Le Paris-Rambouillet-Paris de 1899

le Paris Rambouillet 2024Une quarantaine de voitures ont participé à la 8ème édition du Paris-Rambouillet, organisée par l’association rambolitaine « Renaissance Auto », le dimanche 26 mai 2024. Signe particulier : toutes étaient d’avant 1920 (et la plus ancienne datait de 1901).

Il s’agissait une fois de plus, pour ces collectionneurs passionnés de voitures anciennes, de commémorer la course Paris-Rambouillet-Paris de 1899.
C’est ce que je vais faire à mon tour, en revenant sur les débuts de l’automobile, l’organisation des premières courses et celle de 1899.
Autant le confesser tout de suite : j’ai souvent eu des voitures « vieilles » mais jamais « anciennes ». La différence ? Un ou deux zéros dans la cote d’occasion!

Les débuts de l’automobile

« Un automobile »! Quand le mot est accepté par l’Académie française, en 1875, il est masculin (un véhicule qui se meut de lui-même). Cependant, dès 1901 il est féminisé. Il est vrai qu’entre-temps, le 12 mai 1898, la duchesse d’Uzés, première femme à le passer, a obtenu son certificat de conduite.

Mm la duchesse d’Uzés; La Vie au grand air, 15 mai 1898

Le 7 juillet 1898, elle est verbalisée pour excès de vitesse, roulant à 15km/h au lieu des 12km/h autorisés dans le Bois de Boulogne (je n’ai pas trouvé d’explications quant à la façon dont a été effectué ce contrôle, d’une précision étonnante pour l’époque). Quoi qu’il en soit, l’histoire retient donc que la première femme au volant a pu conduire deux mois avant d’être verbalisée. Je ne ferai aucun commentaire.

A la fin du XIXème siècle, les premiers véhicules de série sont produits : les Panhard & Levassor en 1891, les Peugeot, les Delahaye en 1894, les Renault en 1898, les Delage en 1911…et quantité d’autres marques dont seuls se souviennent aujourd’hui les connaisseurs : les Bollée en 1895, les Herlicq en 1898, les Gladiator en 1900, les Darracq en 1901, les De Dion-Bouton en 1902, les Maxwell en 1904, et encore bien d‘autres…

Déjà en 1897 il y a assez d’automobiles en circulation pour que les meilleurs restaurants d’Yveline proposent à leurs clients fortunés un « garage vélocipédique et d’automobiles », en complément de leurs anciennes « remises et écuries ».

Et très vite les journaux relatent les premiers accidents : des freins ont lâché, une automobile a effrayé des chevaux etc…

Le 10 juin 1899, le préfet de Seine-et-Oise publie un décret qui limite la vitesse à 20km/h en agglomération et 30km/h en campagne. « Voilà qui est très bien, commente le journaliste du « Progrès de Rambouillet », seulement, la difficulté sera de constater ces vitesses, et surtout d’attraper les délinquants pour leur dresser procès-verbal! »

Le 2 septembre 1899 ce même journaliste signale cependant qu’un maire a trouvé le moyen de « mettre MM les chauffeurs à la raison : il a posté son garde-champêtre à l’entrée du village, et quelques pompiers avec une auto-pompe au milieu. Si le chauffeur refusait de s’arrêtait, le garde-champêtre agitait son drapeau et aussitôt les pompiers venaient placer leur véhicule en travers de la route… »

Notons qu’entre M. Gautherin, maire en 1900, et Mme Matillon, maire en 2024, les automobiles ont donc bénéficié de 124 années de progrès techniques pour que leur vitesse dans l’agglomération de Rambouillet puisse passer de 20 à 30 km/h. L’invention la plus remarquable est donc celle du radar, tellement plus efficace qu’un barrage de pompiers pour sanctionner les contrevenants !

Cependant certaines municipalités vont plus loin : Ville-d’Avray, par exemple, réduit la vitesse « à celle d’un cheval au trot, soit 12km/h » (arrêté du 6 juin 1902).

Quant à la loi du 13 juillet 1900, elle s’empresse de taxer les automobiles : « 20 fr dans les villes de 10 000 âmes, et 40 fr dans les villes plus importantes pour les véhicules de 2 places, 40 fr et 75 fr pour les véhicules de plus de deux places, plus 5 fr par cheval-vapeur ».

Je relève, au passage, que le terme de cheval-vapeur était utilisé de façon plus systématique qu’aujourd’hui.
C’est ainsi, par exemple que les statistiques nationales de 1906 qui nous apprennent que 31 286 automobiles sont imposées en France, précise que cela correspond à 337 016 chevaux-vapeur. Aujourd’hui, nos 38 millions d’automobiles doivent correspondre environ à 3,8 milliards de chevaux-vapeur, mais il me semble que les statistiques ne les comptabilisent plus. L’automobiliste utilise plus souvent le terme de vache-à-lait que celui de cheval-vapeur.

Il est frappant de constater, à la lecture des journaux, que l’automobile est alors mal aimée de ce grand public qui n’a pas les moyens d’en avoir une. Parce qu’elle est produite de façon artisanale, la voiture est chère. Parce qu’elle est chère elle est réservée à une clientèle fortunée, et il s’agit donc d’un marqueur de classe sociale au même titre qu’un cheval de prix.

Et de plus, les automobilistes sont responsables d’un grand nombre d’accidents. Les articles de presse sont nombreux à s’élever contre les excès de vitesse. Il faut admettre que l’état des routes les rend dangereuses, et que les animaux ou les enfants qui jouent ou traversent en sous-estimant la vitesse d’une automobile et la distance qu’il lui faut pour s’arrêter encourent de grands dangers.

Le Préfet de Seine-et-Oise multiplie donc les règlements, et en particulier contre les courses.

« J’ai l’honneur de vous rappeler qu’aux termes du règlement du 10 mars 1899 aucune course automobiles ne peut avoir lieu dans le département sans avoir été autorisée par arrêté préfectoral. (…) Tout arrêté d’autorisation qui aura été pris par mes soins prescrira l’apposition à l’avant et à l’arrière de chaque véhicule qui prendra part à la course, d’un numéro très apparent qui permettra de reconnaître le conducteur dont l’allure serait une cause de danger contre la sécurité publique et contre lesquels des contraventions pourront être dressées. » (Le préfet de Versailles, dans le « Progrès de Rambouillet » du 21 avril 1900).

Et le 28 avril 1900, ce même journal informe ses lecteurs que

« pour donner satisfaction aux voeux qui lui parviennent de tous côtés, M Le Préfet de Seine-et-Oise a refusé la semaine dernière trois autorisations de courses automobiles (Paris-Lille, Paris-Lyon et Paris-Bordeaux). »

On assiste à une multiplication des courses, comme cela avait été le cas des courses cyclistes quelques années auparavant. Leur succès conduit chaque année leurs organisateurs à en imaginer de nouvelles, plus longues, plus rapides, plus originales…

Les voitures sont souvent conduites par leur concepteur. Une victoire leur assure la notoriété et remplit leur carnet de commandes.

Comme pour le cyclisme, ce sont des organes de presse qui organisent les premières courses. En 1894 le « Petit journal » organise le premier Paris-Rouen « concours par élimination sur des itinéraires divers et par un jury dans chaque voiture » .

En 1895 le Paris-Bordeaux-Paris est la première grande course, avec passages obligatoires dans plusieurs grandes villes. L’année suivante a lieu le Paris-Marseille-Paris, organisé par l’Automobile Club de France (ACF), créé l’année précédente.
En 1899 ont lieu un Paris-Trouville, un Paris-Ostende, un Paris-Rambouillet-Paris, et, en association entre « le Matin » et l’ACF, le premier Tour de France automobile.

le Paris-Madrid à l’étape de Versailles 29 mai 1903

Je mentionnerai seulement, parmi les très nombreuses courses régionales, celle du « Circuit du nord à l’alcool », organisée conjointement par l’ACF et le ministère de l’agriculture, en 1902, pour  promouvoir l’éthanol comme carburant. On sait que l’abondance et le prix sans concurrence du pétrole ont fait abandonner cette voie… redécouverte un siècle plus tard.

En mai 1903 le Paris-Madrid est interrompu à Bordeaux après plusieurs accidents qui ont fait six morts et neuf  blessés. Le pilote (et concepteur d’automobiles) Marcel Renault, dont la voiture fait un tonneau, succombe quelques heures après, comme est décédé Emile Levassor (de Panhard-Levassor) après la course Paris-Marseille-Paris, où il avait tenté d’éviter un chien.

« l’Etincelle de Seine-et-Oise », s’interroge le 16 juin 1907, après le décès de deux autres pilotes :

«Mais pourquoi aller si vite? Parce qu’ils s’entraînaient pour une course de vitesse. Il est certain qu’il faut bien que ces gens-là fassent de l’entraînement, qu’ils essayent leur voiture, leur coup d’oeil et leur endurance. Pour cela il leur faut des routes. Et comme il n’y en a pas d’autres ce sont les routes de tout le monde, des piétons et des cyclistes dont ils se servent. Le remède à cela est clair : créer des routes à l’usage des automobiles ou interdire les courses de vitesse. » 

 Cependant la vitesse a aussi ses défenseurs, comme le marquis de Dion (7 novembre 1903 dans « le Réveil de Rambouillet ») :

« Le danger de la vitesse est d’ailleurs relatif car le véhicule automobile fait chaque jour des progrès sous le rapport de la maniabilité. Enfin, on peut espérer que les pouvoirs publics feront en sorte que la route soit de plus en plus policée. Elle a été établie en réalité pour les voitures et non pour servir de basse-cour ou de lieu de récréation. Cette vérité sera connue de tout le monde le jour où tout le monde sera chauffeur, et ce jour n’est pas aussi éloigné que l’on croit. »

Au conseil municipal de Versailles, le 28 mai 1906, un conseiller a bien une solution, mais elle ne sera pas retenue.

En 1904 le Conducteur principal des ponts et chaussées de Versailles, M. Pancrazi réalise un essai de goudronnage de 2km de la RN 10, entre Versailles et Saint-Cyr-l’Ecole. Cependant, il en faudra encore bien d’autres, avant que les chaussées du département ne permettent aux automobiles de rouler dans de bonnes conditions.

Quoi qu’il en soit, on commence à parler d’autodromes et en 1907 le maire Marie Roux propose d’en créer un. Rambouillet aurait ainsi possédé le premier circuit automobile de France.

Cependant le projet n’aboutira pas, et le 15 octobre 1924 c’est à Linas-Monthléry que sera inauguré l’autodrome « Parc national des sports ».

Paris-Rambouillet-Paris

En octobre 1899 le journal, « le Sport universel illustré » organise durant deux jours une grande fête automobile. Le mercredi 18, devant plus de 5000 spectateurs, a lieu, au Bois de Boulogne un défilé de voiturettes concourant pour le prix de l’élégance; Elle sont jugées aussi sur leur maniabilité. Le prix est remporté par Mlles Claire Price et de Wilford sur Stanley.

Le journal se fait lyrique :

« Les voiturettes sont toutes exquises et se dirigent avec une facilité surprenante. (…) Et puis ces petits bijoux sont dirigés par de jolies, si jolies femmes qu’elles semblent elles-mêmes faire partie intégrante de la voiturette, digne cadre de ces jolies chauffeuses, comme posées au milieu d’un coussin de fleurs aux couleurs fines, discrètes et harmonieuses. »

Les voitures exécutent ensuite un carrousel, et un gymkhana termine la journée.

Le lendemain, jeudi 19, 35 concurrents, classés en trois catégories prennent le départ pour un parcours de 104km qui les amène du Pont de Suresnes, à Rambouillet en passant par Versailles, avant de les ramener Porte-Maillot. Il n’y a que 12 abandons, pourcentage très faible pour l’époque.

Un handicap est donné aux voitures afin de compenser les écarts de motorisation : les véhicules A (2cv et en dessous) partent à 8h, les B (2 à 3cv) à 8h30 et les C (3cv et plus) à 9h.

En catégorie A, Louis Renault arrive le premier, ayant parcouru les 104km en 2 heures 49 minutes, devant son frère Marcel, qui termine 42 minutes plus tard. En catégorie B, Auguste Doriot sur sa Peugeot signe le meilleur temps  en 2h 38 Et c’est une Hurtu qui remporte la catégorie C en 3 heures 11 minutes.

La Marot-Gardon qui avait été particulièrement admirée la veille n’a pas pu prendre le départ, son usine de Levallois ayant brûlé durant la nuit !

Parti 30 minutes avant la Peugeot, la Renault passe donc la première la ligne d’arrivée, bien qu’elle ait mis 11 minutes de plus qu’elle pour faire les 104km, et c’est donc Louis Renault qui remporte la course. Rappelons que partir en tête était alors un véritable avantage, car avec les nuages de poussières soulevés sur les routes, il était particulièrement dangereux de doubler un concurrent.

Une remarque : je n’ai pas trouvé d’explications claires quant aux catégories ainsi définies, selon des critères changeants, pour chaque course. Elles donnent l’impression d’exister surtout pour permettre à un plus grand nombre de concurrents d’obtenir un prix, et de pouvoir ensuite l’exploiter dans sa publicité !
C’est ainsi que les deux Renault sont décrites comme ayant un moteur de 2cv1/4, dans la course Paris-Rambouillet-Paris. Elles auraient donc dû concourir en série B (2 à 3cv), et non A (2cv et moins) !

De la même façon, Renault se vante de ses résultats dans le Paris-Trouville (1er et 2ème prix) alors que cette course a été remportée par Antony sur Mors, ou dans ceux du Paris-Ostende (1er et 3ème prix) remportée en réalité par Girardot sur Panhard : il s’agissait donc de prix dans une sous-catégorie quelconque.

En tous cas, à l’issue de ces deux journées, les organisateurs peuvent se vanter d’avoir atteint leur but : « vaincre l’incrédulité du public, le convaincre que toutes ces voiturettes-bijoux, si coquettes dans les stands des expositions, joignaient à la grâce la résistance carrossable et la force véhiculatoire. »

Les amateurs aimeront lire que la Renault du vainqueur disposait d’un moteur de Dion de 2cv 1/4, placé à l’avant, avec un carburateur système Longuemare, et une transmission originale, qui permettait avec ses trois vitesses, d’obtenir de 5 à 8, de 8 à 15 et de 15 à 30km/h. Une manivelle placée à l’intérieur permettait le démarrage; la voiturette comportait deux freins; la caisse, très légère était indépendante du châssis, et toutes les pièces de transmission baignaient dans l’huile, ce qui atténuait le bruit.

« Et sous ses dehors légers, quelle robustesse, quelle puissance et quelle déconcertant confort !» (« le Sport universel illustré .»)

Quand je vous aurai dit qu’elle ne coûtait que 3500 francs (à peine 10 ans de salaire) vous regretterez que votre grand-père ne l’ait pas achetée (et ne vous l’ait pas transmise pour vous permettre de participer en 2024 au Paris-Rambouillet de Renaissance Auto) !

Je n’ai pas trouvé d’article relatant cette course dans les journaux de Rambouillet. Sans doute, puisqu’il s’agissait d’une simple étape, n’avait-elle pas mobilisé le public ?
La presse nationale, par contre, relate la course : le 20 octobre, « le Figaro » en donne les résultats pour les trois catégories, en y évoquant la Marot-Gardon… qui n’y a finalement pas participé!
« Le Journal » du 20 octobre salue les performances de la Renault, le journaliste précisant qu’il avait pu lui-même l’essayer avec succès dans la montée de la rue Royale à Saint-Cloud (une pente à 17% !).

Le Paris-Rambouillet moderne

première édition, juin 2010

En 2010 le Paris-Rambouillet renaît, avec deux différences de taille : d’abord la course se termine à Rambouillet, sans retour à Paris, ensuite il ne s’agit plus d’une course de vitesse. C’est  maintenant une promenade commémorative : une manifestation devenue avec le temps, l’une des plus cotées du genre, résultat d’une remarquable mobilisation de tous les membres de l’association Renaissance Auto de Rambouillet. ¨

le circuit de la première édition

En 2024, les heureux participants, outre le plaisir de faire rouler leur cher véhicule plus que  centenaire, ont profité de la traversée de Paris, depuis l’Ecole Militaire, d’une halte devant le château de Versailles, d’un déjeuner au château de Dampierre, avant d’arriver devant celui de Rambouillet.

Et tout ceci sans une goutte de pluie (détail appréciable pour ces voitures rarement couvertes, et assez inespéré en ce mois de mai !)

Je ne décris pas davantage cet événement autant apprécié des participants que du public, massé tout le long du parcours.

Le journaliste Philippe Cohen, qui a réussi à prendre place à bord d’un Rochet-Schneider, vous en dit plus dans le numéro 3988 du journal « Toutes les nouvelles ».

De nombreux photographes ont également alimenté leur page FaceBook : il est difficile de regarder une voiture ancienne, sans vouloir aussitôt la photographier, à notre époque où toutes les voitures modernes ont perdu en originalité et en charme ce qu’elles ont gagné en performances et en sécurité.

Christian Rouet
juin 2024

Cet article a 2 commentaires

  1. Vincent

    J’avais lu quelque part (mais je n’arrive plus à retrouver où) qu’à l’époque de la duchesse d’Uzès, c’était devenu très à la mode, dans les cercles autorisés, de pouvoir déclarer que l’on avait reçu une contravention pour excès de vitesse au Bois de Boulogne. Et tous les gens distingués dans leurs clubs exhibaient avec fierté le petit papier qui attestaient de leur « exploit ».

    1. christian Rouet

      Je ne sais pas si elle est vraie, mais l’anecdote est vraisemblable. Au fond, outre la preuve qu’on est au-dessus de la loi, cette contravention ne prouve-t-elle pas que l’on a une voiture plus puissante que celle du voisin ?

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