Les Verreries d'Arleux et de Rambouillet
Afin d’échapper à l’occupation allemande de 1914, « Les Verreries d’Arleux » s’installent à Rambouillet en 1916.
Cette usine sera un employeur important pour la ville, et elle continuera à fonctionner après 1922, quand les installations d’Arleux auront été remises en activité. Victime de la crise et de la concurrence, l’usine de Rambouillet fermera définitivement ses portes en 1931 et celle d’Arleux en 1936.
Elle reste un rappel intéressant de la réalité industrielle de ce début de siècle, et des conséquences économiques de la guerre de 1914, et de la crise de 1929.
Les Verreries d’Arleux
Les verreries sont des « industries du feu », et elles se sont donc installées dans le bassin minier du Nord. Elles y ont trouvé le charbon nécessaire à leurs fours, ainsi qu’une main-d’œuvre abondante en quête d’un travail moins pénible que dans les mines.
La région de Valenciennes regroupait en 1914 de nombreuses usines dont chacune avait sa spécialité : des milliers d’ouvriers fabriquaient des bouteilles à Denain, du verre à vitres à Fresnes, des dalles de verre, des objets moulés et des lampes à Blanc-Misseron…
Créée le 2 août 1905, avec son siège social à Paris, Les Verreries d’Arleux, société anonyme au capital porté à 260 000 francs le 27 août 1910, était quant-à-elle spécialisée dans le flaconnage pour parfumerie et pharmacie.
En 1914 elle employait à Arleux (Nord) 200 personnes et disposait de deux fours, ainsi que d’un atelier de taille et de bouchage.
Le travail y était dur, et certaines tâches étaient confiées à des enfants pour en diminuer le coût. Les lois Millerand (en 1900) avaient ramené la durée de travail à 10 heures, et imposé en 1906 un jour hebdomadaire de congé par semaine. Il faudra attendre 1919 pour que la semaine soit ramenée à 48 heures et la journée à 8 heures.
En 1914 l’état-major français a programmé l’invasion de la Lorraine. Ce faisant le Nord et le Pas-de-Calais ont été laissés sans défense, et dès le mois d’août les Allemands les occupent.
L’usine d’Arleux est alors privée de son approvisionnement et de son matériel. En 1916 elle se délocalise donc.
Entièrement détruite durant les combats de 1918, et le retrait des troupes allemandes, l’usine d’Arleux sera reconstruite en 1920.
Un premier four à pots sera remis en fonctionnement en septembre 1921, pour reprendre la fabrication de flaconnage.
En mars 1922 il sera doublé par un four à bassins de douze tonnes pour la fabrication de verrerie pour produits de grande consommation. Grâce aux dommages de guerre les usines du Nord peuvent ainsi reprendre une activité, en bénéficiant du matériel le plus moderne.
L’usine d’Arleux restera en activité jusqu’en 1936, quand, victime de la concurrence et affaiblie par la crise de 1929 et par le décès de son principal actionnaire, elle devra déposer son bilan.
Les Verreries d’Arleux et de Rambouillet
Le 23 juin 1916, La Presse Rambolitaine, annonce que les Verreries d’Arleux, qui recherchaient un site pour leur relocalisation, ont porté leur choix sur l’emplacement autrefois occupé par la fabrique de ressorts Montandon.
La présence à cet endroit d’une carrière de sable a probablement joué (la qualité du sable de notre région se prête particulièrement bien à la verrerie : ce n’est pas un hasard si Lalique a installé son premier atelier à Clairefontaine !).
Un premier acte est signé le 27 août 1916, pour l’achat des terrains du boulevard Voirin (av du Gal Leclerc). Les travaux sont menés rapidement, et le 28 juin 1917 le directeur Louis Archambault de Beaune, administrateur et maître-verrier, peut convier le conseil municipal à une inauguration dont La Presse Rambolitaine se fait l’écho le 29 juin.
L’usine fonctionne d’abord avec du personnel venu d’Arleux, complété ensuite par un recrutement local. En effet la mobilisation limite le nombre d’ouvriers disponibles, et il n’existe pas de main-d’œuvre spécialisée dans cette activité à Rambouillet. Ce besoin de personnel conduira l’entreprise à acheter à plusieurs reprises des logements pour son personnel.
L’effectif passe progressivement de 50 à 200 ouvriers. Ils produisent comme à Arleux des flacons, verres de lampes et cendriers pour les wagons-lits.
Pour les travaux accessoires, dans l’atelier de bouchage où les goulots sont meulés au sable et à l’eau pour y adapter les bouchons précédemment taillés et polis dans l’atelier de taillage, l’usine emploie une main-d’œuvre féminine, plus facile à recruter en ces temps de guerre. Le journaliste s’extasie devant « cette vision réconfortante de la femme créatrice non plus seulement de vie mais de choses, qui enjolive et poétise par sa féconde présence le labeur le plus ardu. »
J’imagine les réactions si un homme osait aujourd’hui ce genre de commentaire !
Le 11 février 1920 la société prend en location une maison de trois logements au 31b de la rue d’Angiviller, et le 12 avril 1920 elle procède à l’achat d’une maison au 47 bd Voirin.
Le 13 novembre 1920, à la suite du décès du directeur Louis de Beaune, Maurice Latty prend la direction de l’usine de Rambouillet.
Le 22 février 1921 les statuts sont modifiés, et la société prend le nom de Verreries d’Arleux et de Rambouillet. C’est l’époque où Arleux, libéré et reconstruit, reprend son activité, et la société tient à montrer qu’elle compte bien poursuivre l’exploitation sur les deux sites.
Pour financer son développement la société porte son capital à 1 760 000 francs le 7 novembre 1923, puis à 2 560 000 francs le 21 janvier 1926.
Le 10 avril 1929 elle émet un emprunt obligataire de 1 500 000 francs sur 20 ans au taux de 6%.
Poursuivant son développement l’entreprise achète pour loger son personnel une maison au 12 rue du Hasard ( Maurice Dechy), le 29 mars 1921, puis le 8 septembre 1924 une seconde au 16 bd Voirin (Gal Leclerc), et le 18 mars 1937 une troisième au 37 bd Voirin.
Visitons l’usine, dix ans après !
« En bordure de la route de Chartres, presqu’à la sortie de la ville, un grand bâtiment aux murs noircis de fumée et percés de fenêtres que ferment des croisées à bascule; de hautes cheminées en tôle en surmontent le toit.(…)
Passée la grande porte cochère, c’est la grande cour d’usine avec ses dépendances ordinaires : à gauche la maison du concierge et les hangars; au fond la carrière de sable aujourd’hui épuisée; l’entrepôt des centaines de tonnes de charbon pour l’alimentation des fours; l’atelier de réparations fer et bois; la machine à broyer et tamiser la terre servant à la confection des « pots », la chambre du moteur, puis en retour les bureaux et ateliers proprement dits. (…)
Trois ouvriers sont armés d’un long tube de métal, ce sont les souffleurs; ils s’approchent du creuset qui contient le verre en fusion, cueillent une boule de pâte incandescente; un passage sur une table de fonte polie comme un marbre en répartit uniformément la masse. Alors c’est le moment : l’ouvrier souffle dans son tube de verre et place la poche ainsi formée dans le moule qu’un enfant assis ouvre et ferme devant lui…» ( le Progrès de Rambouillet, 15 mai 1926.)
Les fours ne doivent jamais s’arrêter, et le travail se poursuit donc jour et nuit, en équipes alternées. Le premier four est alimenté au charbon. Un second, plus moderne est maintenant chauffé au gaz, et permet d’économiser 2 tonnes de charbon par jour !
Le travail des enfants est réglementé, et la verrerie les forme et les héberge dans une maison qu’elle a achetée en face de l’usine : « la colonie ». Le journaliste de La Presse de Rambouillet est conquis : « devant la façon dont l’entreprise soigne et instruit avec une sollicitude vigilante les enfants qu’elle emploie, on se remémore son souci de rendre le travail moins pénible par des perfectionnements sans cesse poursuivis, et l’on se dit que l’industrie française n’est inférieure ni à sa tâche, ni à ses devoirs vis-à-vis de ceux qu’elle emploie ».
Il semble que le journal (pourtant socialiste) n’a pas parfaitement senti l’ambiance des ateliers, puisqu’à peine deux mois après la parution de son article, une grève paralyse l’entreprise durant près de six mois et vaut aux verriers de Rambouillet des articles de soutien dans l’Humanité.
Les ouvriers osent demander un salaire minimum de 3.75 francs de l’heure, et une augmentation de 50% pour les emballeuses qui gagnent alors 9 francs par jour pour 9 heures de travail (1franc 1927 a le pouvoir d’achat de 0.67 euros).
Ils reprennent le travail en février 1927, loin d’avoir obtenu tout ce qu’ils espéraient, mais sans pouvoir supporter plus longtemps l’absence de revenu. Pour l’époque, une telle grève de 6 mois sans soutien financier est exceptionnelle !
En 1931 la terrible crise économique qui a commencé aux USA en 1929 traverse l’océan, et touche à son tour la France. Elle provoque chômage et pauvreté, de façon moins grave que chez nos voisins européens, mais elle dure plus longtemps.
Les commandes se font rares, et elles sont dirigées vers l’usine d’Arleux, plus moderne que celle de Rambouillet. Le 11 avril 1931 les fours sont mis à l’arrêt.
Le 1er mai 1931, après avoir rencontré les dirigeants des Verreries le maire de Rambouillet se voit contraint d’annoncer au conseil municipal que l’usine ne rouvrira pas. 149 salariés vont se trouver sans travail, et sans aucune aide financière.
Plusieurs seront repris sur le chantier de construction du nouvel hôpital, ou pour des réfections de voiries, mais beaucoup se trouveront dans une situation financière tragique.
Le conseil décide donc de mettre en place un fonds de solidarité communal, qui n’existe pas encore à Rambouillet, et vote une aide de 6 francs par jour (plus majoration pour enfants) qui sera versée à partir du 9ème jour, sans pouvoir dépasser huit semaines. Je n’ai pas trouvé le nombre de bénéficiaires qui ont été ainsi secourus.
Le 29 août 1931 la société met en vente, sur adjudication volontaire, deux maisons qui lui appartiennent rue du Hasard (Maurice-Dechy) et Bd Voirin (Gal Leclerc).
Le 10 septembre elle met également en vente 4 maisons aux 16, 18, 37 et 49 du Bd Voirin (Gal Leclerc). Mais le marché immobilier est au plus bas, et seule la maison du 37 trouve preneur.
La société vendra également le 3février 1934 une maison rue de Toulouse.
La fin de la société
Le 7 février 1933 André Zygomalas, l’associé principal des Verreries d’Arleux et de Rambouillet décède.
C’est une complication supplémentaire pour la société dont l’activité, poursuivie sur le seul site d’Arleux, permet difficilement d’équilibrer les comptes.
Le 29 janvier 1936 la société est déclarée en faillite et l’usine d’Arleux est fermée à son tour.
Le 25 avril 1936, Me Lemonnier, syndic désigné par le tribunal de commerce met en vente aux enchères les biens qui appartiennent toujours aux Verreries d’Arleux et de Rambouillet, et n’ont pas encore trouvé preneur en vente amiable.
Sont ainsi proposés aux enchères l’immeuble de « la colonie » qui abritait les jeunes apprentis, au 18 Bd Voirin, une maison de 4 logements au n°16 et une autre de trois appartements au 49.
Le 3 septembre 1937, il restera encore certains locaux de l’usine non vendus, qui feront l’objet de publicités répétées.
Après les ressorts Montandon et la verrerie il n’y aura plus d’entreprise industrielle dans ce quartier, qui abrite désormais la cité scolaire Louis Bascan.
Christian Rouet
mars 2023