de ces chasses. En 1895, Félix Faure a déjà été plus loin, en faisant du château un lieu de villégiature estivale. Tous les présidents qui lui succèdent viendront (plus ou moins souvent) à Rambouillet, jusqu’à   M. Sarkozy qui lui préfèrera le pavillon de la Lanterne, dans le parc de Versailles, plus proche de Paris, et plus simple à protéger.

Paris-Midi du 7 septembre 1911

Depuis 2009, la gestion du château est confiée au Centre des Monuments Nationaux.

Vous souhaitez le louer ? Cela reste possible, par exemple pour le tournage d’un film, ou l’organisation d’un événement jugé compatible avec l’image du domaine de Rambouillet.
Une nouvelle Direction travaille avec succès à faire mieux connaître ce domaine resté pendant des siècles interdit au public. Le château a accueilli 65 500 visiteurs en 2022, soit 40% de plus que l’an passé.

Christian Rouet
janvier 2023

 PS : on parle beaucoup d’IA (intelligence artificielle) en ce début d’année.
En se connectant sur le site de chatgpt il est possible d’engager de véritables conversations, sur n’importe quel sujet, avec la machine.
A titre d’exemple voici le dialogue que j’ai mené, en relations directe avec le sujet ci-dessus.
A lire aujourd’hui, en étant déjà « bluffé » par le résultat… A relire dans quelques mois pour réaliser les progrès spectaculaires que cette technique va connaître.

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