L'orage de grêle du 13 juillet 1788
Pour de nombreux historiens, les conditions météorologiques ont joué un rôle déterminant dans le déclenchement de la Révolution française.
En 1788, durant un été de grande sécheresse que suivra un hiver glacial, un orage de grêle d’une violence terrible traverse la France, le 13 juillet, dévastant les récoltes.
A la date anniversaire de cet « orage de fin du monde », le mécontentement du peuple explose et les barrières d’octroi de Paris sont brulées. Quelques jours après la Bastille est prise …
Nous revenons ici sur cet orage exceptionnel, un événement qui a été, à l’époque, extrêmement bien documenté par de nombreux témoignages et études diverses.
La grêle
Un cumulonimbus de forte extension verticale soulève de l’air très humide qui se condense puis gèle en montant, à la suite de son refroidissement rapide, dû à l’altitude. Les gouttes d’eau gelées forment des « noyaux » de grêlons. La vapeur d’eau et les gouttes restées liquides qui les entourent viennent geler à leur contact, et ils grossissent. Lorsqu’ils deviennent trop lourds pour être supportés par le courant ascendant, les grêlons tombent, tout en continuant à grossir jusqu’à leur sortie du nuage. Leur vitesse de chute peut aller de 10 à 50 mètres/seconde en fonction de leur taille.
Les orages de grêle sont de courte durée, mais des quantités considérables de glace peuvent être projetées au sol en quelques minutes (une couche de 1cm sur une surface de 10Km2 correspond à 100 000m3 de glace !) et entraîner des dégâts considérables.
L’orage du 13 juillet
Le contexte :
L’année 1788 a été particulièrement sèche, avec un déficit pluviométrique de l’ordre de 40 % dans le Nord de la France et qui dépasse les 80 % dans le Sud-Est. Il faut remonter à 1774 pour retrouver un tel déficit (et cette sécheresse avait alors été à l’origine de la « guerre des farines », une révolte consécutive à la hausse du prix du pain, l’année suivante).
Dès le mois de juin, on sait que les récoltes vont être médiocres, et il se confirme vite qu’elles sont effectivement, selon les régions, de 20 à 30 % inférieures à la normale.
Le mois de juillet est particulièrement chaud et lourd. A Paris, le 12 juillet, à la veille de l’orage, il fait 34° à l’ombre.
Le contexte politique est tendu. Le 5 juillet 1788, Louis XVI s’est résolu à convoquer les États Généraux, sans en fixer encore la date précise. Bien qu’informé des conséquences de la sécheresse, le roi n’identifie pas tout de suite le risque de pénurie frumentaire, et les 17 et 25 juin 1788 les autorisations d’exportation de blé sont renouvelées. Les quantités de blé disponibles pour le marché intérieur diminuent, et la hausse des prix en résulte mécaniquement.
L’orage :
A 5h30 une dépression se forme au dessus de l’île d’Oléron. Elle s’intensifie au dessus de la Touraine qu’elle atteint deux heures après. A 8h30 elle est au niveau de Paris. A 11H, à Lille. Elle perd de sa violence au dessus des Pays-Bas à 14h30, avant de terminer sa course au dessus de la mer Baltique en fin d’après midi.
En 9 heures l’orage a ainsi parcouru 600km. En chaque endroit la grêle n’est tombée que durant 10 à 15 minutes. Mais quels dégâts !
En fait, le nuage s’est dédoublé très tôt en deux bandes parallèles. La plus occidentale a une largeur moyenne de 20km, et la seconde de 12km. Elles sont séparées par une zone de 15 à 20km qui ne reçoit que de la pluie.
On voit ainsi, sur l’agrandissement de la « carte des parties de la France et des Pays-Bas qui ont été ravagés par l’orage du 13 juillet 1788 » que Rambouillet subit la bande occidentale, et Etampes la bande orientale, tandis qu’au milieu, Dourdan est épargné.
De même, le centre de Paris souffre peu.
La grêle tombe ainsi sur 13 000km2. Il semble réaliste de considérer que l’épaisseur moyenne de la couche de glace a été de 3cm, ce qui représente plus de 400 millions de mètres cubes de glace. Bien des glaciers des Alpes n’ont pas un tel volume !
Les observateurs parlent de grêlons « gros comme le poing », « de gros oeufs », « d’artichauts ». Le poids de 600g pour les plus gros est avancé par plusieurs sources sérieuses, même si un observateur, plus mesuré, fait remarquer que « si plusieurs pesaient 8 ou 10 livres (400 ou 500g), comme on l’a rapporté dans les papiers publics, c’est qu’après être tombés, ils se sont rapprochés, réunis et soudés en quelque sorte »…
A Rambouillet on recense au château exactement 11 749 vitres et tuiles détruites. 1 000 arbres sont abattus, rompus, ou tortillés « comme des harts (liens) de fagots », des milliers d’autres sont couverts de plaies. Dans la plaine, les blés qui ne sont pas encore moissonnés sont hachés. Les vignes souffrent au point qu’il n’y a pas de bois pour la taille de l’année suivante.
A Etampes on relève une hauteur de 60 à 80cm de glace à certains endroits.
Le comte de Volney, qui séjournait à Pontchartain raconte : « tout à coup commença une grêle, non pas verticale, mais lancée obliquement, comme par 45 degrés, d’une telle grosseur, que l’on eût dit des plâtres jetés d’un toit que l’on démolit. Je n’en pouvais croire mes yeux; nombre de grains étaient plus gros que le poing d’un homme, et je voyais qu’encore plusieurs d’entre eux n’étaient que les éclats de morceaux plus gros… ».
A Gallardon, le clocher tombe sur l’église durant la messe, mais sans causer de mort.
Sur le seul parcours français de l’orage, ce sont en tout 1039 communes qui sont ainsi sinistrées en quelques heures. L’évaluation des seules pertes de récoltes déclarées s’élève à 25 millions de francs or. Le coût total de l’orage peut être estimé au double, soit 10% du budget total de la France.
Marcel Machivert, (« la France agricole ») nous dit que « les autorités, impuissantes, ne peuvent que constater les dégâts. Il est conseillé de labourer aussitôt les terres ravagées et de semer des raves, de la moutarde, de la vesce, des choux, des navets ou de la chicorée sauvage, mais la graine manque souvent »…
Nous n’avons pas oublié la tempête de décembre 1999, que nous avons vécue dans des conditions autrement moins risquées, recevant des informations fiables, des consignes, et des aides rapides !
Imaginons donc la terreur qu’ont dû ressentir nos aïeux, sous cet orage de fin du monde !
Le roi
Ce jour là, Louis XVI avait chassé à Rambouillet avec Monsieur, son frère. L’orage les surprend sur le chemin de Versailles, et c’est à l’abri d’une grange de Coignières que le roi assiste à la tempête. Une source indique que son cocher meurt et que son carrosse est en partie détruit, mais certains récits doivent être lus avec prudence, car l’événement est considérablement dramatisé.
Le roi charge aussitôt une commission de trois savants, Leroi, Teissier et Buache, de rassembler tous les faits. Un rapport détaillé lui est remis en juin 1789, et la carte, dressée à cette occasion est probablement une première en météorologie.
Louis XVI tarde cependant à prendre les mesures nécessaires pour limiter les effets de l’orage sur le prix des grains. Ce n’est que le 25 août 1788, avec la nomination de Necker, que l’exportation de grains est interdite, et que des accords d’importation sont signés avec les états américains pour alimenter les marchés français, et bloquer la spéculation. Mais l’application de ces mesures prend du temps, et entre-temps la situation, comme le mécontentement s’aggravent.
Par décret royal du 26 juillet, 12 millions sont retirés du produit de la Loterie Royale en faveur des communes sinistrées (le 30 juin 1776, Louis XVI avait fondé la Loterie Royale, ancêtre de notre actuelle loterie; 700 buralistes et des colporteurs « vendaient de la chance » deux fois par mois).
Curieusement, Louis XVI n’a pas communiqué sur ces mesures -réelles, bien qu’insuffisantes– ce qui lui aurait pourtant permis de redorer un peu son image à la veille des Etats Généraux !
La lecture des cahiers de doléances, l’année suivante (rédigés après un hiver particulièrement glacial) montre cependant que les aides n’ont pas été suffisantes, et sans doute bien mal réparties. Dans les communes sinistrées, tous se plaignent que les impôts sont restés à leur niveau précédent.
Sonchamp, par exemple, sollicite une aide de 1500 livres pour réparer les fenêtres et le clocher de l’église ainsi que le cimetière, et une seconde de 600 livres « pour réparer aussi le dommage causé à la chapelle de Greffiers » .
Quant à l’assemblée de Neauphle le Château elle expose :
« La grêle qui a ravagé une partie de la France a fait dans notre paroisse des plaies profondes qui ne se fermeront pas de sitôt; les paroisses, au contraire, qui ont eu le bonheur d’en être préservées se sont enrichies par le prix des grains qui a doublé. Ne serait-il pas de l’équité que ces paroisses enrichies par nos malheurs supportassent pendant quelques années la portion des impôts qu’il ne nous est pas possible d’acquitter, puisque nous n’avons rien récolté ? Cela doit s’entendre particulièrement des pays vignobles tels que ceux qui seront peut-être encore deux ou trois années sans rapporter, tant nos vignes ont été endommagées, surtout si l’on joint à ce dommage, causé par la grêle, celui causé par l’hiver cruel que nous venons d’éprouver, qui est à peine fini. »
Durant l’hiver, les émeutes, provoquées par le prix du pain, se multiplient. Dès février 1789, le bouc émissaire n’est plus le spéculateur mais ce sont la noblesse et le clergé qui sont accusés d’accaparer les grains.
En avril 1789, une émeute parisienne, due à la baisse des salaires dans une entreprise de papiers peints est réprimée par l’armée, et fait plusieurs centaines de morts. Les Etats Généraux sont convoqués en mai 1789, mais en juillet le peuple parisien se soulève à nouveau. Parce que la hausse des prix est son principal motif de mécontentement, c’est par l’incendie des barrières d’octroi que débute la Révolution, quelques jours avant la prise de la Bastille.
L’orage et les historiens
Outre sa violence, cet orage a d’autant plus marqué les esprits, qu’il a eu lieu exactement un an avant le déclenchement de la Révolution. Le rapprochement des dates (13 juillet 1788/14 juillet 1789) a ainsi conduit de nombreux historiens à rechercher dans cet événement exceptionnel un signe annonciateur, en même temps que l’un des déclencheurs de la Révolution.
On cite par exemple la prédiction faite au lendemain de l’orage par l’ancien ministre de Louis XVI, Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes :
« Je vois se former des orages qu’un jour toute la puissance royale ne pourra calmer, et des fautes de négligence et de lenteur […] répandront l’amertume sur toute la vie du Roi, et précipiteront son royaume dans des troubles dont personne ne prévoit la fin. »
Il est indéniable que les hausses du prix du pain, et la rareté des grains en cette année 1789 ont été bien réelles, et qu’une grande part du mécontentement populaire en a résulté. Du coup, personne ne songe d’ailleurs à douter que Marie-Antoinette aurait prononcé le fameux « s’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche ». Il est pourtant avéré qu’il s’agit d’une invention, colportée pour la première fois en 1843, et devenue « mot historique » seulement à partir de 1950. Mais comme disent les italiens « se non è vero, è bene trovato »!
Or, sans minimiser la gravité des dégâts dus à cet orage, ni ses conséquences; il ne faut toutefois pas les surestimer.
L’historien François Furet a créé l’expression « d’illusion rétrospective » pour désigner la façon dont tous les événements précédant la Révolution, ont été qualifiés d’annonciateurs de la Révolution elle-même. D’après lui, les contemporains, suivis par des générations d’historiens, ont jugé le renversement en quelques mois, de mille ans de monarchie, tellement inattendu, et inconcevable, qu’il leur a fallu chercher des causes et des signes avant coureurs pour le rendre moins brutal.
J’aime cette interprétation, qui semble se vérifier pour bien des événements « extraordinaires » passés ou récents, et qui montre que nous avons parfois besoin de réécrire l’histoire pour la mettre à notre portée.
Christian Rouet
juin 2023
Ping : L'année 1789 - le Pays d'Yveline
très intéressant cet article sur cet orage de grêle phénoménal.
Et pour ma part, jamais entendu parlé !