La canicule

Canicula (aujourd’hui Sirius), l’étoile la plus brillante de la constellation du Grand chien, se lève en même temps que le Soleil, dans l’hémisphère nord, du 24 juillet au 24 août. Pour les anciens, son apparition dans le ciel annonçait donc les grandes chaleurs météorologiques. Ainsi Pline l’Ancien :

Canicula, l’étoile la plus brillante du Grand Chien

« la Canicule, se levant, allume l’ardeur du soleil. Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la terre. Les mers bouillonnent à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s’agitent ».

Et si la Bible n’utilise pas le terme de canicule, la sécheresse est souvent évoquée, comme punition divine :

« Et moi, je vous ai refusé la pluie, quand il restait encore trois mois jusqu’à la moisson ; j’ai fait pleuvoir sur une ville, et je n’ai pas fait pleuvoir sur une autre ville ; une partie du champ a reçu la pluie, et la partie sur laquelle il ne pleuvait pas s’est desséchée. Deux, trois villes sont allées vers une autre ville pour boire de l’eau, et elles n’ont pas étanché leur soif ; et vous n’êtes pas revenus à moi, dit l’Éternel. »(Amos 4:7-8)

 Aujourd’hui une vague de chaleur est qualifiée de canicule si elle égale ou dépasse certains seuils, en intensité (variable selon la région) et en durée (supérieure à 3 jours). Elle accroît notablement la pollution de l’air, le risque d’incendie de forêt, et elle est la cause de nombreux décès, notamment parmi les personnes fragiles.

Les canicules ont été fréquentes dans le passé. Boileau y voyait une punition divine :

« Depuis le jour qu’Adam déchu de son état,

D’un tribut de douleurs paya son attentat

La canicule en feu dévora la campagne… »

Plus prosaïquement, Le GIEC y voit principalement la conséquences de l’activité humaine.

Je n’entrerai pas ici dans le débat qui oppose les climato-sceptiques à une très large majorité du monde scientifique. Il semble en tous cas certain que nous devons nous attendre à connaître des canicules de plus en plus fréquentes, et fortes.

Or, comme l’écrit le directeur du Progrès de Rambouillet durant la canicule de 1911:

« Décidément l’homme est un drôle d’animal. Nous avons chaud ou froid, par exemple, mais cela ne nous suffit pas, il faut que nous cherchions un point de comparaison.
Or, une fois que nous avons trouvé qu’il y avait en 1524 un degré de plus de chaleur, il se trouve que nous croyons avoir moins chaud. »

Ce n’est pas tout à fait faux ! Et pour lui donner raison je vais vous rappeler quelques canicules du temps passé.

Du XVIème au XIXème siècle

Nous manquons d’études exhaustives, et scientifiques, mais les témoignages de l’époque sont nombreux pour évoquer, tantôt « l’échaudage » des champs, qui provoque une forte hausse du prix du blé, tantôt la chaleur torride qui favorise les incendies, comme celle de Troyes qui détruit 1500 maisons et quelques églises en 1540, ou des hectares de forêt en Yveline.

Cette année là, il ne pleut pas durant onze mois. La température dépasse souvent les 40°. On dit qu’à Bâle, on peut traverser le Rhin à pied ! Les sources, les rivières ou les étangs du Pays d’Yveline sont tous à sec et en Beauce les blés grillent sur pied.

La forêt d’Yveline offre malgré tout son ombre bienfaisante et les Rambolitains auraient dû se sentir privilégiés !

1726, 1727, 1757, 1778 … la liste des années de chaleur excessive est longue : je ne peux pas toutes les citer !

En 1793, par exemple, Fuster relève que

« les objets exposés au soleil s’échauffaient à un tel degré qu’ils étaient brûlants au toucher. Des hommes et des animaux moururent asphyxiés, les légumes et les fruits furent grillés ou dévorés par les chenilles. Les meubles et les boiseries craquaient, les portes et les fenêtres se déjetaient ; la viande, fraîchement tuée, ne tardait pas à se gâter. Une transpiration incessante macérait la peau, et le corps nageait continuellement dans un bain de sueur fort incommode»(« Des changements dans le climat de la France »).

Charivari 23 juillet 1863

 Le Charivari du 18 juillet 1852 donne de judicieux conseils à ses lecteurs parisiens :

« Ce qu’il y a de mieux pour passer la vie agréablement durant la canicule, c’est d’aller se baigner aux bains chinois, de ne sortir qu’après le coucher du soleil, et de ne boire, en fait de coco que du champagne frappé. »

C’est ce même journal qui met en garde les promeneurs en calèche :

« ces promenades ne doivent être faites qu’au pas et avec beaucoup de prudence, car, dans la saison où nous sommes, pour peu qu’on ait envie de brûler le pavé, on ne tarde pas à voir s’enflammer les roues, puis la caisse, puis les coussins »…

23 août 1884

Quant à l’Argus d’août, il rappelle que

« certains quartiers de Paris sont terribles à traverser pendant l’été. Nous conseillons à nos abonnés d’éviter notamment d’aller flâner sur la place du Carroussel, de midi à trois heures, pendant la canicule. Les imprudents qui se hasardent de ce côté y reçoivent une telle série de coups de soleil, qu’ils deviennent noirs comme les habitants de la Guinée, et lorsqu’ils rentrent le soir chez eux, ils se voient refuser l’entrée de leur domicile par leur concierge qui ne les reconnaît plus et qui leur soutient que le propriétaire n’a jamais loué à aucun nègre. »

La canicule vous semble traitée de façon peu sérieuse ? Il est vrai que pendant des siècles, nos ancêtres redoutaient beaucoup plus les froids extrêmes de l’hiver – lorsque la neige recouvrait le pays, et que les loups sortaient des forêts pour les attaquer- que la chaleur. Et le ressenti ou les souvenirs transmis dans les familles remplaçaient alors les études scientifiques.

Cependant les phénomènes météorologiques sont mieux connus, à partir de XXème siècle.

XXème siècle

Après un mois de janvier printanier, et de terribles ouragans en avril, l’été 1900 est très chaud. Paris manque d’eau. La température dépasse 40°C à Châteaudun. Après deux mois d’orages, octobre connaît une nouvelle canicule.

13 août 1911

La canicule de 1911 bat tous les records. On évoque plus de 40 000 morts… qui frappent peu l’opinion publique, d’abord parce que ces statistiques ne seront établies que longtemps après, et ensuite parce que, dès 1914, la France en recevra d’autres, bien plus terribles, avec la guerre et la grippe espagnole.

1947 : une vague de chaleur frappe la France du 15 au 28 juillet, avec des températures atteignant 40°C à Paris et 43°C à Toulouse. On dénombre environ 3.000 décès liés à la canicule.

1976 : l’été 1976 est le plus sec et le plus chaud depuis le début du XXème siècle, avec une sécheresse qui dure de mars à septembre. La canicule atteint son paroxysme du 25 juin au 9 juillet, avec des températures supérieures à 35°C sur la moitié du pays. On estime à 6.000 le nombre de morts en France.

1983 : une canicule sévit du 28 juin au 15 juillet, avec des températures dépassant 40°C dans le sud-ouest et le centre-est. On recense environ 4.000 décès liés à la chaleur.

2003 : la canicule de 2003 est la plus sévère jamais enregistrée en France, avec des températures records du 1er au 15 août. Le mercure dépasse les 40°C dans plusieurs villes, et atteint 44,1°C à Conqueyrac, dans le Gard. La canicule provoque la mort de 15.200 personnes, principalement des personnes âgées.

2006 : une vague de chaleur frappe l’ensemble de la France pendant 21 jours en juillet, avec des températures dépassant 40°C dans le sud. La canicule cause la mort de plus de 1.000 personnes.

2015 : une canicule précoce touche la France du 29 juin au 5 juillet, avec des températures supérieures à 35°C sur la majorité du territoire. Le record absolu de chaleur nocturne est battu à Paris, avec 25,5°C le 2 juillet. On dénombre 700 décès attribuables à la canicule.

2016 : une canicule tardive affecte la France du 23 au 28 août, avec des températures dépassant 35°C dans le nord et le centre. On estime à 300 le nombre de morts liées à la chaleur.

2017 : trois épisodes de canicule se succèdent en juin, juillet et août, avec des températures atteignant 40°C dans le sud-est. On compte environ 1.500 décès dus à la canicule.

2018 : deux vagues de chaleur touchent la France en juillet et août, avec des températures supérieures à 35°C sur une grande partie du pays. Le record de chaleur nocturne est égalé à Paris, avec 25,5°C le 27 juillet. On recense 1.500 morts liés à la canicule.

2019 : la France connaît deux canicules exceptionnelles en juin et juillet, avec des températures records dans de nombreuses régions. Le 28 juin, le mercure atteint 46°C à Vérargues, dans l’Hérault, un record absolu en France métropolitaine. Le 25 juillet, Paris enregistre 42,6°C, sa température la plus élevée depuis le début des mesures. On dénombre 1.500 décès attribuables à la canicule.

2020 : la France subit trois canicules successives en juin, juillet et août, avec des températures dépassant 40°C dans le sud. Le 31 juillet, Lille bat son record de chaleur, avec 38,9°C. On estime à 2.000 le nombre de morts liés à la chaleur.

2022 : la canicule commence le 15 juin (la plus précoce enregistrée depuis 1947) et connaît plusieurs vagues. Elle aurait causé la mort d’environ 11 000 personnes. 750 000 volailles meurent dans les élevages intensifs durant la seule journée du 18 juillet. Combinée avec une pluviosité très faible elle provoque d’importants feux de forêts.

2023 : 47ème vague de chaleur depuis 1947. La plus tardive et la plus longue. A nouveau tous les records sont battus avec des pointes qui dépassent les 40° dans de nombreux départements (plus de 44° à plusieurs endroits). 

Voici une liste déjà impressionnante, qui n’est sans doute pas près de s’arrêter.

Rappelons toutefois que si les relevés de température sont indiscutables, le nombre de victimes de chaque canicule est davantage sujet à caution. Ce sont les personnes les plus faibles : enfants en bas âge, personnes âgées… qui sont principalement touchées. Mais la canicule est-elle la cause unique de leur décès ?

Ajoutons que ce n’est pas la canicule elle-même qui a de l’importance : il suffirait d’en changer les critères pour en modifier le nombre, comme il suffit de monter les notes pour changer le taux de réussite au baccalauréat. Mais, quel que soit le nom qu’on lui donnerait, les conséquences du réchauffement climatique risquent d’être catastrophiques pour l’humanité.

Il est difficile de se montrer optimiste !

Certains n’y voient qu’un simple phénomène naturel, un cycle, comme notre planète en a déjà connus de nombreux. Si c’est le cas, l’homme a bien peu de moyens de s’y opposer.

D’autres pensent qu’il est dû à l’activité humaine, combinée à l’augmentation rapide de la population. Il faudrait alors une entente mondiale réellement suivie d’effets pour espérer au moins ralentir ce réchauffement. Mais en dépit des conférences et des traités internationaux, nous en sommes loin !

J’ai peur que cette conclusion ne jette un froid. Vu le sujet, ce serait un comble, non ?

Comment s’étonner alors que certains puisent dans leur foi, des raisons d’espérer que la science ne peut encore nous apporter ?

Vous avez cru, en voyant l’enseigne du 3 rue Claude Chappe à Rambouillet, que la ville avait investi dans une salle permettant aux personnes fragiles de se protéger contre la canicule ?  

3 rue Claude Chappe Rambouillet

Il n’en est rien ! Cette « Maison de Rafraîchissement » se propose de soulager les âmes et non les corps.

C’est le nom d’une église évangéliste, créée en janvier 2004, et affiliée à l’Eglise « Parole du Salut » de Kinshasa.

Installée d’abord à Paris, la « Maison de rafraîchissement– Eglise Parole du Salut », est maintenant présente à Epinay-sous-Sénart, Saint-Arnoult, Dourdan et Rambouillet.

Je me trompe sans doute, mais je serais surpris que ce nom n’ait pas été choisi en référence à la canicule de 2003, qui avait tant marqué les esprits quelques mois au préalable.

En tous cas, les fidèles du révérend Bony Omeya sont prévenus :« Jésus est la source unique du véritable rafraîchissement  ».

Christian Rouet
août 2024

Cette publication a un commentaire

  1. Ph Coste

    Et oui rien de nouveau sous le soleil y compris la crédulité des hommes !
    En complément un éditorial d’une époque où l’idéologie épargnait la presse :
    l’Aurore du 6 août 1911 au coeur d’un été qui était alors l’année de tous les records :
    «En 627, on mourait de soif, toutes les sources étant taries; en 993 les végétaux prennent feu spontanément; en 1090 les rivières se dessèchent et on a toutes les peines du monde à tirer de l’eau des puits; en 1122, les hommes et les animaux qui s’aventurent au soleil tombent morts; en 1303 la Seine est à sec; en 1705 on fait cuire la viande au soleil; en 1793, les légumes grillent et le thermomètre marque 38°; en 1832 la chaleur est accompagnée du choléra et, à Paris, il y a vingt mille victimes; enfin en 1846, au mois d’août, on a enregistré 46° etc.
    Le soleil de 1911 peut-être ardent, il n’éclaire aucune nouveauté. »

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