PAUL
Le 31 de la rue de Gaulle, à Rambouillet, est occupé par la boulangerie PAUL. Pas depuis 1889, ainsi qu’annoncé sur son enseigne, car il s’agit là de l’année de création de la société, mais depuis 2016.
Cependant, si ce n’est pas le plus vieux commerce de Rambouillet, c’est un magasin dont tous les Rambolitains connaissent la façade : probablement la plus originale de la rue principale.
Je n’ai malheureusement pas trouvé beaucoup d’informations sur l’origine de ce commerce, mais à la demande de plusieurs abonnés, je vous livre ici quelques éléments, en espérant qu’il se trouvera quelqu’un pour compléter cet article.
Mes premières sources évoquent le café de M. Denfert, en 1910. Il est loin d’être le premier commerce situé à cet emplacement, puisque la rue de Gaulle, sous les nombreux noms qu’elle a eus au fil des siècles, est la rue la plus ancienne de Rambouillet.
En 1914 le café est repris par R. Besson, qui l’exploite sous le nom de « Café national ». La rue s’appelle alors rue Nationale, et le nom, de surcroît, convient bien à l’élan patriotique de l’époque. C’est le début de la grande guerre : tous unis pour la revanche contre les Prussiens et la reconquête de l’Alsace-Lorraine.
Et d’ailleurs, où est-on meilleur patriote que dans un bar ?
En 1920 le café est maintenant tenu par Stanislas Legrand.
La concurrence est rude : 26 cafés, pour 6000 habitants, sans compter les restaurants ni les hôtels. Mais l’emplacement est bon : à deux pas d’une pharmacie et de la librairie des soeurs Hautefeuille.
En 1935 il est devenu le « Café National et des sports », de Georges Labati.
Celui-ci, ancien coureur cycliste, y accueille le siège du Vélo Rambolitain, une des plus anciennes associations de Rambouillet, qui était précédemment domiciliée place René-Masson, ainsi que le siège de l’Union Sportive de Rambouillet.
L’ambiance devait y être chaude, les jours de championnat, même en l’absence de TV !
Arrivés à Rambouillet en 1947, les époux Chauvin, originaires d’Antony, ont repris le fonds de commerce de Mlle Colas qui jouxte le café, et l’exploitent depuis. Le commerce était désigné en 1935 comme « brosserie » car balais et brosses constituaient la part essentielle de son activité. A l’époque, le bâtiment de la rue Gambetta, siège de la MJC, n’était-il pas occupé par une fabrique de balais de bouleaux ?
L’apparition des produits d’entretien, avec les progrès de la chimie, font évoluer les habitudes de la ménagère et dans les années 50 on parle de « marchand de couleurs ».
Quelques années après, les Chauvin achètent également les murs du Café national et des sports, à titre de placement immobilier, mais Labatie en poursuit l’exploitation.
En 1960, le bail de Labatie terminé, les Chauvin décident de déplacer leur commerce à l’emplacement du café. Sa façade est alors totalement transformée.
Il me semble que le choix opéré par l’architecte Claude Lévy Lebar, qu’ils ont choisi pour ce chantier, répond idéalement à cette activité de « marchand de couleurs » puisque c’est une mosaïque composée de dizaines de milliers de petits carreaux de pâte de verre qui recouvre maintenant les deux côtés et le fronton de la vitrine.
Pour remplacer les trois portes du café sans conserver de support intermédiaire, il a fallu poser des piliers porteurs à chaque extrémité. Leur forme arrondie donne un charme supplémentaire à cette façade, en accompagnant le mouvement des vitrines vers la porte centrale.
Située en retrait, sur un sol extérieur en ardoises d’Angers qui opère un contraste heureux avec le revêtement multicolore, cette entrée donne un rythme particulier à la façade, et permet d’exposer des produits en extérieur sur un emplacement privé.
(Je relève à ce propos qu’aujourd’hui de nombreux commerces préfèrent s’approprier une partie du trottoir, compliquant ainsi le slalom à effectuer entre bacs à fleurs et poubelles. Pas sûr pourtant que ce parcours d’obstacle soit le meilleur moyen pour attirer les clients dans le centre-ville !)
Quant à l’enseigne (le terme « droguerie » remplace maintenant celui de « marchand de couleurs »), elle est très représentative de cette période, tant par le choix de sa police, que sa couleur et la façon dont les lettres sont liées. Il est dommage qu’elle n’ait pas pu être conservée (mais on ne saurait en faire reproche à PAUL, le terme de droguerie n’étant pas très porteur pour une boulangerie !).
Rien ne changera dans ce magasin, jusqu’à sa fermeture en 2006. Les Rambolitains sont assurés d’y recevoir les meilleurs conseils … mais ne se gênent pas pour aller ensuite acheter leurs produits d’entretien dans les grandes surfaces.
L’activité stagne puis baisse !
Est-ce parce qu’il était « marchand de couleurs » que Claude Chauvin, qui a pris la suite de ses parents dans les années 70, est devenu très tôt un artiste et un passionné de peinture ?
Son bureau, derrière le magasin était toujours ouvert aux amateurs d’art. Il y travaillait en sa qualité de président de la Société des Arts de Rambouillet à l’organisation du Salon des Arts de Rambouillet (l’association Arts et Partage en poursuit aujourd’hui la tradition). Il y avait partout des toiles, des dessins, des livres d’art que lui seul savait retrouver !
Claude a été également adjoint au maire, en charge du patrimoine historique et culturel.
Lors de la fermeture du magasin, l’enseigne est déposée, et l’emplacement reste désespérément inoccupé durant plusieurs années.
Les Rambolitains s’inquiètent : cette façade sera-t-elle préservée dans une ville qui n’a pas toujours eu un grand respect pour son patrimoine architectural ?
La reprise d’activité, sous l’enseigne de la boulangerie PAUL, est fraîchement accueillie par les autres boulangers de la place, qui s’estiment assez nombreux pour la population de Rambouillet. Le président de l’association commerciale –boulanger de son état- aurait apprécié d’être consulté !
Cependant les autres commerçants de la rue se réjouissent que ce très bon emplacement retrouve une clientèle dans l’intérêt de ses voisins, et plus généralement de tout le centre-ville.
Et la façade existante est conservée, à la satisfaction générale !
En regardant de plus près on peut toutefois regretter que le recul de l’entrée ait été supprimé : avec sa vitrine droite, la façade perd une partie de son originalité et de son charme.
Le fronton a, certes, été conservé, mais un store marron en dissimule désormais l’essentiel. Quant aux deux piliers ils sont très souvent masqués par les panneaux publicitaires que la boulangerie. dispose à l’extérieur. Dommage !
Quoi qu’il en soit, même si cette façade a perdu une part de son intérêt, nous pouvons nous consoler en pensant qu’elle aurait très bien pu disparaître totalement !
J’avoue par contre avoir le plus grand mal à comprendre comment un permis de construire a pu, en son temps, être accordé pour deux étages d’ouvertures qui tranchent autant sur toutes les fenêtres de cette rue.
Ce sont les seules à avoir une forme carrée. Les seules également à utiliser ainsi des stores pliants en rupture totale avec la proportion des fenêtres, et les volets « à la française » à lamelles horizontales typiques de l’Ile de France.
Dans une ville où les services d’urbanisme sont généralement si regardants quant aux teintes et nuances choisies pour les maisons du centre-ville, il y a là, au cœur de la rue principale, une exception que je ne m’explique pas.
L’installation de PAUL n’y a malheureusement rien changé, sauf à penser que le store détourne l’œil des étages.
Mais le chocolat de PAUL est excellent !
Christian Rouet
janvier 2023
La cour intérieure est magnifique, un reportage photo peu être de toute celles de cette rue ?