Serruriers à Rambouillet

Le métier de serrurier a ses lettres de noblesse à Rambouillet, et même … son balcon, au 17 de la rue d’Angiviller.
Après l’évocation de plusieurs serruriers dont nous avons conservé la trace, nous nous arrêterons plus longuement sur l’entreprise Sédilot, sans doute celle qui a existé le plus longtemps à Rambouillet.

Le serrurier dans l’histoire

Dans le Livre des métiers, publié en 1260 par Étienne Boileau, prévôt de Paris, on trouve déjà les « statuts de la corporation des maîtres serruriers » (livre XVIII).

Serrurier, serrurerie, serrure… tous ces substantifs sont tirés du verbe serrer qui signifiait fermer. Avec sans doute à l’origine le latin tardif « sera : barre de bois qu’on fixait derrière la porte ».

François 1er renforce la règlementation de la profession : l’ouverture d’une porte, ou le changement de serrure ne peuvent être effectués que par un serrurier, et en présence du propriétaire.

Les statuts de la profession sont reconduits jusqu’à la suppression des corporations, par la Révolution.

Le goût de Louis XVI pour les serrures fait partie de la culture historique de tous les écoliers français, avec le vase de Soissons ou la poule au pot d’Henri IV.

les armes de la corporation de serruriesr
les armes de la corporation de serruriers

Le serrurier s’occupe des targettes, serrures et verrous, mais aussi des huisseries de porte (le menuisier- serrurier), des grilles, dont l’ornementation va en s’enrichissant dès le XIIIème siècle, d’ancres, d’agrafes et de chaînes, et plus largement de la transformation des métaux en objets domestiques, cultuels et autres.

Les armes de la profession intègrent deux clefs croisées, et la devise latine « securitas publica ».

Si le forgeron, ou le maréchal ferrant sont souvent installés en milieu rural, le serrurier, lui, travaille surtout en ville, pour une clientèle qui a des biens à protéger : on le trouve donc à proximité des châteaux, des églises, des demeures de riches bourgeois. Au nombre de ses serruriers on mesure la richesse de la ville, et avec la présence du château, comment s’étonner de l’importance de cette profession à Rambouillet ?

Avec la révolution industrielle, la production des pièces en fer, en fonte et en acier se déplace des ateliers des forgerons, vers les ateliers des usines sidérurgiques et le serrurier ajoute à ses activités traditionnelles la mise en œuvre des nouveaux éléments de construction charpentes en fer, châssis, serres, escaliers en fer, plaques d’égout, etc.

Au début de XXème siècle certains charrons deviennent serruriers. Les autres, mécaniciens.

Les serruriers de Rambouillet

Je n’ai pas l’ambition d’en dresser ici la liste complète ! En voici toutefois quelques-uns dont  nous avons conservé la mémoire, ici par une carte postale, là par nos souvenirs.

Jacques Dablin est maître serrurier et travaille de 1784 à 1789 à la restauration du château de Rambouillet, commandée par Louis XVI.

le balcon Dalbin à Rambouillet
le balcon Dalbin

Il loue le 12 février 1787 un terrain rue des Remparts (aujourd’hui au 17 rue d’Angiviller), et s’en rendra acquéreur ultérieurement en 1795.
Avec son épouse née Anne Besson il construit là entre 1787 et 1789 un petit hôtel particulier qui témoigne d’une réussite financière certaine.
Plusieurs pièces sont recouvertes de boiseries. Toutes les serrures et huisseries sont naturellement de grande qualité, sans oublier un superbe escalier avec une rampe en fer forgé, et tous les balcons.

Celui qui surplombe le portail est orné des armes de la profession, et des initiales du couple : JD-AB. Il mérite d’être admiré !

L’Entreprise Houzé 1925 (coll Ph-J Vallot)

Au n° 3 de la rue Troussevache (actuellement rue Lachaux), on sait qu’il existait les deux petites maisons des serruriers Philippe Nicolas et Louis Marie avant que Martin Jouanne, entrepreneur de bâtiment, ne les achète.

Il les démolit en 1782, pour la construction d’un immeuble, qu’il sera obligé de céder à l’un de ses créanciers après sa faillite en 1787.

En face, au n°4, la plaque apposée par la SAVRE à la suite de la rénovation de cette maison par la SEMIR rappelle qu’elle a été reconstruite en 1818 par le maître serrurier Pierre Ory.

l'immeuble restauré par la Semir
l’immeuble restauré par la Semir

On trouve ensuite son entreprise sous le nom de Maison Baubion, reprise plus tard par L-M Juteau qui développe une activité de grilles, serres, marquises, vérandas…

Dans les années 1930, l’entreprise Houze reprend cette serrurerie, l’exploite d’abord sur place, rue Lachaux, et la transfère par la suite au 60 rue Gambetta pour disposer de plus de place.

Elle y reste 23 ans, avant de fermer définitivement en 1989.

Clotaire Morin, maréchal-ferrant
Clotaire Morin, maréchal-ferrant

Et Clotaire Morin maréchal-ferrant qui pose ici devant sa forge du 27 rue de la Garenne (Raymond Patenôtre), avec ses ouvriers Brucher, Breillat et Brouillet en 1906, est sans doute devenu serrurier avant de fermer (avant 1921).

En feuilletant les anciens annuaires de Rambouillet on trouve aussi A.Noguette, en 1893 au 16 rue de Paris,

une grille de Noguette

Bajon, en 1914 au 15 rue Chasles, Maillot en 1915 rue de la Louvière, ou encore Arthur Hue 4 rue de l’Ebat ( rue du Gal Humbert) successeur de la maison Leconte, avec une activité de serrurerie qui devient vite secondaire par rapport à une activité de mécanique (vente et entretien de pompes, de machines à vapeur, de moteurs et d’automobiles).

Raphaël Brossard
Raphaël Brossard

Plus près de nous, en 1968, Raphael Brossard reprend avec deux compagnons l’entreprise J.Quenel et installe au bout de la rue Maurice Dechy la Construction Métallique Yvelinoise, CMY. Elle excelle dans des travaux complexes, comme des verrières industrielles.

Ici des structures destinées à la fête de la musique de Bercy Village en 2008 (Photo publiée dans Les Nouvelles 11/6/08).

Ancien compagnon du Tour de France, Raphaël s’est impliqué  énormément pendant toute sa carrière dans la formation des jeunes.

L’entreprise Sédilot

Arrêtons-nous maintenant sur l’entreprise Sédilot. Elle est présente à Rambouillet de 1830 à 1985 : certainement un record de longévité pour cette activité dans notre ville !

A l’origine on trouve le maréchal ferrant Pierre Cantien Sédilot, de Sonchamp, né en 1724. Il est issu d’une famille de laboureurs.

Athanasse, son fils ainé reprend la forge de son père et devient le mestre maréchal ferrant de Sonchamp, comme après lui son fils Pierre, né en 1814, puis Octave né en 1845.
(A son décès le 15 octobre 1911 la forge de Sonchamp est reprise par le maréchal de Saint-Chéron.)

Son second fils, Pierre-Jules, s’installe à Rambouillet comme charron, vers 1820, tout d’abord place de la Foire (Félix-Faure), puis en 1834 au 31 rue d’Angiviller.

A-t-il commencé par être salarié d’un charron de Rambouillet ? Quand s’est-il mis à son compte ? On sait seulement que l’entreprise Sédilot se dira plus tard «maison fondée en 1830 » faisant de Pierre-Jules son fondateur, mais l’origine précise n’est pas démontrée.

Quoi qu’il en soit, il est bientôt à la tête de son entreprise, et ses deux fils prennent sa suite.

Jules, l’ainé, né en 1821, et après lui son fils Ernest, né en 1854, reprennent l’entreprise de la rue d’Angiviller.

Edouard, son cadet, né en 1825 s’installe lui aussi comme serrurier. C’est à partir de son fils, Emile, né en 1858, que les documents et les photos sont plus nombreux et permettent un suivi précis. Merci à Jean Sédilot de me les avoir confiés.

Place du Gouvernement

Le 7 décembre 1835 le serrurier Jacques Fiault a acheté l’aile gauche du Palais du Gouvernement, où étaient les anciennes cuisines, rôtisserie et pâtisserie. Il y a installé son atelier de serrurerie.

Emile Sédilot reprend ce local (et sans doute cette entreprise ?), sans doute vers 1870.

Comme on le voit sur cette carte postale quatre travées sont éventrées pour les besoins de l’entreprise. Elles seront remises en état, après le déménagement de l’entreprise, mais si vous les regardez de près aujourd’hui, vous verrez que leur linteau est légèrement courbé, à la différence des linteaux originaux, de l’aile droite.

La réussite d’Emile Sédilot est certaine. Il est conseiller municipal et son entreprise est citée dans tous les chantiers de l’époque. Avec le développement des charpentes métalliques, les locaux de la place du Gouvernement sont vite trop exigus.

Emile se déplace donc en 1903 au 8 de la rue des Petits-Champs (rue Clémenceau).

Pour la circonstance, il annonce avoir acquis « un outillage muni des derniers perfectionnements qui lui permet de fabriquer (…) travaux en fer forgé, serrurerie artistique, charpentes en fer, planchers, grilles, marquises, vérandas, balcons en tous genres, serres, chenils, volières, mues, clôtures, grillages mécaniques à la main, entourages funéraires fonte et fer, persiennes en fer, stores, fontes de toutes espèces »…

En-tête de 1915 (collection Daniel Grignon )

L’année suivante une publicité indique qu’il s’est adjoint « un ouvrier très expérimenté pour la réparation et remise à neuf des balances, bascules et fléaux. »

L’entreprise Emile Sédilot est dirigée ensuite (vers 1925?) par son fils Robert, né en 1889, sous l’enseigne « R. Sédilot, fils ».

En-tête 1926 (collection Daniel Grignon )

Signalons que l’almanach de 1935 situe l’entreprise au 8 rue du Général Humbert. Robert aurait alors repris le fonds du charron E. Devaux recensé l’année précédente à cette adresse ? Je crois plus à une erreur dans la publication.

A son soixantième anniversaire, en 1947, Robert prépare sa succession en créant avec son fils André, né en 1917, la société R. Sédilot & Fils, sarl au capital de 600.000 francs.

Dans les ateliers de la rue Clémenceau l’entreprise fabrique des charpentes métalliques. Elles sont posées à Rambouillet, à Epernon, à Paris …

plaque de fonte Sédilot

Les 17 établis de l’atelier de serrurerie sont alimentés en ligne par une seule machine, avec un arbre dont la courroie traverse tout l’atelier …
L’atelier de fonderie fournit des balcons, des plaques d’égout (saurez-vous en retrouver à Rambouillet ?) …

Et pendant longtemps un hangar, au fond de l’impasse a abrité le corbillard de Rambouillet …

Jean, né en 1945 succède à son tour à son père : sixième génération de serrurier Sédilot à Rambouillet.

Mais bientôt la période faste des trente glorieuses se termine. Dans les années 1980 les affaires deviennent de plus en plus dures…

Les grands chantiers immobiliers de la région parisienne sont devenus plus rares, et la forte concentration des entreprises du bâtiment condamne les PME à n’intervenir qu’en sous-traitance, avec des marges réduites et des risques importants.

Augmentation des charges, multiplication des normes dans l’entreprise et dans les chantiers, nouveaux matériaux et nouvelles techniques qui nécessiteraient des investissements… en 1985 la société cesse définitivement ses activités.

aujourd’hui …

La ville ne souhaite pas conserver dans son centre des activités artisanales.

Le percement de la rue d’Angiviller a valorisé le quartier. L’entreprise est bientôt remplacée par un ensemble immobilier.
Il est difficile d’y retrouver aujourd’hui le souvenir de cette ancienne entreprise de Rambouillet.

Dommage que le balcon de la façade, placé à l’endroit où était l’enseigne de la serrurerie, n’ait pas été orné des armes de la profession, sur le modèle du balcon Dalbin : c’eût été une occasion originale de lier le présent au passé de Rambouillet, non ?

Christian Rouet
juin 2022

5 générations de Sédilot

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