En patinant...
En 1926 le Petit Journal Illustré (28 novembre) offre à ses lecteurs des vues inédites de l’atelier du Père Noël.
Le cheval de bois, à bascule ou à roulettes reste une valeur sûre. Toutefois à cette époque, il est déjà dépassé par la trottinette. Ou doit-on dire la patinette ?
Mes dictionnaires s’accordent à ne pas voir de différence entre ces deux termes. Il s’agit toujours d’un « jouet composé d’une plate-forme allongée montée sur deux petites roues et d’un guidon à direction articulée, que l’enfant fait avancer en s’aidant d’un pied qu’il pose régulièrement par terre pour donner l’impulsion ou en actionnant une pédale en un mouvement de va-et-vient ». Son invention remonte à 1895.
C’est de la patinette à pédale que je voudrais vous parler aujourd’hui. Vous comprendrez plus loin pourquoi.
En 1955 le Père Noël m’avait apporté une patinette rouge. Oui, je crois que nous employions plutôt le mot patinette ! Et ma soeur, plus âgée, avait reçu une patinette à pédale, comme celle de la photo, mais verte.
Je dois dire que la pédale n’offrait pas une supériorité évidente : sur petits parcours elle était plus lente, et son équilibre était moins évident.
Le mode d’emploi insistait sur la nécessité de changer régulièrement de pied, « pour ne pas muscler les jambes de façon trop déséquilibrée ! »
Je l’ignorais à l’époque, mais la « patinette à pédale » portait un nom, avait fait l’objet d’un dépôt de marque et de modèle, et avait été à la mode dans les années 1925-1930
Le troticycle d’Henri Caillot
Le 20 décembre 1926 Henri Caillot dépose un brevet pour « commande de patinette » sous le numéro 618.618 et entreprend la vente d’une machine baptisée « Troticycle ».
C’est un succès, au point que plusieurs fabricants s’empressent de copier son modèle, arguant du fait que la patinette existe déjà depuis plus de 30 ans, et que l’ajout d’une pédale ne suffit pas à permettre le dépôt d’un brevet valable.
Le 5 février 1935 Caillot obtiendra la condamnation de ses concurrents indélicats, le tribunal estimant que :
- « l’invention d’un pose-pieds double, qui permet à l’usager de pédaler avec l’un ou l’autre pied, à son gré, pendant que le pied qui n’agit pas reste sur le pose-pied, est un moyen nouveau,(…)
- La commande directe de chaîne à brins divergents et croisés qui permet à la chaîne et au ressort de rappel de se croiser sans se rencontrer est également une disposition nouvelle. »
Il jugera donc que la combinaison de ces éléments nouveaux constitue bien un ensemble brevetable.
Ainsi le troticycle pourra poursuivre sa carrière au seul bénéfice de son inventeur. Mais comment s’est-il fait connaître, dès son apparition sur le marché en 1926 ?
Par des courses, comme ce fut le cas pour les bicyclettes, les voitures, les bateaux sur la Seine…
La course
Le Petit Journal a su multiplier le nombre de ses lecteurs en organisant des courses et autres événements (dont les premières Fêtes du Muguet à Rambouillet). L’importance du public massé devant ses bureaux, pour le départ de la course automobile Paris-Brest de 1911 témoigne de l’intérêt du public pour ces manifestations.
En 1895 l’Automobile Club est créé pour assurer la promotion des courses automobiles. On se rappelle que c’est la victoire de Louis Renault à la course de Paris-Trouville en 1899 qui le fait connaître du public, et assure le démarrage de sa société.
En octobre 1899 il gagne de même la course Paris-Rambouillet. Depuis 2008 l’association Renaissance-Auto en perpétue le souvenir en mobilisant tous les deux ans une cinquantaine de voitures centenaires.
Le journal l’Auto d’Henri Desgranges organise de même, depuis 1903, un Tour de France cycliste, et nombreuses sont les courses régionales qui passent par Rambouillet ou s’y terminent.
Le 10 janvier 1926 une course de troticycles est donc organisée sur ce modèle. Le jeune Bertrand l’emporte devant ses concurrents. Il a mis 1h20 pour effectuer un parcours de 20km.
Le 28 novembre 1926 cinq jeunes Rambolitains, âgés de 9 à 12 ans s’affrontent sur le parcours Rambouillet-Paris. Il s’agit cette fois d’une distance de 50km, avec départ devant la grille de Versailles, et arrivée dans le Bois de Boulogne. De nombreux cyclistes les accompagnent.
Un compte rendu publié dans le journal indique un temps de 3H1/2, un autre retient 2H48 dont une pause déjeuner (durée non précisée).
le Petit Journal 23 décembre 2022
Le chiffre officiel correspond probablement à celui qui sera désormais indiqué par Caillot dans sa publicité : 2h 47’ 37’’. Cela correspond donc à une moyenne de près de 18km/h, résultat assez remarquable compte tenu de l’âge des concurrents, de ce type d’engin et de l’état des routes d’alors.
Il y aura par la suite de nombreuses compétitions locales, dont la Fête annuelle du jouet sportif organisée à Paris sur l’avenue Gallieni, mais aucune distance aussi longue que celle de ce Rambouillet-Paris, qui ne sera pas renouvelé.
Voici donc quel est l’événement que je souhaitais évoquer ici, et qui rattache, de façon peu connue, Rambouillet à la patinette.
Ajoutons qu’elle est toujours appréciée des enfants, malgré la concurrence des patins à roulettes, rollers et vélos, mais que le principe de la patinette à pédale n’a pas tellement séduit.
Quant à la patinette à moteur inventée par l’Américain Gibson en 1915, qui disposait déjà d’un modèle électrique capable d’atteindre les 35km/h, il lui faudra attendre la miniaturisation des batteries au lithium pour qu’elle connaisse depuis quelques années une nouvelle vie.
Reste aujourd’hui à lui définir un cadre légal … Et à éduquer ses utilisateurs, ce qui n’est jamais le plus simple !
Christian Rouet
Noël 2022