Le domaine d'Ors

Un inventaire réalisé par le Parc Naturel Régional a permis de retrouver les traces de plus de quatre-vingt moulins hydrauliques, avec parfois une densité étonnante de près d’un moulin tous les 2 kilomètres.

extrait de la carte du PNR : les moulins d’ l’Yvette et de ses affluents

Parmi les plus intéressants, quatre d’entre eux sont aujourd’hui visitables : le Petit Moulin des Vaux de Cernay, le moulin de Villeneuve (Maison Elsa Triolet Aragon), le moulin Neuf (musée des arts et traditions populaires de Saint-Arnoult) et le moulin d’Ors à Châteaufort.

C’est ce dernier, en limite d’Yveline, près de Gif-sur-Yvette, que nous visitons aujourd’hui.

Orce

carte de Cassini

L’étymologie d’ors, (écrit Orce dans les documents anciens tels la carte de Cassini) nous rappelle qu’autrefois les ours étaient nombreux dans toutes les régions de France. C’était l’Ursa en latin, l’ors en occitan…

Par exemple, Orcemont, le mont des ours. Un oncle du seigneur Guy 1er de Montlhéry était surnommé l’Ours. Le domaine d’Orsigny, qui borde Châteaufort à l’Est était la villa d’un Romain nommé Ursinus,  etc.

L’ours a même été le roi des animaux en Europe, jusqu’au XIIème siècle. Il faisait l’objet de nombreux cultes païens destinés à transférer à l’homme sa force et son courage. Pour mettre fin au culte de l’ours, l’Eglise le diabolisa et offrit son trône au lion (en Amérique, l’ours est resté le roi des animaux, en concurrence avec l’aigle).

A la fin du XVIIIème siècle, victime du pastoralisme, de l’exploitation des forêts et plus tard de l’utilisation des armes à feu, l’ours n’est plus présent en France que dans les montagnes. En 1995 il n’en reste que 5 individus dans les Pyrénées lorsqu’un plan de réintroduction est lancé, avec des résultats encore très limités.

Le château d’Ors

Au Xème siècle, Castelloforte  est une commune importante, chef-lieu d’une contrée du diocèse de Paris. Elle a alors deux églises et un prieuré, et doit probablement son nom à ses trois châteaux et aux remparts érigés au bord de la Mérantaise. Elle regroupe dix fiefs, dont celui d’Ors, le plus important, avec ses 850 hectares.

Un hôtel seigneurial y est mentionné dès 1495, et Jean de Loynes en fait un château en 1637. Il appartient ensuite à Guillaume Desmoulin, ancien capitaine des gardes du roi, puis à Etienne de Montluçon, l’un des grands fermiers généraux du roi.

Une chapelle, un moulin, une ferme le complètent.

mise en vente octobre 1850

En 1809, Etienne de Baguenault, l’un des fondateurs de la Banque de France le rachète. Les bâtiments existants sont détruits, et un nouvel ensemble est construit.

Voici la description qui en est donnée en octobre 1850, lorsque de Baguenault met en vente « la Terre d’ors ».

 « Le château construit au milieu du parc, ayant vue sur la vallée de Gif, formant un grand corps de bâtiment double en profondeur, composé d’un rez-de-chaussée, d’un premier et d’un deuxième étages avec plusieurs entresols, comble couvert en ardoises et entouré d’un large chéneau en plomb.

Le rez-de-chaussée, élevé sur voûtes, comprend au milieu du bâtiment un grand vestibule ; à gauche une salle à manger carrelée en liais et marbre noir avec trois fenêtres sur le parc, et glaces ; à la suite offices, grande cuisine et dépendances ; à droite du vestibule salle de billard, grand salon ayant quatre croisées, panneaux boisés, cheminée en marbre et glaces ; à la suite et en retour, autre salon avec cheminée en marbre et glaces : ces trois pièces parquetées. Derrière un corridor qui dessert une petite cour, bûcher, garde manger, escaliers de service, salle de bains et diverses autres dépendances ; descente de caves qui contient un calorifère destiné au chauffage du rez-de-chaussée et d’une partie du premier étage ; deux grandes caves pratiquées sous la montagne d’Ors ; derrière le vestibule, grand escalier d’honneur.

Le premier étage est divisé en plusieurs grands appartements de maître avec cabinets et dépendances ; plusieurs pièces parquetées ; dans toutes, cheminées en marbre et glaces ; un grand corridor règne derrière ces appartements.

Le deuxième étage est également divisé en plusieurs chambres de maître, cabinets, cheminées en marbre et glaces, corridor au milieu.

Les combles renferment les chambres de domestiques et divers greniers ; un passage de fer blanc y réunit les différentes parties de l’édifice ; au-dessus du calorifère est un séchoir avec étagères fixes ; toutes les fenêtres du premier étage, en avant et à droite, à des persiennes en pierre et terrasses. »

Sont vendus dans le même lot les communs :« logement de jardinier, et gens de service, grange, écuries, remises, étables, réservoir d’eau de source, pigeonnier et buanderie. Bâtiment de l’orangerie et serres. Dans le parc logement du garde (…) ».

Joseph de la Rochelambert se porte acquéreur de l’ensemble des trois lots mis en vente.

Le 4 juin 1862, lorsque sa veuve remet en vente le domaine, « une laiterie appelée Maison des Soeurs » a été ajoutée à côté de la buanderie.

Le site de la mairie de Châteaufort nous apprend la fin de ce château : 

« Occupé jusqu’en 1945 par l’état-major allemand, qui faisait réparer ses  engins sous les bois du splendide parc, il fut rasé volontairement en 1951 et ses vestiges éparpillés dans  toutes les vieilles demeures du village. La légende raconte qu’ainsi le dernier baron d’Ors voulut clore sa lignée en empêchant toute intrusion et qu’il put financer cette démolition en vendant l’une des deux boules de platine des paratonnerres. »

Un propriétaire qui démolit pour reconstruire, le cas est fréquent. Mais démolir pour que personne ne puisse profiter du lieu après lui, voici une situation peu banale !

la glacière

En 1984 la mairie a racheté le domaine, dont on peut toujours visiter (outre le moulin) la chapelle, l’ensemble des communs, le dôme abritant la glacière, l’orangerie, les loges de gardes décorées de bas-reliefs de terre cuite (oeuvres d’Augustin Pajou, 1784), et un très original pont-galerie, dont l’arche médiévale fut ornée d’arcades couvertes au début du XIXème siècle.

Chacune de ces constructions mériterait une description plus complète. Peut-être à l’occasion d’un prochain article ?

Le moulin d’Ors

 La Mérantaise prend sa source à Trappes, et se jette dans l’Yvette, à Gif-sur-Yvette, après 14.3 km. Après avoir causé plusieurs inondations à Gif-sur-Yvette, par la montée soudaine de ses eaux, elle a fait l’objet d’importants aménagements afin de redessiner son lit, tout en favorisant sa continuité écologique.

La région de Châteaufort, qui regroupe prairies humides et mésophiles, friches, roselières et boisements alluviaux est maintenant classée Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique de niveau 1.

Comme le château, le moulin du domaine a été détruit au début du XIXème siècle et un nouveau moulin à blé a été reconstruit, au même endroit.

Dans le descriptif de la vente de 1850 il est décrit ainsi :

« Le moulin d’Ors, qui a son entrée sur la route de Chevreuse et est contigu au jardin potager du château, comprend :

1.º — Un grand bâtiment en meulière et rocaille, servant au logement et à l’exploitation du fermier, ensemble les ustensiles et mécaniques connues sous le nom de prisée, et une cour entourée de granges, écuries, et le tout contenant huit ares,

2.º — Une pièce de terre de douze ares quatre-vingt-huit centiares environ, au-dessus du chemin de la montagne de Voisins (…) le tout pour 13ha 55ca. »

Sa roue, en fonte d’un seul tenant, était alimentée par le dessus. Le courant de la Mérantaise n’étant pas suffisant pour en assurer le bon fonctionnement permanent, un canal en détournait les eaux dans un bassin de retenue. Le meunier pouvait ainsi provoquer une chute d’eau, qu’il contrôlait par une vanne. Les augets de bois de la roue se remplissaient et leur poids entraînait la roue et les meules de pierre, à l’intérieur du moulin auxquelles elle était liée.

les restes de la roue

Le moulin ne fonctionne plus, depuis 1921. L’arrivée d’eau a été coupée. Les restes de la roue sont toujours présents, à leur emplacement primitif, mais ses augets ont été détruits.

les meules

Quant aux meules de pierre, elles sont restées sur place, mais sorties devant le bâtiment.

Il faut signaler la forme particulière de l’immeuble : alors que la plupart des moulins de la région sont de construction horizontale, celui-ci est un bâtiment en hauteur, sur le modèle des moulins anglais.

Le bâtiment abrite désormais les équipes techniques du PNR.

Le moulin a reçu le label « Patrimoine d’intérêt régional » du Conseil régional d’Île-de-France et sa restauration, déjà bien avancée, sera poursuivie.

L’intérieur du moulin ne se visite pas en individuel. La visite du domaine, par contre, est libre et très bien aménagée, avec un chemin le long de la rivière, et de nombreux panneaux explicatifs.

Une très belle promenade à conseiller !

Christian Rouet
mai 2025

 

 

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