Les presbytères de Rambouillet
“Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat” : les lecteurs de Gaston Leroux n’ont pas oublié cette phrase énigmatique prononcée par Rouletabille dans « le Mystère de la chambre jaune », et s’il se trouvait quelqu’un pour ne pas avoir lu ce livre, je l’invite à réparer très vite cet oubli : il ne le regrettera pas !
Au demeurant il n’y trouvera aucun rapport avec les presbytères de Rambouillet dont je vais vous parler aujourd’hui, étant toutefois précisé que l’actuel est bien loin d’avoir le charme du précédent.
L’ancien presbytère
Toute église a besoin d’un presbytère pour y loger son curé. Le terme vient du latin presbyterium «ordre des prêtres, prêtrise, sacerdoce» d’où «assemblée des prêtres, ensemble des prêtres» puis «lieu où se tiennent les prêtres, choeur de l’église» (XVème siècle, cité par le CNRTL), et finalement « maison du curé ».
Selon la richesse de la paroisse, certains ont été de véritables hôtels particuliers, d’autres de modestes demeures, construites, chaque fois que possible, à proximité immédiate de l’église.
Or, jusqu’en 1872, l’ancienne église de Rambouillet était située sur l’actuelle place de la Libération, devant l’hôtel Mercure.
C’est donc là que se tenait également le presbytère, dans un immeuble que les Rambolitains connaissent bien, puisqu’il abrite aujourd’hui l’Office de Tourisme.
Les premiers plans de Rambouillet montrent une construction modeste, située derrière l’église. Durant les trois siècles d’occupation du château par la famille d’Angennes, puis avec Fleuriau d’Armenonville, le hameau de Rambouillet prend de l’importance, et son l’église est agrandie à plusieurs reprises.
Le comte de Toulouse, en dotant la paroisse d’une rente de 1000 livres, en fait l’une des cures les plus riches du diocèse de Chartres, et en 1711, lorsque Rambouillet est élevé en duché-pairie, le curé de Rambouillet (Guy Girardelet) a ses propres armes, d’azur à un lion d’or.
Demeure d’un des personnages les plus importants de la ville, le presbytère prend donc lui aussi de l’importance.
C’est ainsi que les plans du XVIIIème siècle nous montrent une vaste construction, suivie d’un jardin, aux massifs élégants.
Nous en avons une description détaillée, dans un acte de vente du 28 messidor an IV de la République(16 juillet 1796).
Le terrain mesure 52 ares 30. La maison proprement dite est une belle construction qui comprend un rez-de-chaussée sur cave, avec cuisine, garde-manger, salle à manger et salon.
Un escalier élégant conduit à un étage de trois pièces, trois cabinets et une garde-robe. Les combles sont divisés en deux greniers.
Les pierres, aujourd’hui laissées apparentes, étaient probablement recouvertes d’un enduit, comme toutes les maisons de ville.
Ses dépendances semblent avoir été ajoutées dans un second temps. En 1796 elles comprennent une basse-cour avec toits à lapins, une écurie, une vacherie, un enclos à porcs, une serre, un fournil, un bûcher, dans une aile en retour, adossée aux Maisons Saint-Martin (actuellement hôtel Mercure).
Au fond du jardin, on trouve une vigne et quelques arbres fruitiers, quatre petites terrasses, et une grange qui communique avec la rue Troussevache (Lachaux).
L’ensemble permet donc le fonctionnement d’une petite exploitation rurale.
L’accès au presbytère se fait par une cour irrégulière qui le sépare du coté nord de l’église, et à laquelle on accède, soit par une porte située entre l’église et les maisons Saint-Martin (a), soit par une porte charretière (b) donnant directement sur la place, entre l’église et les premières maisons de la rue.
A la Révolution le presbytère est confisqué, en tant que bien ecclésiastique, puis mis en vente pour le prix de 144 000 francs. C’est un Versaillais nommé Pillois qui l’achète le 16 juillet 1796. Sans doute les Rambolitains n’ont-ils pas osé enchérir sur un bien de leur paroisse, au vu et au su de leur communauté ?
Pillois transforme le bâtiment qui devient l’auberge Amy (?), puis ensuite l’hôtel du Soleil d’Or. La ville lui interdit de murer la porte de communication qui donne accès à l’arrière de l’église, et la justice est appelée à confirmer cette interdiction après que Pillois l’ait contestée.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle l’hôtel est transformé en pensionnat, tenu par un monsieur Harié (je cherche des informations sur ce pensionnat). Il est plus tard divisé en plusieurs commerces avant d’accueillir l’Office de Tourisme, à l’étroit dans l’aile droite de la mairie.
Lorsque ce premier presbytère est vendu en 1796, l’église a été rendue au culte depuis un an (décret du 29 septembre 1795) avec certaines restrictions, comme par exemple l’interdiction de sonner les cloches… La question se pose alors de fournir un logement aux prêtres de Rambouillet.
Le conseil municipal, dans un contexte assez peu favorable au culte, choisit tout d’abord de les loger à l’hospice, dans le bâtiment connu sous le nom de « pavillon de Toulouse ».
C’est une formule assez peu confortable, qui conduit le conseil paroissial à déposer une protestation officielle. Cependant le maire maintient sa décision : « Le curé est bien, au milieu des pauvres! »
Après quelques temps une formule plus consensuelle est cependant trouvée : la ville verse une allocation permettant aux prêtres de se loger individuellement chez l’habitant.
C’est ainsi que le curé Hebert décède en 1796 dans un logement de la rue de la Corne (rue de Penthièvre). Un mot sur ce prêtre qui a vécu ces périodes troublées de la Révolution :
Julien Hebert est nommé curé de Rambouillet en 1770. Il meurt paisiblement en 1796, mais sa fin aurait pu être tragique, comme l’ont été celles de nombreux prêtres durant la Terreur.
Il avait pourtant adhéré très tôt aux idées révolutionnaires, et avait été élu parmi les notables qui représentaient Rambouillet. Il avait prêté serment à la Constitution Civile du clergé, et la ville lui avait décerné en avril 1793 un certificat de civisme.Malgré cela, il est emprisonné un temps à Rambouillet puis à Versailles, durant la Terreur, et le 18 novembre 1793 il écrit aux autorités départementales :
« Citoyens administrateurs, je renonce aux fonctions ecclésiastiques pour vivre et mourir en républicain… » et il s’éloigne durant deux ans de Rambouillet.
Le 16 août 1795, il revient déclarer au maire Ducoret que son départ avait été rendu obligatoire afin d’échapper aux excès de la Terreur, et il rétracte les actes de sa conduite révolutionnaire. La municipalité exprime sa satisfaction de le voir reprendre son poste, et quand l’église est rendue au culte, le mois suivant, il y reprend ses fonctions.
En 1823 les Frères des Ecoles Chrétiennes quittent leurs locaux de la filature du duc de Penthièvre, qui jouxte le pavillon de Toulouse, et une partie du bâtiment est transformée en presbytère. Elle conserve cet usage pendant un demi-siècle.
Le nouveau presbytère
En 1878 la ville souhaite récupérer les locaux de cette ancienne filature et une allocation annuelle de 1000 francs est à nouveau versée à la paroisse pour couvrir le loyer d’un logement.
Cependant, six ans après, le conseil qui doit faire face aux remboursement des emprunts souscrits durant l’occupation prussienne, relève que la paroisse est assez riche pour subvenir elle-même au logement de son curé, et la ville supprime son allocation.
La paroisse est effectivement assez riche, et sur le moment elle évite de contester cette décision, mais ses réserves diminuent vite, et bientôt il lui faut trouver une solution.
En 1890, après bien des réclamations restées sans succès, l’abbé Macaire, curé de Rambouillet, achète un terrain situé à l’angle des rues Gambetta et Foch, et y fait construire un presbytère ainsi qu’une salle de patronage. L’opération totale coûte 52 000 francs, dont 40 000 francs sont fournis par des personnes généreuses « dont monsieur le curé ne doit pas faire connaître les noms, à charge pour la fabrique de leur verser une rente de 4% pendant leur vie ».
Un mot sur l’abbé Macaire, qui a laissé un grand souvenir à Rambouillet, perpétué par la présence d’un monument financé par souscription, dans le cimetière de Rambouillet.
Nommé vicaire de Rambouillet en 1879, Louis-Eugène Macaire y revient comme curé en 1886.
Ses paroissiens sont impressionnés, d’abord par sa foi et par la grande générosité dont il fait preuve envers les pauvres de la paroisse. Mais aussi parce qu’il incarne durant vingt ans l’opposition aux autorités laïques, avec peu de diplomatie, mais beaucoup de sincérité et une conviction qui lui valent l’estime tous. C’est à la suite d’un affrontement avec le conseil municipal que celui-ci interdit les processions religieuses en 1890, et il faudra attendre 1931 pour qu’un curé plus diplomate obtienne leur reprise.
Au président Loubet, qui souhaite un jour le rencontrer, il fait répondre « allez dire à votre maître que je ne toucherai jamais la main qui a signé la ruine de l’église catholique ».Le succès de la souscription qu’il lance en 1890 pour la construction du nouveau presbytère, comme le succès de celle qui a permis la construction de son monument funéraire prouvent l’attachement que lui portaient ses paroissiens.
Le curé Louis-François Guérin, qui succède à l’abbé Macaire en 1908 entreprend d’importants travaux dans le bâtiment dont la propriété est transférée à l’association diocésaine de Versailles. Le presbytère ainsi agrandi peut désormais accueillir trois prêtres, recevoir des hôtes de passage, et dispose de salles de réunions pour les fidèles et les associations qui en font la demande.
En 1909 le projet d’une salle paroissiale, construite sur le terrain du presbytère est adopté, et la salle est terminée deux ans plus tard. En 1912, l’éclairage au gaz est installé dans le presbytère.
En 1940, la salle paroissiale est occupée par les Allemands, qui en font une salle de cours, et un restaurant. Cinq soldats sont logés dans le presbytère, mais « s’y conduisent très bien » (détail fournis par Raphaël Pinault dans « Rambouillet, un millénaire de vie paroissiale ».
Rambouillet dispose ainsi d’un ensemble bien situé, à proximité de l’église, fonctionnel, lumineux avec ses grandes fenêtres, même s’il est difficile de lui trouver un quelconque charme architectural.
En ce 1er avril, je ne résiste pas à l’envie d’ajouter cette petite histoire de presbytère, publiée par le Charivari, journal satirique du début du XXème siècle :
« Un brave curé reçoit la visite d’un de ses amis de séminaire.
Ils visitent l’église, puis le presbytère, avant d’y déjeuner, servis par la petite bonne du curé.Après le départ de son hôte, notre curé constate la disparition de son très beau crucifix d’ivoire, que son ami avait admiré. Très embêté, après l’avoir cherché pendant plusieurs jours, il finit par lui écrire :
Mon très cher frère,
Je ne vous accuse pas d’avoir emporté mon crucifix, non !
Cependant je ne peux pas exclure que vous l’ayez emporté.
Quoi qu’il en soit, si vous l’avez emporté, j’aimerais que vous me le rendiez.
Et il reçoit cette réponse :
Mon très cher frère,
Je ne vous accuse pas de coucher avec votre petite bonne, non !
Cependant je ne peux pas exclure que vous couchiez avec elle.
Quoi qu’il en soit, si vous couchiez dans votre lit, vous y auriez retrouvé votre crucifix. »
L’histoire ne se passe naturellement pas à Rambouillet.
Christian Rouet
1er avril 2022