L'Institution Sévigné de Rambouillet
Rambouillet s’est illustrée, dans le domaine de l’enseignement, par quelques écoles exceptionnelles, chacune dans sa catégorie. Je pense à la Ruche, l’école libertaire de Sébastien Faure; à la première école de France d’Enfants de Troupe, ou à l’école nationale des bergers.
Elle a pu très tôt s’enorgueillir d’excellents établissements publics, depuis les écoles primaires jusqu’au Lycée Bascan – l’un des plus importants d’Ile-de-France. Et le développement continu de l’institution Sainte-Thérèse, depuis près de trois siècles, prouve la qualité de son enseignement.
Elle a eu, également, très tôt, des cours privés, dont certains aussi vite fermés qu’ils avaient été ouverts. Vous vous souvenez peut-être de Pagnol, et de la pension Muche d’où Topaze avait été renvoyé pour n’avoir pas compris que son directeur lui demandait de monter les notes d’un cancre, financièrement intéressant pour la pension.
C’est le marché qui fait la sélection entre les écoles qui sont sérieuses et celles qui ne le sont pas.
Parmi ces écoles privées nous évoquerons ici l’Institution Sévigné, qui a fonctionné à Rambouillet durant plus d’un demi-siècle.
Les demoiselles Forbin
Rose et Adèle Forbin, deux soeurs célibataires, ouvrent à la rentrée scolaire de 1914 leur école privée pour jeunes filles. Elles sont toutes deux licenciées ès-lettres, ce qui n’était pas fréquent à l’époque ! L’école est située au 9 de la rue d’Angiviller, dans une maison de ville à peine transformée.
Si l’école n’est pas confessionnelle, elle ne fait pas de sa laïcité un argument pour s’opposer à l’école Sainte-Thérèse : ses publicités paraissent en novembre 1916 dans la revue « Dieu et Patrie », et elle est référencée dans l’organe d’information « les essais catholiques ».
L’institution propose alors externat, demi-pension et internat, pour des niveaux allant de l’école primaire au brevet supérieur. Elle est réservée aux jeunes filles.
Dans les journaux parisiens elle cherche à attirer dans sa « belle installation, jeunes filles et étrangères » pour des « études complètes » avec « pension à 600, 700 et 800 francs ».
Et cette clientèle « d’étrangères » l’intéresse au point que ces annonces sont aussi publiées en anglais dans plusieurs numéros de l’édition européenne du New-York Herald de 1916.
Elles ne sont toutefois pas renouvelées par la suite, et les annonces suivantes ciblent plus clairement les jeunes filles françaises.
A l’étroit rue d’Angiviller, les demoiselles Forbin transfèrent en 1930 leur école au 9 rue Gambetta. Elle n’en bougera plus.
Sa publicité indique alors qu’elle est « confortable, gaie, pourvue d’un beau parc. » Le sport s’ajoute aux disciplines précédentes (du moins en théorie, car l’institution n’aura jamais d’installations sportives).
Elle peut alors disposer de deux dortoirs, pour filles et garçons, et accueille donc ceux-ci en école primaire, de 4 à 8 ans.
La facture envoyée aux parents de Jeanne Simon, pour le 2ème trimestre 1932 s’élève à 1050 francs, plus quelques suppléments, (soit 2000€/an).
Pour mémoire : le prix indiqué pour 1916 était de 700 francs/an, soit 1800 euros : l’augmentation en 15 ans n’a donc pas été forte !
Le carnet de notes de Jeanne, joint à l’appel de fonds, donne la liste des matières enseignées au collège : enseignement ménager, orthographe, composition française, lecture, écriture, récitation, histoire de France, Géographie, Mathématique, chimie, dessin, couture, gymnastique, version latine, chant et solfège.
Avec une moyenne de 102 points sur 221 Jeanne est 23ème sur 27. Toutefois, à ses notes s’ajoutent celles « d’exactitude, politesse, maintien, ordre et propreté » car l’institution se donne la mission de concilier instruction et éducation, et ces notes permettent de donner la moyenne à des élèves faibles, et donc de conserver ses clients.
Au demeurant, l’institution ne présente aux examens d’Etat que ses meilleures candidates, obtenant ainsi des résultats flatteurs.
A l’issue des cours professionnels, sont de même présentées à partir de 1938 des élèves au « diplôme de l’association sténographique unitaire ». En 1938 par exemple, 4 élèves sont reçues à l’épreuve de dactylographie, 1 au niveau élémentaire de sténo (75 mots/minute), une au niveau pratique (100 mots/min) et deux au niveau commercial supérieur de 120 mots/minute.
Les classes fonctionnent en double niveau après la maternelle : cours préparatoire 1ère et 2ème année groupés, de même que les cours élémentaires 1ère et 2ème année, et les 6ème-5ème, ou les 4ème-3ème.
Les demoiselles Gauthier
En 1937 les soeurs Forbin cèdent leur institution aux demoiselles Gauthier (peut-être originaires de Sonchamp). Hélène assure la direction et donne quelques cours, et sa soeur Germaine s’occupe de l’intendance.
Elles reprennent également la clientèle de l’Institution Albert 1er alors située au 6 de la rue Poincaré qui dispensait ses cours à des jeunes gens jusqu’à la 4ème et elles la transfèrent dans un second établissement de la rue Gambetta. Mais la gestion des deux établissements est vite abandonnée, et l’institution Sévigné continue de réserver son collège aux seules jeunes filles.
A la rentrée de 1941, l’institution accueille les garçons du jardin d’enfants à la 6ème exclue, et les filles peuvent continuer leur scolarité jusqu’à la 2ème partie du baccalauréat.
L’école a-t-elle maintenant la réputation d’être chère comparée aux prix de l’école publique ? Toujours est-il que les demoiselles Gauthier jugent nécessaire de préciser dans leurs publicité de 1938 :« la réputation des prix onéreux faite sur Sévigné n’est pas fondée puisque notre tarif mensuel d’externat commence à 35 francs, d’internat à 400 francs». Et la mention « prix modérés » est un argument repris dans les publicités de chaque année.
Les locaux de la rue Gambetta
La maison de ville, de trois niveaux ne semble avoir connu aucune transformation extérieure depuis son achat par les soeurs Forbin, jusqu’à aujourd’hui.
Son rez-de-chaussée comprenait des bureaux, un petit logement, et le réfectoire avec sa cuisine.
« Ce n’était pas grand, se souvient Jacques Mougeot, élève de 1956 à 1959. L’institution comptait en gros 100 élèves dont environ 40 en internat. Le midi, avec les demi-pensionnaires, il fallait faire deux services. »
Le premier étage était celui des filles, et le second celui des garçons, avec l’appartement de Mlle Gauthier.
Un bâtiment avait été construit en 1930 pour accueillir les salles de classes, prolongées par un vestiaire. Elles donnaient directement dans la cour. En face il y avait le préau.
« Je me souviens que dans la cour il y avait un bac à sable pour les plus petits, et un tape-cul ».
Peu de changements, donc, par rapport à cette carte postale de 1919, si ce n’est l’abandon du jeu de croquet !
Dans le prolongement de la cour, le parc allait jusqu’à l’actuelle rue d’Angiviller.
« Dans sa première partie, je revois un bassin, au centre d’une petite clairière. Le même que celui de cette carte postale de 1919, mais autour il y avait plus de place, car c’est là qu’avait lieu chaque année la distribution des prix, avec un petit spectacle que nous donnions aux parents ! »
Faute d’installations sportives, c’est souvent dans le parc du Château, vers la Bergerie, et dans les glacières que les élèves allaient s’amuser et faire de l’exercice.
« Je me souviens qu’on nous emmenait aussi en sorties « culturelles ». J’ai ainsi vu jouer Gérard Philippe dans le Cid, au TNP, et des pièces de Molière à la Comédie Française ! »
Il semble que ce soit en 1965 que l’Institution Sévigné ait arrêté ses activités. Sans doute les demoiselles Gauthier n’ont-elles pu trouver de repreneurs quand elles ont pris leur retraite, la concurrence de l’école publique comme celle de Sainte-Thérèse étant devenue trop forte ?
Le terrain est alors divisé en deux lots 0114 et 0131.
Sur le premier, le bâtiment de classes est démoli, en 1974, et remplacé par un parking. L’immeuble principal est divisé en appartements.
Sur le second, en 1980, sont construits deux petits immeubles avec un accès sur rue.
En souvenir de l’institution, cet ensemble porte le nom de « résidence Sévigné ».
Christian Rouet
18 janvier 2022