La Laiterie de la reine

La Chaumière aux coquillages et la Laiterie de la reine se trouvent souvent réunies dans les guides, parce qu’elles sont proches l’une de l’autre, et que les visiteurs sont invités à les découvrir en même temps, en prolongeant leur visite du château de Rambouillet.

Elles ont pourtant peu de points communs : la chaumière a été imaginée par le duc de Penthièvre, pour sa belle-fille, la princesse de Lamballe, quelques années avant, et des millions de coquillages ornent murs et plafonds. La laiterie a été voulue par Louis XVI pour son épouse Marie-Antoinette et son décor intérieur est d’une grande sobriété.

C’est elle que nous visitons aujourd’hui.

Caprice de roi

Attiré par la forêt de Rambouillet, le roi Louis XV n’a pourtant pas osé exiger que le duc de Penthièvre lui vende son château , et il s’est fait construire à la place le très beau château de Saint-Hubert, au bord des étangs de Hollande. Mais Louis XVI le trouvant trop exigu, le délaisse, et en 1783, il exprime le souhait d’acheter le château de Rambouillet. « Il est donc à vous, Sire », ne peut que répondre le duc de Penthièvre, qui encaissera la somme fort généreuse de 16 millions, et quittera son château, en emportant à Anet les cercueils de sa famille, précédemment déposés dans le caveau de la petite église de Rambouillet.

Or Marie-Antoinette est loin de partager l’enthousiasme de son royal époux pour un château qu’elle trouve ennuyeux et « gothique ». La « crapaudière », ainsi qu’elle le nomme, ne la tente pas, et c’est en célibataire que le roi vient profiter de Rambouillet. Ces séparations, dont bien des maris rêveraient, peinent le roi, très amoureux de sa jeune épouse.

Parmi les nombreux travaux dont il charge son gouverneur le comte d’Angiviller dans son nouveau domaine, il lui commande donc la construction d’une laiterie capable de séduire Marie-Antoinette.

Une laiterie

Au XVIIIème siècle, influencée par les idées de retour à la nature dispensées par Rousseau ou Diderot, une certaine aristocratie se rapproche du monde agricole. Pas question naturellement d’y travailler : une laiterie, telle qu’il s’en construit dans les châteaux ou certaines riches demeures, n’est pas destinée à la collecte du lait. Il s’agit seulement d’une pièce d’agrément où l’on déguste des produits laitiers (lait frais, fromages, crème, beurre…).

Catherine de Médicis s’en est fait construire une près de Fontainebleau. Louis XIV, en a commandé deux pour la ménagerie de Versailles, sur le modèle de la célèbre laiterie de Chantilly, aujourd’hui disparue, édifiée pour le prince de Condé. Une autre laiterie a été édifiée sous Louis XV, pour madame de Pompadour à la ménagerie de Trianon, et en 1785 Richard Mique a conçu pour la reine la laiterie de propreté du Petit Trianon à Versailles.  

En soi, l’idée d’offrir à Marie-Antoinette une laiterie dans le parc du château de Rambouillet, n’a donc rien d’original, et aurait pu y attirer la reine.

Sa construction

 Les plus grands artistes sont mobilisés pour ce projet : l’architecte Jacques-Jean Thévenin (en charge de tous les chantiers commandés par le comte d’Angiviller à Rambouillet), le sculpteur Pierre Julien, le peintre Piat-Joseph Sauvage et l’ébéniste Georges Jacob.

Le peintre paysagiste Hubert Robert, en charge de la conception du Hameau de la Reine au Trianon, et de nombreux parcs et jardins royaux prend la direction du projet.

Pour évoquer le premier vol en montgolfière, réalisé à Versailles en 1783, Thevenin donne à son projet le plan d’un ballon.

On y accède par une grille flanquée de deux pavillons circulaires, l’un et l’autre précédant une suite de petits édifices d’apparence rustique.

La laiterie proprement dite est précédée d’une ménagerie – ou basse cour. Elle a l’apparence d’un petit temple de grès blanc, entouré d’un bois d’essences exotiques.

Sa porte d’entrée est encadrée par deux colonnes toscanes qui soutiennent un fronton cintré. La mention Laiterie de la Reine est surmontée d’un médaillon qui représente une vache allaitant son veau.

L’intérieur est divisé en deux pièces communicantes.

La première est la salle de dégustation. Elle est ronde, surmontée d’un plafond-coupole décoré de caissons à rosaces et décorée sur son pourtour de cinq médaillons qui illustrent les travaux de la métairie.

Autour de la pièce, une console de marbre blanc permet de présenter les produits laitiers, dans le service de Sèvres spécialement conçu pour la laiterie. Et le centre est initialement meublé par une grande table en acajou.

La seconde pièce, salle de fraîcheur, est rectangulaire. Son fond est entièrement occupé par d’énormes rochers, creusés par une grotte, pour évoquer une nymphée, c’est-à-dire un abri naturel dédié par les anciens au culte des divinités des bois. Devant un bassin se détache le superbe groupe sculpté par Julien. Il s’agit probablement d’Amalthée, mère nourricière de Zeus, qui le nourrissait au lait de chèvre. « N’est-elle pas vivante cette chèvre qui se penche pour se désaltérer à une eau limpide coulant du rocher ? Et cette jeune fille qui avance doucement le pied vers l’onde qui l’entoure et jette un regard prudent autour d’elle, ne va-elle pas glisser de son siège rustique pour se plonger dans l’eau bienfaisante ? »(André Pascal, Société agricole et scientifique de Haute-Loire)
Il faut reconnaître que le contraste entre ce groupe de marbre blanc et la grotte de pierre de Vergelé aux rochers grossiers est saisissant.

Deux grands bas-reliefs évoquent des scènes mythologiques. Une verrière, intégrée dans la voûte, éclaire la pièce : aucune de ces deux salles ne dispose de fenêtres, et la lumière y est donc plongeante.

Le devis initial s’élevait à 143 000 livres, mais, comme tous les chantiers commandés en temps très limité par d’Angiviller, son dépassement de coût a probablement été important. Julien pour sa statue demandait 64 000 livres, et s’en voit proposer seulement 41 000 (qui ne lui seront pas payées entièrement).

La reine la découvre

Le 26 juin 1787, la reine accompagne Louis XVI à Rambouillet. On raconte qu’une palissade recouverte de feuillage lui cache la laiterie lorsqu’elle pénètre dans la ménagerie, et qu’elle a donc la surprise de la découvrir quand on la retire.

Les récits de cette visite inaugurale insistent sur l’admiration que tous éprouvent devant cette belle réalisation.

Un ensemble de sièges, fauteuils et tabourets en acajou, quatre guéridons ainsi qu’une grande table centrale ont été réalisés par le grand ébéniste Georges Jacob dans un style étrusque, à partir des dessins d’Hubert Robert. 

Un service de porcelaine a été exécuté par la manufacture de Sèvres : soixante-cinq pièces dont des seaux à lait (copies fidèles, en porcelaine, des habituels seaux en bois), des coupes, des tasses et un bol en forme de sein. Hubert Robert assisté de Jean-Jacques Lagrenée, l’ont dessiné en s’inspirant des pièces étrusques tout juste rapportées d’Italie par le diplomate Vivant Denon (qui prendra par la suite la direction du musée du Louvre).

Tout autour de la salle de dégustation et dans la grotte, des jets d’eau assurent une température fraîche à la pièce, et créent une délicieuse ambiance vaporeuse.

Il semble toutefois que la laiterie ne suffit pas à faire aimer Rambouillet par la reine, et c’est seul que le roi continuera à venir y chasser jusqu’à ce que la Révolution le prive de ce plaisir.

La Révolution

Le 21 mai 1791, le roi est dépossédé des biens de sa liste civile. Le château de Rambouillet est mis en vente mais ne trouve pas d’acquéreur. Julien est autorisé à présenter sa baigneuse au Salon de 1791, et elle est rapportée ensuite à Rambouillet.

Le 18 août 1796, un membre du « Conseil de conservation des objets d’art et de science » obtient que la Laiterie ne soit pas mise en vente en même temps que le château, au motif « qu’elle peut être un objet de curiosité pour les voyageurs, et que la sculpture fait connaître le talent distingué du citoyen Julien, sculpteur français ».

Il ne reste alors que 17 pièces du service de porcelaine. Elles sont envoyées au Musée spécial de Versailles. En août 1803, Joséphine Bonaparte les emporte à la Malmaison. 

Elle y fera placer de même, en mars 1797, les bas-reliefs de la laiterie et en 1799 les cinq médaillons de la salle de dégustation. Ne reste alors à Rambouillet que le médaillon du fronton.

Napoléon, lorsqu’il reçoit Rambouillet dans sa liste civile, décide de nombreux travaux. En 1807 il fait remettre en état la laiterie. Son sol, blanc comme les murs, à l’origine, est alors remplacé par le sol actuel, en damier de porphyre rouge, et une table ronde de marbre vient remplacer la table en acajou qui a disparu avec tout le mobilier.

La Jeune fille à la chèvre

En 1797, la statue de Julien est transférée au musée de Versailles. Puis, en 1803, elle vient décorer la rotonde du Sénat, au Palais du Luxembourg.

Le 26 avril 1816, la grotte de la laiterie reçoit en remplacement de la statue de Julien, une « Suzanne, surprise au bain » de Pierre Beauvallet, dont l’attitude est voisine.

la Suzanne de Beauvallet, et le groupe de Julien

En 1829, la statue de Julien est retirée du Sénat, et exposée au Louvre. Et ce n’est qu’en 1953 que l’échange entre ces deux statues lui permet de retrouver sa place à Rambouillet.

 

Christian Rouet
octobre 2024

 

 

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