Sonchamp
On ne prête qu’aux riches ! C’est ce que déplorait mon ami Jean-Pierre, ancien maire de Sonchamp, en constatant que le nom d’Espace Rambouillet avait été préféré à celui d’Espace Sonchamp alors que cette réserve animalière est bien sur le territoire de sa commune.
C’est assurément injuste … quoique assez compréhensible tant le toponyme de Sonchamp évoque l’agriculture plus que la forêt et ses cerfs.
Cependant cette petite commune, entre Rambouillet et Saint-Arnoult, mérite d’être visitée, et je vous invite à m’y accompagner.
A l’origine
On peut remonter très loin ! Le site de Sonchamp a été occupé dès l’époque mésolithique et en 1935 on y a découvert au Bois-de-Plaisance d’importants gisements de pierres taillées de 6500 à 8500 ans avant JC : racloirs, burins, grattoirs, denticulés, lames, pointes de flèches, dont des pointes triangulaires nommées depuis « pointes de Sonchamp »… Plus d’une centaine de milliers de déchets de taille d’outils en silex, dans 15 gisements répartis sur 10ha. Et près de 80 sites répartis sur le territoire de la commune.
Une véritable zone industrielle du Sauveterrien !
A l’époque romaine les domaines agricoles se multiplient, à proximité d’Ablis, carrefour important de voies romaines. La forêt recule. Cependant elle revient en force à partir du Vème siècle, car les récoltes (et les hommes) souffrent alors du refroidissement du climat.
Vers 650 Sonchamp est mentionné dans l’acte de donation d’un riche négociant, sous la forme Suncanto : le champ d’un dénommé Suno. Il pourrait s’agir d’un patronyme franc.
En 768 le Roi Pépin le Bref, père de Charlemagne, offre ”toute la forest d’Yveline”, à l’abbaye de Saint-Denis. Il offre à la même époque la villa de Sonchamp à l’abbaye de Fleury (à Saint-Benoit-sur-Loire).
Au IXème siècle, de bonnes conditions climatiques permettent une reprise des productions agricoles. Ruinée par des raids normand, l’abbaye de Fleury est reconstruite. Le roi protège son royaume, et sa demeure royale de Saint-Léger, par les châteaux de Montfort, d’Epernon et de Rochefort. Cependant Simon III de Montfort choisit la cause des Plantagenets contre celle du roi de France, et la région souffre donc malgré tout de l’occupation anglaise.
L’église Saint-Georges date du XIème siècle. Elle est au centre d’un premier cimetière.
Au XII et XIIIème siècle Sonchamp est une des plus riches communes de la région. L’abbaye de Fleury et le diocèse de Chartres se la disputent. On compte alors 360 feux à Sonchamp (dont dépend Clairefontaine) alors qu’il n’y en a que 256 à Dourdan. Les terres de Sonchamp appartiennent pour moitié à l’abbaye et au comté de Montfort.
Quatre manoirs, dans les hameaux de Chatonville, des Chênes Secs, d’Epainville et de Louareux, participent à l’organisation administrative et défensive du territoire.
En 1701 Sonchamp devient la propriété de Fleuriau d’Armenonville, et son destin est désormais lié à celui du domaine de Rambouillet.
Sonchamp au début du XXème siècle
L’entrepreneur Eugène Thôme, dont la fortune est liée aux chantiers parisiens ordonnés par le baron Hausmann, achète en 1897 le château de Pinceloup. Construit sans doute au XVIème siècle (peut-être par le seigneur François Simonneau ?) il avait été agrandi par Prévost, notaire de Louis XVI, mais ne correspondait pas aux voeux de son nouveau propriétaire. L’ancienne construction est rasée et remplacée par ce nouveau château.
J’ai toujours lu qu’il aurait 365 fenêtres, mais je vous laisse vérifier.
Il domine la Rémarde, qui prend sa source derrière Sonchamp, et va se jeter dans l’Orge, après un cours de 35km. Parmi les dépendances du château, son ancien manège à chevaux se distingue par son décor intérieur, et il est inscrit depuis 2005 au titre des Monuments historiques.
Le cadastre de 1828 montre un habitat groupé autour de la place de l’église, et le long de la route Rambouillet—Saint-Arnoult.
Le village est entouré de grandes fermes et de nombreux petits hameaux (32!) sur un territoire communal qui est le plus étendu du sud-Yvelines.
Sa population compte près de 1100 habitants, et ne variera guère durant tout le XXème siècle.
Cependant l’activité économique y est importante. Reprenons par exemple l’annuaire de 1913. On y trouve des cultivateurs : les fermes de Bidault, à l’entrée de la rue principale, et celles de Godefroy à la Cheraille, de Janottin à Renonvilliers, de Legendre, Veuve Naudin, Lebourlier et Baron, sans oublier celle du château de Pinceloup où Thôme expérimente de nouvelles techniques d’élevage et de culture…
En ville on trouve la boulangerie de Gau, le boucher Drouilleaux, les charcutiers Barré et Bollé, les épiceries de Filsnoêl, Clairardin (également tabac), Duchèzeau et Sugauste.
Denuit vend des journaux… et des poissons. Il y a deux aubergistes : Lozet et Rosse, et huit cafetiers : Poitevin, Bordet, Duchezeau, Orlac, Guillemain, Roulleau, Laval et Sugauste.
Et, à ces commerces, il faut ajouter les activités artisanales : un bourrelier, deux charrons, deux cordonniers, quatre couturières, deux maçons, deux maréchaux-ferrants, un menuisier, un serrurier… et j’en oublie sans doute. Mais pas d’industrie, si ce n’est un four-à-chaux et une laiterie.
Depuis 1875 Sonchamp a sa Caisse d’Epargne (annexe de celle de Rambouillet) et l’instituteur est fier d’annoncer en 1899 que 12 de ses élèves y ont un livret.
Joseph Leduc, l’instituteur en poste depuis 1888, anime des cours pour adultes, en plus d’assurer ceux de l’école publique de garçons. Cependant Sonchamp dispose aussi d’une école libre de filles, confiée aux soeurs de la Providence, dans un immeuble financé en 1858 par l’ancien propriétaire du château de Pinceloup. En 1860 elle est complétée par une école maternelle.
Le 10 mars 1916 André Thôme, le fils d’Eugène Thôme, maire de Sonchamp et député de Seine-et-Oise tombe au champ d’honneur. Sa fille, Jacqueline deviendra à son tour conseillère municipale de Sonchamp, avant de poursuivre une grande carrière politique à Rambouillet, à l’Assemblée Nationale et au Parlement européen.
Sonchamp aujourd’hui
La ville compte aujourd’hui près de 1600 habitants.
Il a fallu déplacer plusieurs fois le cimetière, et la mairie a repris en 1959 les anciens locaux de l’école (elle-même, désormais déplacée dans la partie sud de la commune).
Mais on chercherait en vain les commerces d’autrefois. Il n’en reste qu’un, heureusement multi-services : l’Epicurienne, épicerie, relais de poste, dépôt de pain … Dans son restaurant, une vingtaine de clients peuvent y déguster une cuisine familiale, en salle ou dans une petite cour arrière.
Quels sont les commerces qui prendraient aujourd’hui le risque d’une installation dans un village distant de moins de 15km des grandes surfaces de Rambouillet, et pour une population de 1600 habitants, qui trouve en outre sur internet tout ce dont elle peut rêver ?
Heureusement les associations locales, et notamment l’excellente école de musique de Sonchamp assurent à la ville un peu de l’animation qu’elle a ainsi perdue.
Sur la place, l’église Saint-Georges mérite un arrêt. C’est la plus grande église de la région –hors Rambouillet. Une des rares à être ouverte en permanence.
Nous pouvons y prendre une leçon d’architecture, puisque la nef romane est du XIème et XIIème siècle, le choeur du XIIIème, les nefs latérales du XVIème et XVIIème siècle. Un plan dessiné à l’entrée de l’église permet heureusement de s’y retrouver.
Cependant, ce qui la rend unique, à mes yeux, c’est l’un de ses vitraux ! Les paroissiens de Sonchamp on tenu à entretenir le souvenir d’un accident de voiture dont a été victime leur curé ! L’artiste verrier a donc intégré le dessin de sa 2CV pliée contre un arbre, au bas d’un vitrail consacré à Saint Christophe, patron des voyageurs !
Aussi sympathique qu’inattendu, non ?
Les fermes poursuivent leur activité, mais se sont diversifiées. La Cheraille accueille des groupes et loue ses salles. A la ferme de Renonvilliers, cinq exploitants agricoles se sont groupés afin de construire une usine de méthanisation. Le projet est dimensionné dans un premier temps pour un approvisionnement total de 10 950 t/an, composé de 76% de CIVE (cultures intermédiaires à vocation énergétique), de 15% de pulpes de betterave, et de 9% d’issues de silos.
Le gaz produit alimentera Rambouillet car il semble que le réseau de Sonchamp ne puisse s’y raccorder.
Quant à la ferme de la Tourelle, au pied de l’église, superbement rénovée, elle est devenue une maison d’habitation.
Et le château de Pinceloup ? Il appartient maintenant à la Ville de Paris. L’école Le Nôtre y forme des jeunes en difficulté aux métiers de la restauration, de l’horticulture et du bâtiment.
Dans sa monographie de 1899, l’instituteur de Sonchamp signalait qu’il manquait principalement deux choses, au bonheur des sonchampois : « un bureau de poste et une ligne de chemin de fer. »
Il écrivait : « Le bureau de poste est réclamé par le conseil municipal depuis trente ans, et rien ne fait espérer une solution satisfaisante prochaine. »
(Et il avait tort puisque Sonchamp, grâce à l’intervention d’André Thôme, l’a obtenu quelques années après – supprimé depuis)…
« Quant au chemin de fer, il en est question de temps en temps (au moment des élections) et je crains bien que nos arrière-petits-enfants ne soient pas plus favorisés que nous sous ce rapport. »
Et sur ce plan, il était lucide !
Christian Rouet
août 2023
Bonjour Christian,
Juste un petit point dans Suncanto, Suncantus cantus désigne le chant (d’un objet, le flanc d’une colline etc.). En ce sens il est plus probable que Sun renvoie au soleil (suno). Sonchamp = le flanc de colline exposé au soleil levant. Ce qui correspond au noyau historique du village. Sur Sonchamp je me permets cette petite page de publicité pour celles et ceux qui veulent connaître ce village au Moyen Age à mon texte sur academia.edu
https://www.academia.edu/99341649/Le_terroir_de_Sonchamp_de_la_Pr%C3%A9histoire_aux_campagnes_du_XIIIe_si%C3%A8cle
Amitiés
Philippe-Jean
merci pour ce lien que je ne connaissais pas (et qui envoie à ton étude dont le niveau de recherche dépasse naturellement mon objectif de vulgarisation). Sur l’étymologie de suncanto j’ai trouvé plus de sources pour la rattacher à un patronyme franc que pour une évocation du soleil. Mais il n’y a pas forcément de contradiction avec ton hypothèse car il faut bien que tout patronyme ait lui-même sa propre explication. Et penser qu’à l’origine de tout toponyme (via ou non un patronyme) on trouve une description physique me semble tout à fait pertinent.