Les garages de Rambouillet (1)
Pour évoquer les garages automobiles de Rambouillet, on peut suivre l’histoire des marques, qui se sont multipliées avant de connaître leur concentration actuelle (à la veille d’un profond bouleversement du marché automobile) ou suivre la transformation et le déplacement des immeubles professionnels du centre ville à sa périphérie.
Il y faudrait un tableau synthétique à deux entrées, et beaucoup de rigueur, comme l’Intelligence Artificielle saurait sans doute le faire.
Je me contenterai ici d’une promenade en sautant d’une marque à un lieu, d’un garage à un homme, d’un entrepreneur à une marque, dans une ronde qui commence peu après 1900.
Cet article a une suite. Le plan en lien, ici, situe ces différents garages.
Au début du XXème siècle
Avec 30 constructeurs en 1900, 57 en 1910, la France est le premier producteur mondial d’automobiles. Mais elle ne produit que 3 000 à 4 000 voitures par an. En 1905 la France compte 21 523 automobiles. L’année suivante, 31 286, dont 1 549 en Seine-et-Oise.
Le taux de progression est donc rapide, mais il est clair qu’on ne saurait vivre d’un garage automobile vers 1905 dans une petite ville comme Rambouillet, même si ces premières automobiles nécessitent un entretien important, et si leurs heureux possesseurs sont des gens fortunés.
Cependant des professionnels de la mécanique, commencent à s’y intéresser, en complément de leur activité. Ils viennent d’horizons variés. Leurs premières publicités paraissent en 1905 et 1906.

Louis Bajon a repris un petit atelier de serrurerie près du Pont-Hardi. Son Auto-garage de Rambouillet est mitoyen du carrossier Targe. Henri Hamon, négociant en bois, charbon et quincaillerie a été exproprié de ses locaux de la rue des Petits-Champs en 1904. Il se reconvertit dans les cycles et l’automobile. Quant à Emile Brard, c’est un vrai professionnel qui a débuté sa carrière avec Panhard, le plus ancien constructeur d’automobiles de France. Il a cependant besoin du marché de l’agriculture (pompes, machines à vapeur) pour rentabiliser son activité.
Le nombre de constructeurs augmente rapidement : ils sont 155 en 1914, à la veille de la première guerre mondiale, et cette année là l’annuaire de Rambouillet dénombre déjà 9 garages automobiles (plus 2 carrossiers et 2 garages spécialisés dans le matériel agricole).
Les voitures sont fabriquées de façon artisanale, mais, en 1908, l’américain Henri Ford révolutionne la construction automobile, en produisant en série sa Ford T.
On raconte qu’il fait un jour visiter son usine à Roosevelt. Ford : « Un jour des robots remplaceront mes ouvriers ! » Roosevelt : « Et à qui vendrez-vous vos voitures ? »
En 1919 André Citroën produit à son tour sa 10HP, première voiture de série européenne.
La production industrielle de l’automobile permet d’en baisser le prix et de conquérir de nouveaux publics. Les constructeurs s’organisent : il leur faut des mécaniciens capables d’intervenir sur leurs modèles pour rassurer leurs clients quant à la fiabilité de leurs modèles. Il leur faut surtout un réseau de vendeurs, car les succès dans les courses automobiles ne suffisent plus pour populariser une marque dont le nombre et le volume des séries augmentent sans cesse.
Ils confient donc des secteurs en exclusivité à des concessionnaires, et ceux-ci prennent des agents non exclusifs, à qui ils rétrocèdent une part de leurs commissions.
A cette époque le marché rambolitain n’est pas assez développé pour justifier des concessions, et les garages de Rambouillet sont donc des agents rattachés à Versailles, Arpajon ou Dourdan.
Au fil des ans
Partons des trois publicités ci-dessus pour suivre l’évolution de ces premiers garages.
Rue de l’Alliance (rue Chasles), le garage de Louis Bajon poursuit son activité jusque dans les années 1960, après avoir été repris par Masselin. Il fait de l’entretien toutes marques.
Son voisin, la carrosserie Targe est reprise par Ferrarini en 1947 et celui-ci se spécialise dans les voitures de prestige pour quelques notables de Rambouillet.


Cependant, tous deux arrêtent leur activité, vers 1960, et la société des Fours à Chaux (matériaux de construction et bricolage) reprend leurs locaux.
Henri Hamon ne persévère pas dans l’automobile. Il cède son affaire à Ernestine Gouet qui se limite à la quincaillerie. Lui succédera Regnard, puis Frizat (qui s’installera plus tard au Bel-Air).

Le garage d’Eugène Brard est repris par Louis Constantin, qui a appris le métier avec Louis Bajon, et poursuit ainsi sa carrière en passant de l’autre côté du Pont-Hardi.
Il est d’abord agent Renault. Puis devient agent Peugeot.

Il est ainsi concurrent direct de Gustave Ridart au 8 de la rue de la Garenne (rue Raymond Patenôtre). Ridart abandonne alors l’automobile pour se spécialiser dans les cycles. Son successeur, Forest, ne conservera que cette seule activité, après la première guerre mondiale.
Le fils de Louis Constantin succède à son père. En 1954 il cède le garage à M. Prehel. C’est maintenant une concession Peugeot, dont dépendent plusieurs agents.

Les locaux du Pont-Hardi deviennent trop exigus. Prehel utilise en appoint les locaux de l’usine à gaz désaffectée, rue Raymond Patenôtre, et en 1974 le garage Prehel s’installe rue G. Lenotre, à l’entrée de la zone du Bel-Air.
En 1986 Jean-Michel Prehel qui a succédé à son père abandonne définitivement ses locaux du Pont-Hardi. Ils sont remplacés par les bureaux de l’Assedic et l’Open Park de Jean-Marc Morel.

En 1970 la société Trujas, d’origine versaillaise, a ouvert sa première concession Peugeot à Trappes. En 2005 elle rachète le garage Prehel : c’est la première étape de son développement hégémonique à Rambouillet.
Restons près de gare !

L’entreprise d’Eugène Menetrier a poursuivi longtemps son activité de carrosserie. Au lendemain de la première guerre mondiale, reprise par la Veuve J. Alibart, elle y ajoute une activité mécanique et devient agent Renault, et plus tard concessionnaire sous le nom de Garage de la Gare.
Ses successeurs Rodier, puis Moreux (1949) modernisent les locaux de la rue Sadi-Carnot qui reçoivent une vitrine.

Moreux reprend le garage de Masselin (successeur Bajon : voir plus haut) pour entreposer ses voitures d’occasion, puis, en 1956 Moreux le ferme pour reprendre le Garage Central de JW Liett, rue Clemenceau. Il peut ainsi développer son activité d’occasion, avec leur entretien et leur vente. Il le revendra en 1965 à son chef d’atelier Claude Lesieur.
Il reprend également les locaux de la fabrique d’huiles Cornette, au 20 rue Raymond Patenôtre, puis une propriété située dans la même rue, au 29, où il peut en outre ouvrir une station-service.
Les locaux de la rue Sadi-Carnot sont abandonnés en 1980 et abritent aujourd’hui une étude notariale.
Mais Moreux a trop investi. Bientôt il est contraint de vendre en liquidation ses locaux de la rue Patenôtre à Serge Pajean, qui y transfère sa concession BMW de Groussay (et les revendra en 2023 à un promoteur).
Son fonds de commerce échoit à M. Cahouren. Il l’exploite comme agent Renault dans les seuls locaux de la rue Sadi-Carnot, puis transfère son activité dans la zone du Bel-Air, au 38 rue Gustave Eiffel.

En 2019, le Garage de la Vallée, son successeur, est agent Renault, attaché à la concession de Trappes.
Pour rester dans la rue de la Garenne (Raymond Patenôtre) il me faut signaler au numéro 58 le garage de Georges Janottin. Recensé comme représentant de commerce en 1935, il ouvre après guerre un garage dans sa propriété, pour y faire de l’entretien de matériel agricole et un peu de mécanique automobile. Un de ses parents a conservé une photo où on le voit en compagnie du constructeur Louis Delage, mais il ne semble jamais avoir représenté la marque, disparue en 1953.
Dans la rue Sadi-Carnot, on trouve à partir de 1930 le garage de François Féret. Il transforme sa maison, au 43, en garage avec station-service, puis l’agrandit vers l’arrière, avec une sortie rue Dubuc.
Il est longtemps agent Ford et Chevrolet.
Et pour finir cette promenade à l’Est de Rambouillet, remontons la rue de la Louvière.
A gauche, au numéro 15, en retrait par rapport à la rue, Hude faisait de l’entretien de machines agricoles. En 1932 son fils Gérard agrandit les Ateliers de la Louvière, et devient agent de la branche tracteurs de Renault avant de devenir agent Fiat à la fin des années 1960.
Une vitrine qui longe la voie d’accès, de la rue au garage est ensuite aménagée pour y exposer trois voitures.
Mais ces travaux ne suffisent pas à contenter le constructeur. Fiat maintient pourtant son contrat de concession jusqu’au départ à la retraite de Hude, puis organise sa cession à Baudry qui a construit au Bel-Air un garage moderne, avec l’intention initiale de représenter Volvo.

La société Select Auto prendra la suite, avec Fiat et Alfa Roméo et en 2019, le garage est repris par la société Trujas, déjà citée, qui arrête Alfa Roméo, mais ajoute la marque Suzuki.
En 1991 Hude abrite dans son garage les associations Renaissance Auto, et les Anges de la Mob’ en attendant la réalisation d’une promotion immobilière.
Et un peu plus haut dans la rue, au 44, Maurice Regimbart succède à son père, Jean, et monte avec son frère, puis un associé André Billy, un atelier d’électricité automobile à qui tous les garages de la ville n’hésitent pas à s’adresser pour des réglages délicats.
Nous poursuivrons notre visite dans un prochain article, car il y a eu bien d’autres garages à Rambouillet.
Ces premiers exemples montrent déjà comment ils se sont l’un après l’autre déplacés du centre ville à la périphérie, souvent à l’occasion d’une promotion immobilière qui a financé leur investissement.
Ils sont également significatifs du passage de concessions familiales, où le fils prend souvent la suite de son père, à des groupes financiers, seuls capables de réaliser les investissements exigés par les constructeurs, et de se plier à leurs exigences commerciales. Le contrat de concessionnaire automobile, dont les termes ont pourtant été jugés licites tant par la justice française que par les autorités européennes est sans doute le contrat le plus léonin qui soit. La Cour de Cassation, par exemple a reconnu en 2007 au constructeur le droit de résilier tout contrat de concession avec un préavis de seulement 12 mois, chaque fois qu’il peut prouver la nécessité économique de réorganiser son réseau … autrement dit : n’importe quand !
Or, avec le passage aux voitures électriques, et l’arrivée des constructeurs chinois qui semblent avoir pris une avance technique déterminante, le marché automobile français est sur le point de vivre un tsunami.
Christian Rouet
avril 2025