Les bains-douches de Rambouillet
Les bains-douches en France
Au XVIème siècle, le « Manuel de Civilité puérile et Honnête » prescrivait comme une règle de savoir-vivre, de se laver les pieds au moins une fois par mois.
On sait que dans le domaine de l’hygiène, l’Europe n’a pas été à la pointe du progrès, mais dès le XIXème siècle, sous l’influence des médecins hygiénistes, et pour combattre les épidémies trop fréquentes dans les villes, en raison de la promiscuité et de l’insalubrité, plusieurs lois importantes sont votées:
- – La loi sur les logements insalubres du 13 avril 1850 réglemente les conditions de l’habitat et un important effort de constructions est entrepris par un Etat-Providence en gestation.
- – La Charte de l’hygiène publique, promulguée le 15 février 1902 rassemble de nombreuses
prescriptions en matière d’assainissement et de lutte contre les maladies contagieuses. Elle fournit un cadre légal à l’action des municipalités dans ce domaine, en les obligeant à adopter des règlements sanitaires pour protéger leurs administrés. - – La loi Strauss, du 12 avril 1906, attribue des facilités d’emprunt aux organismes désireux de bâtir des bains-douches et permet de subventionner leur installation par l’Etat, à partir des recettes des jeux (loterie, PMU…).
Cependant, au début du XXème siècle, le nombre de logements disposant de salle de bains, ou simplement d’eau courante reste faible.
Une statistique de 1902 réalisée en milieu ouvrier, indique que sur 100 adultes, « 2 prennent des bains dans une baignoire, 18 se lavent les pieds quand ils changent de chaussettes, 52 se lavent deux fois par hiver les pieds seulement, la figure et le cou tous les samedis, le cuir chevelu, jamais: 24 ne se lavent rien du tout. » (conférence de M. Secheret, Charleville, 1902)
C’est à la prison de Rouen, en 1872, que le docteur François Merry-Delabost, cherchant à améliorer l’hygiène des détenus, expérimente un nouveau système d’ablution : le bain-douche.
« Ce n’est pas un bain, puisqu’il n’y a pas l’immersion plus ou moins prolongée dans une baignoire […]. Ce n’est pas non plus une douche, puisqu’il n’y a pas percussion par un jet assez violent. C’est de l’eau chaude tombant d’une pomme d’arrosoir en pluie bienfaisante, dans le but d’obtenir la propreté exclusive du corps ».
Ce procédé conjugue rapidité et économie : sa durée raisonnable qui « ne doit pas excéder un quart d’heure » et son prix de revient, « y compris le savon et la rémunération du capital d’établissement», demeure faible. « Il présente l’intérêt de ne laisser place à aucun délassement suspect, son usager conservant un rôle actif durant l’opération. » ( publié dans « Les bains-douches de la Ville de Paris », 2017)
Le bain-douche est ainsi conçu dès l’origine pour contribuer autant à l’hygiène du corps qu’à la morale de l’esprit, revigoré et assaini.
Les philanthropes et les sociétés de bienfaisance sont les premiers à s’emparer de cette invention, et créent à Paris et en province les premiers établissements de bains-douches.
Retardé par la guerre, un vaste plan d’équipement se met progressivement en place dans la première moitié du XXème siècle, et les communes de Seine-et-Oise s’équipent.
Le 4 janvier 1929, M. Rolland, maire de Dourdan, annonce fièrement l’ouverture prochaine d’un établissement de bains-douches dans sa ville, avec la satisfaction de devancer de quelques mois la ville de Rambouillet, sa rivale de toujours.
« Il est indispensable de se laver souvent, très souvent, et quelle que soit la saison. Le moyen de le faire, que le particulier, dans l’état actuel des choses ne peut obtenir pour lui seul, c’est la collectivité qui le lui permettra par l’installation de bains-douches populaires.(…)
Dans quelques années, pas une commune ne voudra avouer qu’elle ne possède pas un établissement de cette sorte. Dourdan se devait d’être une des premières à en édifier une, et une municipalité amie du progrès, un maire dont chacun se plait à reconnaître les qualités de réalisateur ont fait tous leurs efforts pour répondre aux vœux d’une population toujours prête à adopter d’enthousiasme toute mesure présentant un intérêt général. »
Saluons sa modestie !
Les bains-douches de Rambouillet
A en juger par cette annonce de juillet 1852, il existait déjà à cette époque au moins un établissement de bains privé à Rambouillet.
Cependant je n’en ai pas trouvé de traces, autres que cette annonce.
Sans doute s’agissait-il plus d’un établissement de détente que d’hygiène ?
Quoi qu’il en soit, dès 1911, le conseil municipal se renseigne sur les possibilités de construire à Rambouillet un établissement de bains-douches. Il reçoit des offres de plusieurs compagnies, et échange avec d’autres municipalités.
La Société d’Etudes et de Construction de Bains Douches et Lavoirs Municipaux spécialiste reconnue de la question, fournit les renseignements suivants : compte tenu des 6484 habitants de la ville, l’établissement de Rambouillet devra disposer de 10 cabines, pour un besoin annuel estimé à 10 000 bains.
L’énergie nécessaire se calcule comme suit : 10 000 bains x 80 litres x 40° = 32 000 000 calories= 7000 K charbon.
Le coût de construction et d’équipement serait de l’ordre de 45 000 francs, couvert par une subvention des 2/3, et laissant donc 150 000 francs à la charge de la commune, à financer par un prêt de 20 ans, remboursable par une augmentation des centimes additionnels.
Interrompu par la guerre de 14-18, le projet est repris en 1920, et en juillet 1924 un devis de 70 000 francs est établi pour un établissement qui viendrait compléter les installations de l’Ecole Supérieure Professionnelle.
Destiné aux enfants en même temps qu’aux adultes, il utiliserait à bon compte les installations de chauffage de l’école.
L’étude technique du projet conduit toutefois à l’abandonner : en période de chauffage, la chaudière, même renforcée, risquerait d’être insuffisante pour ce besoin supplémentaire.
Puisqu’il faut de l’énergie, au coût le plus bas, l’idée d’utiliser celle de l’usine à gaz de Rambouillet semble alors une excellente idée, et le conseil municipal décide d’en étudier la faisabilité.
Le 6 janvier 1927, le rapport final est cependant décevant :
- placer les réservoirs d’eau chaude au dessus des fours serait risqué, en cas de fuite, et les responsables de l’usine s’y opposent,
- récupérer les gaz brulés serait techniquement possible, mais « l’économie serait illusoire et le loyer de l’argent plus onéreux que l’économie de charbon réalisée ». La longueur des tuyaux nécessaires, et la déperdition de chaleur qui en résulterait, entraînerait trop de pertes de fonctionnement, outre l’investissement initial.
Le 25 mai 1928, le conseil municipal décide donc d’abandonner définitivement cette solution.
Et le 11 mars 1929, après avoir étudié entre temps plusieurs autres emplacements, rue Gambetta, ou près de l’abreuvoir, le conseil retient finalement l’emplacement du n°6 de la rue du Général Humbert.
L’établissement de la rue Humbert
Il faut rappeler que le percement de la rue d’Angiviller n’est pas encore prévu. La rue du Général Humbert (rue de l’Ebat jusqu’en 1921) relie donc la place Félix-Faure à la rue Gambetta.
Au n°6, un maçon : M. Gondard a construit sa maison d’habitation. Il la vend le 28 février 1883 à M. Piquet et son épouse, née Grasset.
Au décès de Piquet, en 1898, la maison revient en indivision à sa veuve, et à ses enfants Gaston et Suzanne.
Cette dernière décède en 1918, et c’est donc l’indivision constituée par Mme Ve Piquet, son fils Gaston, Emile Gamet, le veuf de Suzanne, et leurs deux fils Jacques* et Gaston, qui vend en 1922 la maison à leur parent Alexandre Grasset, entrepreneur en bâtiment.
*Un article est consacré au Père Jacques Gamet (sans autre rapport avec les bains-douches de Rambouillet).
Grasset a son entreprise sur la place Félix-Faure, à l’emplacement du Monoprix. Il est en outre propriétaire de la maison mitoyenne, au n°4, et ses dépôts sont derrière, dans le prolongement de ces deux maisons. L’achat du 6 valorise donc sa propriété.
Si le nom de Grasset a été oublié par bien des Rambolitains, nombreux sont probablement ceux qui se souviennent de Victor Schoonyans qui reprendra plus tard l’entreprise et son foncier.
Malgré les nombreuses offres de location ou d’achat, la maison reste vide durant plusieurs années, avant d’être cédée à la ville.
Le rédacteur du Progrès se fait lyrique pour annoncer le 31 janvier 1930 :
« Avec sa porte fermée d’un simple vantail, ses fenêtres toujours closes par les nombreuses paupières de ses persiennes, elle restait étrangère à la vie rambolitain, au lieu de remplir bonnement son devoir de maison faite pour abriter une ou deux familles en peine de logement.
Aujourd’hui elle s’est réveillée pour subir une transformation capitale .»
Un entrepreneur spécialisé dans ce type d’établissement (on lui doit les bains d’Ivry, de Bondy ou encore de Chantilly), M. Jules Bafoil, par ailleurs président de l’Œuvre française d’hygiène, obtient par adjudication l’ensemble du chantier, pour un projet conçu par son architecte M. Lablaude de Versailles. Les lots qui ne demandent pas de spécialisation particulière sont sous-traités à des entreprises locales.
C’est ainsi que Claude Blevin prend en charge la couverture, et Arthur Aube la plomberie.
Le devis initial, voté par le Conseil s’élève à 303 341 francs. En application de la loi Strauss, 151 000 francs sont fournis par l’Etat, à partir des recettes du Pari Mutuel, et un prêt de 150 000 francs au taux de 5,05%/l’an est obtenu du Crédit Foncier de France, remboursable en 20 ans.
Les travaux sont surveillés et réceptionnés par Trubert, l’architecte de la ville de Rambouillet. Toutefois, le bâtiment n’est que très peu modifié en extérieur sur rue. On note seulement la pose, en décoration, de céramiques bleues pour rendre la façade moins austère.
Je ne désespère pas de trouver un jour une photo du bâtiment, mais pour le moment je dispose seulement de cette esquisse de l’architecte Trubert (archives municipales de Rambouillet).
La maison ancienne accueille désormais en rez-de-chaussée, la salle d’attente, une seconde salle commune, et un escalier dessert le logement du gestionnaire de l’établissement.
Le couloir central conduit au nouveau bâtiment, en longueur dans la cour. Y sont regroupés les locaux techniques et les cabines.
Le 14 juillet 1930, jour de l’inauguration, les visiteurs peuvent admirer
« la salle d’attente parée de plantes vertes, la propreté brillante des murs couverts de céramique blanche, avec la glace biseautée qui permettra d’ajouter le dernier détail de toilette, après la douche ou le bain… »
Les cabines sont éclairées par des lanterneaux et la ventilation est particulièrement bien étudiée.
Le maire Marie Roux, rappelant l’histoire des deux vieillards, cachés pour surprendre la chaste Suzanne au bain, rassure les Rambolitaines.
« Ici pareille mésaventure ne leur arrivera pas pour un double motif. D’abord parce que les salles de bains sont disposées de telle façon que nul regard indiscret n’y peut pénétrer. Le second motif, c’est qu’à Rambouillet tous les vieillards, mes administrés, sont particulièrement vertueux… »
Et cela n’a pas changé !
L’établissement est ouvert au public le 5 août 1930. Il remporte vite le succès escompté.
L’exploitation
Blafoil demande à être chargé de l’exploitation de l’établissement, et le conseil accepte de lui consentir un premier bail commercial de 9 ans, à compter du 1er juillet 1930, moyennant un loyer annuel de 500 francs, majoré d’une redevance de 8% des recettes encaissées.
Les prix proposés au public sont de 3 fr le bain et 1,35 fr la douche (plus divers prestations : 0.25 fr le savon, 0.20 la coiffe, 0,40 la serviette et 2 fr le peignoir). Tarif spécial pour les enfants, et gratuité pour les classes.
A partir de 1948, les baux sont renouvelés au nom de Fernand de Joubert, domicilié à Paris. Avec l’inflation, le loyer s’envole : 85 000 francs en 1953, 150 000 francs en 1957, 2 500 francs (nouveaux) en 1966.
Lors de l’avenant du 1er juillet 1966, le bail est mis au nom de M. Vanneur, qui était le gestionnaire local de l’établissement, pour le compte de M. de Joubert.
A l’échéance de 1969, plutôt que de demander un renouvellement de son bail, M. Vanneur propose de rester seulement un an de plus, pour terminer sur place l’année 1970, et renonce, en échange, à la propriété commerciale qui lui aurait assuré une indemnité en fin de bail.
Les derniers comptes d’exploitation connus (il s’agit de ceux de l’année 1965) indiquent une rentabilité faible, qui explique sans doute que l’exploitant n’ait pas souhaité prolonger davantage son activité.:
- recettes : 18 216 francs dépenses 15 382 francs
- loyer 1 500
- TVA, patente 2 285
- électricité, eau 783
- charbon 3 947
- produits 3 342
- divers 462
- réparations entretien 1 062
- bénéfice brut (avant salaires, assurances sociales, frais de bureau et de comptabilité) : 2 935 francs
La ville accepte volontiers cette prolongation, et les bains-douches de Rambouillet ferment donc définitivement, par consentement mutuel, le 31 décembre 1970.
Le percement de la rue d’Angiviller, dans son tronçon qui relie la gare à la rue du général Humbert et la rénovation du quartier entraîne alors la démolition du bâtiment qui abrite entre-temps l’Agence pour l’Emploi durant quelques années..
L’établissement n’est pas remplacé : les progrès des équipements individuels le rendent inutile.
Christian Rouet
2 février 2022
Merci au service des archives municipales de Rambouillet qui m’a permis de parcourir un dossier particulièrement complet, d’où j’ai notamment pu reproduire le plan ci-dessus.
Dernière heure : Fabrice Spaëth me transmet une photo du bâtiment des bains douches devenu pour quelques mois Agence pour l’Emploi en attendant sa démolition.