Le roi est mort, vive le roi
Le 31 mars 1547, le roi François 1er meurt au château de Rambouillet. Une tour a traversé les siècles et conserve aujourd’hui son nom.
Cet événement a fait du modeste château, acquis en 1514 par Jacques d’Angennes, un lieu historique.
Nous devons à Ernest Lavisse l’invention de notre roman national. Ses manuels d’histoire sont restés utilisés jusqu’en 1950. Leur objectif était politique, au lendemain de la défaite de 1870 et à la création de l’école publique : inculquer aux jeunes Français les valeurs de la République (d’où découlait le devoir civilisateur de la colonisation), et développer un sentiment patriotique. La vérité historique y avait beaucoup moins d’importance que l’injonction fédératrice :« tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle, et parce que l’histoire l’a faite grande » (manuel Lavisse).
C’est à ces manuels que nous devons les clichés qui nous ont servi de culture historique. Leur grande simplicité les rendaient facilement mémorisables. Et dans ce roman, François 1er bénéficie d’une place enviable. Dans la succession de nos rois : Louis XII, François 1er, Henri II, François II, Charles IX… il est sans doute le seul dont on reconnaît immédiatement le portrait, et sur le règne de qui, chacun a quelques points de repères. C’est le « roi-chevalier » qui se couvre de gloire à Marignan, c’est le bâtisseur de Chambord, celui qui symbolise le mieux le passage de la France d’un Moyen-âge d’obscurité, aux lumières de la Renaissance…
Le château de Rambouillet aurait assurément perdu à avoir une « tour Henri II » ou une « tour François II » !
Invitons-nous ici aux funérailles de ce roi, après avoir très succinctement évoqué son règne.
Le règne de François 1er
Né le 12 septembre 1494 dans le château de Cognac, François d’Angoulême est un capétien de la branche des Valois-Angoulème. Il est cousin du roi Louis XII, et deviendra son gendre, en mai 1514, en épousant sa fille ainée, Claude de France.
Il monte sur le trône le 25 janvier 1515 parce que Louis XII n’a pas de descendance mâle.
Ses sujets n’ont sans doute pas conservé un souvenir très agréable de son règne de 32 ans !
Sa politique extérieure a été marquée par sa rivalité avec Charles-Quint, qu’il ne peut empêcher de devenir empereur du Saint-Empire romain germanique, et dont les possessions encerclent littéralement la France. Leur affrontement les conduit à une succession de guerres en Italie pour la conquête des royaume de Naples et de Milan.
François 1er y remporte quelques victoires, dont Marignan est la plus connue (et 1515, l’une des seules dates connues de tous les écoliers!), mais surtout des défaites, dont celle de Pavie où il est fait prisonnier.
De nombreux traités de paix sont signés. François 1er, veuf depuis 1524, épouse même Eleonore, la soeur de Charles Quint en 1530 pour sceller un rapprochement… qui ne dura jamais plus de quelques mois.
Et finalement, épuisé et ruiné par ces guerres, François 1er renonce à ses prétentions territoriales.
Sur le plan intérieur, François Ier s’efforce de renforcer l’autorité royale face aux féodalités encore puissantes et aux tensions religieuses croissantes. Il consolide son pouvoir en réorganisant l’administration, notamment en instaurant les Bailliages et les Présidiaux pour mieux contrôler les provinces, et soutient la centralisation judiciaire en développant les Parlements et en codifiant les lois.
L’ordonnance qu’il signe en août 1539 à Villers-Cotterêts impose que les actes de justice soient rédigés « en langage maternel français et non autrement » pour faciliter leur bonne compréhension, mais aussi pour affermir le pouvoir monarchique. Elle illustre bien cette volonté d’une centralisation que Louis XIV poussera à son maximum.
Roi très catholique, François 1er affirme en 1516 son autorité sur l’Église de France par le Concordat de Bologne signé avec le pape Léon X, qui lui permet de nommer les évêques, et qui restera en vigueur jusqu’en 1790.
Après avoir accueilli avec tolérance l’apparition des idées protestantes, notamment parce que les princes protestants d’Allemagne sont ses alliés potentiels contre Charles-Quint, François 1er engage en 1534 une politique de persécution contre ceux qu’il accuse de remettre en cause son autorité royale. En 1545 il engage une croisade contre les Vaudois du Lubéron, et les massacres qui y sont perpétrés marquent le début des guerres de religions de France.
Cependant, dans le même temps, ce roi chrétien n’hésite pas à s’allier au sultan musulman Soliman le Magnifique, notamment pour disputer à la flotte espagnole sa suprématie en méditerranée.
On préfère se souvenir de son intérêt pour les lettres, de la création du Collège Royal, de la Bibliothèque Royale, de la protection qu’il apporte à des poètes comme Marot, Chappuys… De sa passion pour l’art – il attire en France les plus grands artistes de son temps (dont Léonard de Vinci)- et notamment de son goût pour l’architecture. La construction du château de Chambord commence dès le début de son règne. Les châteaux d’Amboise, de Blois et du Louvre sont modernisés. Le château de Fontainebleau, dont seul le donjon est conservé, est totalement transformé et devient sa résidence favorite.
Ces grands chantiers, sa politique de mécénat, qui s’ajoutent au coût des campagnes militaires incessantes, nécessitent des sommes énormes que le roi trouve dans de nouveaux impôts, le triplement de la gabelle, l’instauration de droits de douane, la création de la première loterie d’Etat, et de nombreux emprunts (selon un usage bien établi, certains créanciers finissent au gibet sous divers motifs, ce qui constituait le moyen le plus efficace de se débarrasser d’une dette, mais que les règlements européens ne permettent hélas plus aujourd’hui !).
La santé du roi
En dehors d’une grave chute de cheval le 25 janvier 1502, lorsqu’il avait huit ans, on a peu d’informations sur la santé du roi, lorsqu’il était jeune. On sait cependant qu’il aurait reçu un tison (une bûche enflammée ?) le 6 janvier 1521, au cours d’une bataille engagée avec ses compagnons de jeu. Le roi serait resté dans le coma plusieurs heures (jours ?) et en aurait conservé une cicatrice sur la joue, qu’il aurait décidé de masquer en se laissant pousser la barbe. La mode fut aussitôt reprise par tous les courtisans, et dans les cours européennes.
Ajoutons que le responsable de cet accident, Jacques de Montgomery a du passer des heures d’angoisse jusqu’à ce que le roi, revenu à lui, lui pardonne sa maladresse. Son fils Gabriel de Montgomery blessera à mort le roi Henri II en 1559, au cours d’un tournoi, et lui aussi obtiendra un pardon royal. Voici une famille qu’il valait mieux ne pas avoir comme amie !
Nous retrouvons ensuite François à l’âge de 35 ans. Il a, comme tous les rois, abusé largement de tous les plaisirs : trop de gibier, trop de vins, trop de femmes, et il a sans doute attrapé la syphilis. La légende accuse Clément Marot d’avoir rapporté cette maladie de Naples, et elle s’est répandue dans toute l’Europe.
Je m’éloigne du sujet, mais je ne résiste pas à rappeler la phrase de Voltaire : « Clément Marot a ramené deux choses d’Italie : la vérole et l’accord du participe passé… Je pense que c’est le deuxième qui a fait le plus de ravages !«
Plus sérieusement (?) on raconte que François 1er aurait séduit l’épouse de l’avocat parisien Jean Ferron, dite « la belle ferronnière » et que, pour se venger, son mari aurait volontairement contracté la syphilis, pour la transmettre à sa femme, et par elle, au roi. Pas très fair-play de la part d’un mari cocu, mais probablement très efficace !
Quoi qu’il en soit, en 1539, à Compiègne, il « tomba malade d’une apostume qui lui descendit au bas du ventre, dont il fut en grand danger de mort »(raconté par le cardinal du Bellay).
Un apostume, donc une « enflure extérieure avec putréfaction ». Une fistule aux parties intimes, entre l’anus et les testicules, qui devait être particulièrement douloureuse pour quelqu’un qui passait une grande partie de sa vie à cheval… Le chirurgien de la cour, Guillaume Vavasseur le soigne, et le roi s’en remet à peu près.
En 1545 il semble qu’il ait fait une rechute, puisqu’un certain Saint-Mauris écrit : « Le roi a une veine rompue et pourrie dessous les parties basses, par où les médecins désespèrent de sa longue vie. »
L’année suivante le roi souffre d’une fièvre intermittente, qui se change bientôt en fièvre continue avec douleur à l’abcès qui s’est formé à nouveau. Il ne peut plus monter à cheval, et ne se déplace plus qu’en litière. Les médecins appliquent des cautères « afin de le faire tant plutôt mûrir et percer », et l’apostume finit par éclater.
Mais cinq mois après l’apostume a regrossi et présente maintenant « cinq pertuis » (trous).
Pendant quelques mois, l’état du roi se stabilise, mais début 1547 les douleurs le reprennent. Les médecins rouvrent la plaie dont il sort « une grande infection dont il eut grand soulagement. »
La mort du roi
En février 1547, le roi se déplace beaucoup, trouvant dans ces changements de résidences un dérivatif à la douleur. Il voyage en litière avec sa maîtresse, la duchesse d’Etampes. Le 27 février, il a quitté Rochefort pour rentrer à Saint-Germain, quand son état s’aggrave brutalement et l’oblige à s’arrêter chez son fidèle vassal Jacques d’Angennes, au château de Rambouillet.
Le château était bien modeste et bien petit pour accueillir le roi et sa suite : le Dauphin et son épouse, de nombreux membres de sa cour et tout le personnel qui l’accompagne pour le servir ou le protéger. On peut donc penser que si le roi a choisi de s’y arrêter malgré tout, c’est bien qu’il ne pouvait plus faire autrement.
« Cet ulcère malin, qui lui était venu en 1539, n’ayant pu être guéri par ses médecins, qui n’osèrent pas le traiter avec la rigoureuse méthode qu’il faut apporter à ces maux-là, s’était tramé jusqu’au col de la vessie, et commençait à le ronger avec des ardeurs insupportables. Tellement que cette douleur et l’âcre levain de cette infection, qui était épandu par toute l’habitude du corps, lui causaient une fièvre lente et une morne fâcherie, qui le rendaient incapable d’aucune entreprise. » (Mézeray, dans Histoire de France )
Le 20 mars son état s’aggrave encore. Après avoir entendu la messe et communié, il fait une confession publique et se prépare à la mort. Le 29 il reçoit l’extrême-onction. « Un peu avant minuit, lui prit un tremblement si grand que l’assistance désespéra totalement de sa guérison. » Il demande à voir son fils, le dauphin pour lui donner son testament. On ne retrouve pas le document et le roi en dicte un nouveau.
Le 31 mars 1547, « à deux heures du soir », le roi décède à l’âge de 52 ans (coïncidence : c’est aussi l’âge qu’avait Louis XII à sa mort).
Les funérailles
Elles durèrent deux mois selon un rituel extrêmement codifié que Théodore Godefroy (1580-1649) devenu l’historiographe de la monarchie au début du XVIIème siècle, nous raconte dans Le Cérémonial de France paru en1619.
L’autopsie est pratiquée immédiatement après le décès du roi. D’après les compte-rendus et la description des symptômes, il semble établi qu’il souffrait de syphilis, d’une fistule, de tuberculose chronique, de lésions au poumon droit et au larynx, d’un ulcère à l’estomac, d’une nécrose des reins, et d’une infection du canal de l’urètre. C’est celle-ci qui aurait causé la mort du souverain après avoir dégénéré en néphrite.
Le corps est aussitôt embaumé et placé dans un cercueil de plomb. Le coeur du roi est placé dans un cardiotaphe (un monument funéraire créé à cet effet) et déposé dans l’abbaye des Hautes-Bruyères (près de Saint-Rémy l’Honoré), conformément aux dernières volontés du roi.
L’abbaye ayant été détruite, son coeur est maintenant à Saint Denis, non loin du tombeau de François 1er et de sa première épouse Claude de France.
Un cérémonial complexe, qui peut nous surprendre, vise à marquer clairement la différence entre le corps et la fonction royale : la mort de l’homme ne peut faire douter de la continuité de la monarchie.
François Clouet, sculpteur célèbre, réalise donc en deux semaines une effigie du roi pour qu’elle puisse être présentée revêtue de son manteau royal « de velours cramoisi violet, azuré, semé aussi de fleurs de lys de riche broderie et fourré d’hermine », avec sa couronne, son sceptre, la main de justice, et son épée.
Cette statue symbolise la continuité du pouvoir. On peut la voir, lui rendre ses hommages, et on continue à « nourrir le roi » en présentant chaque jour des plats à son effigie.
Ce sont deux processions distinctes qui ramènent le corps et l’effigie à Saint-Cloud.
Le 24 mai le corps de François 1er est enterré à Saint-Denis. L’épée royale et le drapeau de France sont déposés sur la tombe, et c’est à ce moment seulement que sa souveraineté se termine. « Le roi est mort » crie par trois fois le héraut. Puis l’épée et le drapeau sont relevés, et au cri de « Vive le Roi Henri deuxième de ce nom. », le héraut officialise la poursuite de la monarchie.
Le nouveau roi n’a pas été autorisé à assister aux funérailles, pour qu’à aucun moment il ne puisse y avoir deux rois dans le même espace. Cependant, on raconte qu’il a tenu à assister à la procession incognito.
Au lendemain de sa disparition, le parlement de Paris choisit d’honorer le défunt roi du titre posthume de « Prince clément, père des arts et Sciences ».
Lors de l’entrée solennelle d’Henri II à Rouen, le 1er octobre 1550, des spectacles ponctuent le parcours royal. L’architecture éphémère dressée à la fontaine de la Crosse met en scène la succession du fils à son père, tandis qu’au Pont de Robec un théâtre vivant présente François Ier reçu aux champs Élysées pour avoir soutenu les lettres, manière d’encourager Henri à suivre son exemple.
Le 20 octobre 1793 la tombe de François 1er est profanée, en même temps que celle de Claude, sa première épouse. Le monument échappe toutefois à sa destruction complète. Il est restauré en 1795 et replacé dans la basilique en 1819, sous la seconde Restauration.
L’énigme de la tour
S’il ne fait aucun doute que François 1er est bien mort dans le château de Rambouillet, il subsiste cependant un doute quant à la chambre qu’il y occupait.
En effet, certains historiens estiment que le roi ne pouvait séjourner que dans la plus belle pièce du château, et non dans un réduit inconfortable de cette tour ancienne. De plus, certains récits de la mort du roi indiquent que des membres de la cour se tenaient « dans la chambre voisine » de celle où le roi agonisait, or il n’y avait probablement qu’une seule chambre à ce niveau.
Pour eux, le roi n’était pas logé dans cette tour, et celle-ci ne mérite donc pas son nom.
Cependant, les adversaires de cette thèse ont aussi des arguments sérieux, et notamment le fait que cette tour ait été conservée en l’état.
Ainsi que le mentionne G. Lenotre (« le Château de Rambouillet ») :
« si tous les châtelains de Rambouillet respectèrent cette bâtisse démodée et encombrante, c’est parce qu’elle avait été le théâtre d’un événement mémorable. Le bibliothécaire du château écrivait, au temps de Charles X, que les médecins ayant déclaré pestilentielle la maladie de François 1er, on transporta le mourant dans une chambre modeste isolée du reste du château, et il ajoutait «par respect pour la mémoire de ce monarque, on l’a toujours maintenue depuis lors dans l’état où elle se trouvait à sa mort et on y a conservé jusqu’au petit carrelage en usage dans ce temps ».
Toutefois, quelle que soit la pièce du château où François 1er est mort, ce qui reste le plus surprenant pour nous, c’est de penser que le roi d’un des pays les plus évolués d’Europe pouvait, en ce seizième siècle, souffrir de telles pathologies sans pouvoir être soigné mieux que par des cautérisations, et sans doute des saignées. Qu’il a pu continuer si longtemps à monter à cheval, à guerroyer, à chasser… en un mot, à remplir ses fonctions de roi.
Sans oublier de mentionner la présence à ses côtés de sa maîtresse du moment, jusqu’à son décès.
Nos ancêtres avaient une résistance, et un rapport à la douleur qui ne sont décidemment plus les nôtres !
Christian Rouet
septembre 2024