De Rambouillet aux colonies...
A Rambouillet, comme dans toutes les villes, le conseil municipal a donné à nos rues le nom de personnalités locales ou nationales : des hommes politiques, des généraux… On trouve aussi des savants, des artistes, des écrivains…
De nombreux noms sont en rapport plus direct avec la géographie de notre région, avec sa faune ou sa flore, avec son activité économique, et naturellement avec la chasse ou l’équitation…
Certaines rues ont reçu un nom révolutionnaire, et d’autres, un peu plus tard, le nom d’une victoire napoléonienne, mais elles l’ont vite perdu lors du changement de régime.
Cependant aucun nom n’évoque l’empire français, les découvertes ou conquêtes d’outre-mer, les guerres coloniales… Et naturellement, il n’y en aura plus jamais, notre époque étant celle de la repentance. La seule exception concernait la place René Masson, mais un conseil municipal a jugé nécessaire de la supprimer : il est vrai qu’elle évoquait un épisode peu glorieux de notre histoire !
Pourtant, des générations d’enfants ont été élevés dans la fierté de l’oeuvre coloniale. Ils apprenaient à l’école (L. Abensour-L. Planel « La Géographie documentaire », CEP 1939) :
« La colonisation se justifie donc par la mission civilisatrice des peuples blancs.
La France est, de toutes les grandes puissances coloniales, celle qui a le plus complètement et le plus consciencieusement rempli cette mission. Tous nos grands fondateurs d’empire estimèrent toujours qu’ils avaient une haute mission à remplir : organiser les pays soumis, améliorer la vie des populations, les initier peu à peu à notre civilisation et à notre langue, collaborer avec eux en respectant leurs coutumes et leur religion.
La conquête, en effet, n’est pas pour eux un but, mais un moyen pour assurer la paix et la sécurité sans lesquelles rien n’est possible. Ecoutons Gallieni : «Au fur et à mesure que la pacification s’affirme, le pays se cultive, les marchés rouvrent, le commerce reprend. Le rôle du soldat passe au second plan. Celui de l’Administrateur commence. »»
Et il faut nous souvenir que beaucoup l’ont cru sincèrement. Durant plus d’un siècle, tous les officiers en poste à Rambouillet (armée et gendarmerie), de même qu’un grand nombre de fonctionnaires de la justice, ou de cadres des services publics, ont exercé une partie de leur carrière en Algérie ou en Afrique, avant ou après avoir été en poste à Rambouillet.
Je voudrais citer ici trois Rambolitains dont la carrière s’est exercée dans l’empire colonial français, et qui sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.
Joseph Alexandre Le Brasseur
Joseph est né à Rambouillet le 19 novembre 1741. Son père Pierre était régisseur du duc de Penthièvre, pour ses propriétés de Rambouillet et de Crécy.
Le duc, jugeant l’enfant particulièrement intelligent, lui paye ses études, et le fait entrer dans l’administration de la marine.
En 1763, à 22 ans, il est ainsi commis des colonies, à Rochefort, à l’île d’Aix puis à Bordeaux, avant de s’embarquer à bord de la frégate « La Dédaigneuse » en 1767.
En juin 1773 il obtient le brevet de commissaire de la marine, et l’année suivante, nommé Ordonnateur dans l’île de Gorée, il commence une carrière qui l’emmènera dans toutes les colonies royales.
Voici la description qu’il donne de l’île de Gorée, restituée à la France par le traité de Paris, en 1763. Une terre aride qui sert de base aux négriers de la côte de Guinée :
« Cette île a la forme d’un jambon. Elle est très peu alimentée en eau. Tout y est à refaire. Il n’y a pas de femmes blanches. Les hommes y ont attiré des négresses qui, malgré leur couleur noire, « méritent d’être aimées ». Les métisses, nées de ces unions ont beaucoup plus la couleur blanche. Les mulâtres, ou matelots ou employés, étant nés de Français ne sont pas considérés comme des esclaves. »
En 1778 il prend un congé d’un an en France, puis travaille au Cap en 1779, à Saint-Domingue en 1780, dans l’île de France (île Maurice), et enfin dans l’île de Bourbon (la Réunion). Sa santé se délabre. En 1788 il est nommé intendant général des fonds de la marine et des colonies, et en 1792 il prend sa retraite et rentre vivre à Paris.
Le Brasseur fréquente le club Massiac, où se réunissent les riches colons de Saint-Domingue lorsqu’ils viennent à Paris. Or certains de ceux-ci sont suspectés de conspirer en faveur du roi.
En raison de ses relations, Le Brasseur fait donc l’objet d’une mise en examen. Son domicile est perquisitionné, et le 4 juin 1794, malgré l’absence de documents compromettants, il est traduit devant le comité révolutionnaire. L’accusateur public Fouquier-Tinville obtient, sans aucune preuve, sa condamnation à mort « pour avoir conspiré contre le peuple français (…) en entretenant des relations et intelligences directes et indirectes avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, en leur fournissant des secours en numéraire. »
Le Brasseur est exécuté le 15 juin 1794, sur la place de la Porte Saint-Antoine et son corps est jeté dans la fosse commune de Picpus.
Gustave Besnard
(Armand Louis Charles) Gustave nait à Rambouillet le 11 octobre 1833.
Joseph, son grand-père était venu prendre le poste de médecin de l’hospice de Rambouillet à la fin du XVIIIème siècle. Il avait été conseiller municipal. Durant l’occupation prussienne de 1815, il avait eu la lourde tâche de recevoir les nombreux cortèges de prisonniers. Certains étaient porteurs de maladies contagieuses et une épidémie de typhus s’était alors déclenchée. Le docteur Besnard en avait réchappé, mais, affaibli, il était mort peu de temps après, le 31 mars 1815.
Augustin, le père de Gustave, avait fait des études de droit et s’était installé à Rambouillet comme notaire royal en 1827. Comme son père, il était entré au conseil municipal. Il avait été adjoint au maire, et s’était occupé du bureau de bienfaisance.
Le jeune Gustave ne choisit ni la médecine comme son grand-père, ni le droit, comme son père, mais… la marine.
Il passe le concours de l’Ecole Navale et gravit ensuite les échelons d’une carrière militaire exemplaire.
Il est en poste au Kamtchaka durant la guerre de Crimée, puis en Cochinchine, et enfin sur la côte africaine. En 1870 il est détaché sur terre, avec le grade de colonel, dans l’armée de Bretagne.
En 1880 il se retrouve à la tête de l’Etat Major Général dans le cabinet Gambetta. A la chute du ministère il repend la mer, et en 1886 il est nommé contre-amiral. Il commande de 1890 à 1892 la Division Navale d’Extrême-Orient et le 14 février 1892 il devient vice-amiral. De 1893 à 1895 il est Préfet maritime de Brest.
S’ouvre alors pour lui une seconde carrière, plus politique que marine : il est ministre de la Marine de janvier à octobre 1895, puis à nouveau d’avril 1896 à juin 1898.
Gustave Besnard se retire ensuite en Bretagne, au château de Rohu, où il décède le 13 juillet 1903.
Une petite chapelle du cimetière de Rambouillet abrite les tombeaux de son grand-père et son épouse, de ses parents et de plusieurs autres membres de sa famille, mais lui-même est inhumé au cimetière de Passy.
Pierre-René Masson
Il est né 3 place Marie-Roux le 13 décembre 1845. Son père était avoué à Rambouillet.
Après des études au lycée de Versailles, il entre à Saint-Cyr en 1864, puis fait l’école d’état-major dont il sort 4ème en 1869.
En 1870 il participe aux batailles de Borny, Gravelotte et Saint-Privat et il est fait prisonnier à la capitulation de Metz.
Nommé capitaine, il participe en 1870 à la répression contre la Commune comme aide de camp du général Daguerre.
De 1871 à 1873 il sert dans un régiment de zouaves à Alger, puis à Oran en 1874. Devenu aide de camp du général Carteret-Trécourt à Constantine, il est blessé en 1876 à El-Amri (près de Biskra) où l’armée mâte un soulèvement de la tribu des Bou-Azid.
A cette époque la France a conquis un vaste empire africain qui va du Sahara au golfe de Guinée, et la conquête de l’Algérie (qui a été beaucoup plus compliquée que prévu) est officiellement terminée.
Le 7 novembre 1879, le ministère des travaux publics charge le colonel Flatters « de reconnaître le pays situé au sud de la province de Constantine, en vue de l’établissement d’un chemin de fer transsaharien » entre l’Algérie et le Niger.
Pour bien marquer le côté civil de sa mission, Flatters prend la route avec un détachement militaire réduit, mais il se heurte à l’hostilité des tribus locales, et doit rebrousser chemin le 17 mai, sans avoir pu remplir sa mission.
Il prépare aussitôt une seconde expédition, avec une troupe plus importante de 93 soldats indigènes chargés de la protection d’une équipe d’ingénieurs et géographes. En tout 7 Français, dont René Masson, chargé de seconder le colonel Flatters à la tête de l’expédition.
Le 4 décembre 1880, la colonne prend le départ, consciente de l’hostilité des Touaregs, mais confiante dans l’importance et l’armement de la troupe.
Le 16 février 1881, la colonne Flatters est attaquée au nord-est de Tamanrasset. Les 7 Français sont tués, et seuls une vingtaine de soldats indigènes peuvent s’échapper.
« Abandonnés et trahis par les guides et par tous les indigènes qui se trouvaient auprès d’eux, le Colonel Flatters et le Capitaine Masson, un revolver à chaque main, font face à l’ennemi et vont même au devant de lui. […] Le capitaine Masson qui avait mis pied à terre, n’a pu atteindre sa monture. Cerné, il se défendit vaillamment, mais un coup de sabre lui fendit la tête, un deuxième lui coupa les jambes, et le fit tomber sous les coups de ses assassins. » (« Les deux missions Flatters » H Brosselard)
En France, l’émoi suscité par le massacre de la colonne Flatters est considérable.
Ce n’est pas la première fois que des soldats français sont tués, mais l’Algérie était réputée pacifiée, quant aux touaregs, ce n’étaient que des sauvages dispersés dans leur désert !
L’opposition cherche naturellement des responsables civils et militaires à ce massacre et les députés s’étripent comme ont toujours su le faire nos députés. Ce massacre met en lumière les défis et les dangers associés à l’expansion coloniale en Afrique. Plutôt que de s’aventurer à travers le Sahara, la France se concentrera donc sur le renforcement de ses possessions le long des côtes et sur l’établissement de voies de communication maritimes.
A Rambouillet, le 9 mai 1881, le nom de René Masson est donné à la place créée lors de la démolition de la première église et utilisée ensuite pour agrandir la place du marché, devant le Relays du Château (le Mercure). Le 24 juillet 1881 une plaque commémorative de marbre noir est apposée sur un immeuble de la place (et non sur celui où est né René Masson, place Marie-Roux).
Elle indique que le capitaine Masson a été « massacré le 16 février 1881 dans le sud du désert du Sahara, après avoir accompli la mission confiée par le ministère des travaux publics. Ils ont affronté les périls et la mort pour hâter la civilisation de l’Afrique Centrale au profit de la France et du monde entier ».
Qui aurait relevé à l’époque qu’il y est question de « hâter la civilisation de l’Afrique Centrale au profit de la France et du monde entier »... mais pas de ses habitants ?
Aujourd’hui il n’y a plus de place René-Masson. Et il semble que la limite entre la place de la Libération et la rue de Gaulle n’a pas été bien définie lors de cette suppression, car l’hôtel Mercure est au 1 de la place de la Libération; le restaurant Bisson était à cette même adresse, mais le restaurant italien Limonaia qui a repris son emplacement se dit aujourd’hui au 1 de la rue du général de Gaulle… qui est resté l’adresse de l’Office du Tourisme (qui devrait se trouver maintenant au 1bis ou au 3…).
Mais ne terminons pas cette évocation coloniale sur un massacre !
Je préfère rappeler le peintre rambolitain Gustave Hervigo. Peintre de la marine, membre de l’académie des sciences d’Outre-Mer, et de la société des explorateurs et voyageurs français, il s’est passionné pour les colonies françaises, avant et après leur indépendance.
Il était surnommé Hervigo l’Africain, car parmi tous ces pays qu’il a aimés, ce sont les paysages de l’Afrique qui l’ont le plus inspiré.
Et même si son nom n’a été donné qu’à une petite place privée derrière la résidence d’Angennes, Hervigo n’a pas été totalement oublié, puisque la ville, à qui il a fait don de ses oeuvres, en expose régulièrement dans le Palais du Roi de Rome.
Cependant, il ne s’agit pas de ses tableaux africains, mais de ses paysages de Beauce ou d’Yveline…
Christian Rouet
mai 2024