au 2, rue de la République

Voici une façade que les Rambolitains connaissent bien, et beaucoup se posent des questions : quelle est l’histoire de cet immeuble à l’architecture si particulière ?

le 2 rue de la République
le 2 rue de la République

Plusieurs abonnés m’ayant interrogé, j’ai tenté de trouver quelques informations, pour m’apercevoir   qu’il en existe bien peu. Voici donc un article qui avance plus d’hypothèses que de certitudes. Si quelqu’un peut nous apporter des précisions complémentaires, qu’il n’hésite pas à réagir !

Jusqu’en 1862 la rue principale de Rambouillet, devenue rue Nationale le 13 mai 1848 dans le bel élan patriotique qui suivait la « révolution de février » et l’avènement de la Seconde République (rue de Gaulle aujourd’hui) était bâtie de façon continue, côté nord, depuis la rue des Petits-Champs (rue Clemenceau) jusqu’à la rue de Penthièvre.
Ses maisons étaient souvent prolongées par des jardins jusqu’à la rue d’Angiviller, laquelle reliait seulement la rue de Penthièvre à celle des Petits-Champs.

J’ai rappelé comment il a été finalement décidé de construire l’église Saint-Lubin à son emplacement actuel, après plusieurs autres projets. Relier la place de l’église à la rue principale devenait alors indispensable, et la rue de l’Eglise, ou rue Napoléon III (avant de devenir en 1883 rue de la République) a ainsi été créée.

Elle l’a été en deux étapes. Une première, pour relier la rue Nationale à la rue d’Angiviller, et une seconde pour relier cette dernière à la place de l’Eglise.
C’est cette première étape seule qui nous intéresse aujourd’hui.

Le percement de la rue

En 1862 la ville achète les terrains référencés 447 et 448 au cadastre de 1830 (voir plans).

Le bâti consiste en un immeuble sur la rue Nationale, avec porche donnant accès à une cour carrée, fermée par un immeuble à gauche, avec façade sur la rue Nationale, et un immeuble au Nord sur toute la largeur du terrain.

Ces terrains sont bordés à gauche par la propriété de Me Garreau, greffier au Tribunal de Paix et à droite, par notre immeuble, propriété d’Isidore Poussin. Y sont aussi recensés en 1861 les familles de Michel Brandin, peintre vitrier, et de Jules Trouvé, vannier.

 

Sur un plan de 1784 publié par Jean Blécon (Le Palais du Roi de Rome, 2004) la cour est indiquée « Chasse royale » mais je n’ai pas trouvé de précisions quant à l’activité qui s’y exerçait. Ni de description : le sol était-il au niveau de la rue Nationale ? Quelles étaient ses différentes ouvertures  ?etc…

Pour le moment l’immeuble qui va devenir le 2 rue de la République est donc accessible uniquement par sa façade de la rue Nationale. Nous ignorons s’il a des vues sur la cour : il est fort possible que le mur soit aveugle.

En tous cas, la ville n’achète que pour percer une rue. Pour cela elle procède donc en 1863 à la destruction des bâtiments (en jaune sur le plan n°2) et un premier tronçon de la rue de l’Eglise relie ainsi la rue Nationale à la rue d’Angiviller. L’immeuble du côté ouest ne gêne pas et peut donc être conservé.

Conséquence de cette démolition : l’immeuble Poussin borde désormais sur toute sa longueur la nouvelle rue.

Dans les recensements de 1872, 1876 et 1881 des habitants sont indiqués seulement dans l’immeuble ouest de la rue (côté impair). Il faut attendre celui de 1886 pour trouver des domiciliations côté Est (pair). Pendant longtemps l’immeuble du 2 rue de la République a donc continué à communiquer seulement avec la rue Nationale (au numéro 47).

publicité Labouret 1935

Par la suite une porte est percée, et permet des entrées différentes : c’est ainsi qu’en 1912 l’assureur Edmond Noguette est domicilié au 2 rue de la République, tandis que son bureau est toujours au 47 rue Nationale. Georges Huet reprend son portefeuille en 1914 à la même adresse.

Il semble que ce soit Henri Labouret, successeur de Huet, qui communique le premier sur le double accès (ici publicité de 1935).

La façade qui nous intéresse, et notamment la création d’un accès rue de la République, a donc été réalisée entre 1863 et 1886. Elle l’aurait sans doute été plus précisément entre 1881 et 1886, mais je n’ai pas trouvé d’information permettant de donner une date plus précise. 

Qui en est l’architecte ?

détail de la frise

Le nom d’Anatole de Baudot est considéré comme une hypothèse sérieuse. On sait que les architectes ne faisant pas de publicité, c’est généralement la réussite d’un chantier qui leur amène de nouveaux clients. Qu’après avoir réalisé Saint-Lubin, consacrée en 1872, il lui ait été confié ce second chantier est donc une hypothèse tout à fait crédible.

détail de façade projet A.de Baudot 1894. Coll TH. Liot

Les petites colonnes et les figurines des éléments de la corniche pourraient très bien évoquer les détails de Saint-Lubin dans le style néogothique cher à son maître Violet-le-Duc,

Beaucoup plus probant : l’historien Thierry Liot (il termine un ouvrage sur Rambouillet qui sera prochainement publié par l’association PARR) a retrouvé un projet de façade de 1894, imaginé par A. de Baudot qui comporte bien des ressemblances avec notre façade, ainsi que vous pouvez en juger.

De mon côté, explorant les mêmes pistes, j’ai trouvé dans La Revue des Arts Décoratifs, tome XIV de 1893-1894, le détail de la cheminée dont A.de Baudot a confié la réalisation, pour son hôtel personnel, au céramiste Auguste Delaherche.

Comme on le voit, il s’agit d’une alternance de fleurs, ouvertes ou en bouton, en grès émaillé.

Or, sans être absolument identiques, elles ressemblent énormément à la fleur ouverte, et aux fleurs en bouton de la façade de Rambouillet.

Je me suis amusé ici à remplacer les fleurs de la cheminée (malheureusement en N&B) par celles de la rue de la République, sous Photoshop, en conservant la proportion existante entre les grandes et petites fleurs.
Avouez qu’il y a une certaine similitude, même si le nombre de pétales n’est pas exactement le même.

Néanmoins, je ne prétends pas que cela constitue une preuve absolue, car j’imagine que ce motif floral a pu être largement utilisé.

Un bref rappel : « Anatole de Baudot s’est illustré dans deux directions dans une carrière de 40 ans (1870-1910) :

  • la restauration, à la suite de son maitre Violet-le-Duc. Il est nommé vice-président de la commission des monuments historiques en 1880, Il est le premier et seul titulaire de la chaire d’architecture française créée en 1887 au Trocadéro.
  • La construction neuve, dans la lignée rationaliste de Henri Labrouste (dont il a suivi l’enseignement). Il associe différents matériaux (parfois à la pointe du progrès) pour leur qualité structurale : ossature métallique, briques, pierre de taille, ciment armé. » (Wikipedia) C’est ainsi que pour Saint-Lubin (1871) il a utilisé des colonnes de fonte pour une répartition inédite des charges de la voûte, permettant d’éviter l’emploi d’arcs-boutants et de réduire la taille des contreforts.

La similitude avec les grès émaillés de cette cheminée, dûs au grand céramiste Auguste Delaherche, pourrait-elle conduire à lui attribuer ceux de notre façade ? Ce serait une heureuse surprise.

Céramiste, potier, sculpteur, Delaherche produit ses premières oeuvres vers 1883. En 1887, à l’exposition des arts décoratifs de Paris, il reçoit une première médaille d’or, puis une deuxième, lors de l’exposition universelle de 1889.
Il est reconnu comme pionnier et maître de l’art nouveau. Ses vases, ses coupes, ses plats sont  exposés dans de nombreux musées, mais il ne semble pas connu pour des réalisations architecturales, comme l’ont été plusieurs de ses confrères, comme Alexandre Bigot.

Si la cheminée a été, non seulement réalisée, mais aussi dessinée par Delaherche, on pourrait alors en conclure qu’il a pu intervenir préalablement pour la façade de Rambouillet. Toutefois, si la cheminée a été dessinée par A. de Baudot lui-même, rien ne permet de penser qu’il n’a pas fait appel à deux céramistes différents. Je laisse les spécialistes y réfléchir.

juillet 2022

Ceci nous indique, en tous cas, que dans notre ville, qui ne possède pas tellement d’immeubles d’un intérêt architectural particulier, celui-ci mériterait une remise en état.

On ne peut pas dire, en effet,  que dans son état actuel il fasse honneur au centre ville, mais je suis sûr que cet immeuble retrouvera un jour le charme qu’il a pu avoir et que mérite son emplacement exceptionnel.

Accessoirement, je suis curieux de savoir comment pourraient-être traitées les deux ouvertures murées de gauche. Un trompe l’oeil serait-il envisageable ? La pose de tels volets métalliques ne serait certainement pas autorisée aujourd’hui : celui de la porte ne pourrait-il pas au moins être retiré ?

Mais je sors là de mon rôle de chroniqueur du Pays d’Yveline (et de mes compétences !).

Il y a pour de tels dossiers, des architectes du patrimoine : j’espère que l’un d’eux sera, un jour prochain, mandaté pour la remise en état de qualité que mérite cette façade.

Christian Rouet
juillet 2022

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