La carte des chasses de Rambouillet
Le 1er juin 1718 un inventaire des meubles du château de Rambouillet, établi sur ordre du comte de Toulouse, signale « une grande carte du Duché de Rambouillet, peinte sur toile et ornée d’une belle bordure; (…) c’est un morceau magnifique dans son genre et qui a coûté dix mille écus » .
Cette carte, annotée par Louis XVI servira de modèle à un travail qui sera présenté à Napoléon en 1807 sous le nom de « carte des environs de Versailles ou des chasses impériales », et, après un séjour forcé en Allemagne, la carte du duché de Rambouillet décore depuis 1899 la salle du conseil de la mairie, sous le nom de « carte des chasses de Rambouillet. »
C’est son histoire que je vous raconte aujourd’hui.
La carte du comte de Toulouse
Dès le XVIIème siècle le territoire de l’Ile-de-France accueille les premiers essais de cartographie moderne, plus exacts que les assemblages de cartes parcellaires utilisés jusqu’alors.
Appliquant les principes de triangulation géodésique élaborés par l’Abbé Picard, La Hire dresse en 1693 « La Carte de France corrigée par ordre du Roy ».
«Ces messieurs de l’Académie m’ont fait perdre plus de territoires que tous mes ennemis » aurait dit Louis XIV, en découvrant le véritable dessin de la côte.
En 1747 Louis XV commande à Cassini, la première carte du royaume. Elle est à l’échelle d’une ligne pour cent toises, soit 1/86 400. Elle ne sera terminée qu’en 1818.
La carte du comte de Toulouse a vraisemblablement été commencée par son géographe, Nicolas Canut, et après sa mort en 1730, achevée par son neveu, Pierre Canut, directeur de la maitrise particulière des Eaux et Forêts, en utilisant les relevés effectués par Cassini pour ses cartes.
Lorsque Louis XV la découvre lors d’un séjour à Rambouillet, il l’apprécie au point d’en faire dresser une copie en 1764, et de la faire graver en 1766 par Guillaume de la Haye, réputé pour ses cartes militaires.
La carte des environs de Versailles ou des chasses impériales.
Louis XV apprécie tellement la carte du duché de Rambouillet, qu’en 1764 il demande à Jean-Baptiste Berthier, d’établir sur le même modèle, une carte de l’ensemble des forêts du sud de la Seine, qui serait la « carte des chasses du Roi ».
Berthier dirige le corps des ingénieurs géographes du Dépôt de la guerre, créé pour fournir à l’armée des cartes. Or la fin de la guerre de sept ans a privé ce service de ses missions militaires, et cette commande civile permet de justifier son maintien.
En fait il s’agit d’un ensemble de trois cartes composé de douze feuilles. Les deux premières cartes, décrivent, l’une, les environs de Rambouillet et de Saint-Hubert, et l’autre ceux de Versailles. En 1769 une troisième carte est commandée pour les forêts de Marly, de Saint-Germain, de Sénart, et les bois de Boulogne et de Vincennes.
Il s’agit d’oeuvres uniques, dessinées et peintes (encre, aquarelle et gouache). Leur dessin est d’une grande finesse, et elles constituent une description passionnante de notre pays dans la seconde moitié du XVIIIème siècle.
Dans le même temps Cassini travaille à la réalisation de sa carte de la France. En dépit de la précision de son travail, le roi est déçu du résultat, car la carte de Cassini ne peut naturellement pas prétendre à la précision et aux détails de la carte de Berthier. Les financements publics lui sont alors retirés, et c’est dans le cadre d’une société privée que Cassini poursuit son oeuvre. L’intérêt stratégique de cette carte conduira la Convention à nationaliser cette entreprise en 1793.
Voici, par exemple le détail comparé de ces deux cartes pour le site de Rambouillet.
Vous aurez noté que la carte de Cassini est orientée nord-sud, comme toutes nos cartes modernes, tandis que dans celle de Berthier, le sud est en haut, car on se place dans la situation du roi sortant de son château de Versailles.
En 1774, lorsque la carte des chasses est achevée, l’ensemble est jugé trop imposant et il est divisé en deux : nord, et sud, chaque carte incluant Versailles.
C’est Louis XVI qui en commande alors la gravure sur cuivre. Interrompus pendant la Révolution et le Directoire, ces travaux reprennent ensuite et c’est à l’Empereur Napoléon que la carte, terminée, est présentée en 1807. La carte des « chasses du Roi » est devenue entretemps carte des « environs de Versailles ou des chasses impériales ».
Les planches sont gravées à l’eau-forte et les détails additionnels, comme les parcs, les forêts… gravés au burin. Les graveurs sont spécialisés, les uns pour reporter le dessin topographique, et les autres pour y ajouter tous les symboles normalisés ainsi que les lettres.
D’après Sylvie Bourcier, (« La carte des chasses » 1972), il faut en moyenne « 8 mois pour une planche, soit : 2 mois pour graver les lettres, 2 mois pour les traits, 1 mois pour les reliefs, 10 jours pour les vignes et le reste du temps pour les eaux et les corrections. (…)
La durée du travail dépend de la longueur des jours donc des saisons car ce travail, pénible pour la vue, doit se faire à la lumière du jour ».
De 1775 à 1782 les cartes sont réduites au 1 : 28 800, et des tirages de la carte peuvent être mis en vente dès 1810. Grâce à ces cuivres, l’IGN a pu vendre ces cartes dans leur dimension première, jusqu’en 1980, et il en poursuit aujourd’hui la vente au format réduit.
Marouflées sur toile et montées sur châssis de bois, au cours de plusieurs époques, les cartes originales ont souffert de déformations : plis crispés, déchirures, taches de colle… et leur exposition prolongée à la lumière ainsi que leur suspension dans une salle surchauffée ont provoqué un fort brunissement du papier. Elles font actuellement l’objet d’une rénovation qui va durer deux ans de 2021 à 2023.
La carte de Rambouillet
En 1783 Louis XVI achète le domaine de Rambouillet. La carte est toujours au château.
A partir de 1787, elle est mentionnée dans l’appartement du roi, au premier étage, dans la salle dite « des Nobles ».
Un inventaire, réalisé en 1793, la situe dans la salle de billard, « avec tous ses ressorts, bordure et rideaux d’enveloppe », c’est à dire avec un système de contrepoids permettant donc de la descendre pour mieux l’étudier.
Lorsque les Prussiens occupent le château, en 1815, la carte est dite «dans l’antichambre du Roi ».
En effet Louis XVI travaillait personnellement à cette carte, lui apportant des corrections de sa main : des rendez-vous de chasse, des poteaux, des routes (dont certaines en projet)… Il peut ainsi concilier ses passions pour la chasse et pour la géographie.
Lorsque les troupes de Blücher quittent Rambouillet, la carte est emportée dans leur butin. Mais Louis XVIII attache de la valeur à ce document annoté par son défunt frère et demande qu’elle soit restituée à la France.
S’engage alors une correspondance suivie, dont nous avons le détail, entre des diplomates dont la parfaite courtoisie n’a d’égal que leur absolue mauvaise foi.
Le 4 décembre 1815 Blücher accepte de la restituer, mais avec une contrepartie :
« Informé par votre lettre et par la pièce incluse du grand prix que S.M. le roi Louis XVIII et toute sa famille attachent à cette carte, je ne manquerai pas de donner les ordres nécessaires pour qu’elle soit renvoyée à Sa Majesté du dépôt de Berlin; mais Votre Seigneurie trouvera juste qu’en échange je demande le délivrement du plan des contrées de la Meuse et du Rhin levé par Franchon, lequel nous a été promis par le traité de Paris et ne nous a pas été remis jusqu’à présent. »
Il faudra encore bien des échanges pour que la carte soit finalement rendue à la France en 1819. Elle n’a plus sa bordure.
En 1830 elle est transférée au château de Versailles, et en 1832 elle est de retour à Rambouillet.
Mais à cette époque le château est inoccupé, l’Etat cherche à le vendre ou le louer, et la carte est remisée dans les sous-sols.
En 1895, lorsque le château est aménagé pour l’installation de Félix Faure, elle est placée dans un salon du château.
Quatre ans après, à l’occasion de travaux de restauration et de modifications dans l’ameublement du château, la carte est déplacée dans les locaux de l’ancienne gendarmerie des chasses, où elle est déposée, roulée, en l’attente d’un nouvel emplacement.
Le conseil municipal de Marie Gautherin s’empresse alors de demander au ministère des Beaux Arts l’autorisation de l’installer dans la salle du conseil, et –fait rarissime– il obtient immédiatement son accord. Le président ne souhaitait donc probablement pas la revoir au château.
Oserais-je dire que je comprends la réaction de son décorateur ? Autant les détails de cette carte sont passionnants à étudier, autant ils sont difficiles à apprécier maintenant que la carte ne dispose plus du mécanisme qui permettait de l’amener à hauteur d’yeux. Quant à sa couleur brune (aujourd’hui blonde), sur laquelle quelques étangs ou canaux blancs donnent l’impression que des détails ont été découpés, elle a de quoi surprendre.
Mais son intérêt historique est naturellement incontestable.
Le Progrès de Rambouillet s’inquiète toutefois dans son édition du 8 avril 1899 : ce « curieux morceau de peinture auquel Louis XVI, habile géographe, a travaillé de sa main » va-t-il être suffisamment protégé ?
Plus d’un siècle après, on peut dire que ses craintes étaient heureusement infondées !
Classée monument historique le 14 octobre 1988, la carte a fait l’objet d’une restauration délicate en 1999, réalisée par « la Reliure du Limousin », un atelier spécialisé de Malemort-sur-Corrèze.
Éclaircie et doublée d’un nouvel entoilage elle a retrouvé ensuite sa place dans la salle du conseil, au premier étage de la mairie.
Christian Rouet
mars 2023