Le serment républicain
Serment, de sagrament : « affirmation ou promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré » (Serments de Strasbourg. vers 842).
Courant sous la monarchie française, le serment change de nature pendant la Révolution.
Il avait jusqu’à lors contribué à affirmer les allégeances et à renforcer les relations hiérarchiques au sommet desquelles se trouvait le roi, souverain de droit divin. A partir de 1789 il devient un acte collectif d’engagement réciproque entre personnes libres et égales en droit. C’est un signe d’obéissance et de soumission aux lois, quel que soit le régime en place. Celui qui refuse de le prêter se désigne lui-même comme un ennemi à combattre.
Obligatoire lors de l’entrée dans une fonction publique, il ne sera définitivement abandonné par la République, que le 5 septembre 1870.
Son contenu s’adapte naturellement à chaque gouvernement. A titre d’exemple, j’ai relevé ici le texte du serment prononcé par chacun des maires de Rambouillet de 1789 à 1852.
Les serments de juin 1789
Depuis le 5 mai 1789, le clergé, la noblesse et le tiers-état sont réunis en états généraux et siègent en chambres séparées.
Le 17 juin, les députés du tiers-état, considérant qu’ils représentent « les quatre-vingt seize centièmes au moins de la nation » se proclament Assemblée nationale. À cette occasion, ils prêtent un premier serment : « Nous jurons à Dieu, au Roi et à la Patrie de remplir avec zèle et fidélité les fonctions dont nous sommes chargés.»
Ce serment fonde réellement la Révolution. Pourtant c’est un second serment, prononcé le 20 mai dans la salle du Jeu de paume de Versailles, qui devient l’acte originel de la Révolution.
Ce jour là, le roi, irrité par les initiatives des députés du tiers-état, leur interdit l’accès à la salle de l’hôtel des Menus-Plaisirs, où se tenaient les états généraux, au prétexte de travaux. Ils occupent alors la salle du Jeu de paume, pour poursuivre leurs délibérations, et toute la journée de fausses rumeurs leur font craindre une réaction violente du roi.
En fait celui-ci ne semble pas attacher une grande importance à leur désobéissance. Dans son journal intime, il note seulement ce jour-là : « 20 juin 1789: Chasse au cerf au Butard à 9 heures. Pris un. »
Mais les députés ont peur, et par le serment qu’ils prononcent, main levée à la romaine (et qu’ils signent ensuite sur deux registres) ils cherchent seulement à s’assurer qu’aucun d’entre eux ne pourra se désolidariser de ses collègues si le roi cherche à les diviser.
« Nous jurons de ne jamais nous séparer et de nous rassembler partout où les circonstances l’exigeront jusqu’au jour où la constitution du royaume sera établie et affermie sur des fondements solides. »
Ce n’est pas un serment contre le roi, tel que le présentera par la suite l’histoire de la Révolution, mais un serment sans le roi. Et c’est en cela qu’il n’est pas le signe d’une sédition, mais d’une véritable révolution.
La Révolution ayant besoin de se trouver –voire, de s’inventer– des mythes, le serment du Jeu de paume prendra par la suite une importance considérable. Il sera commémoré chaque année à partir de 1790. Un grand tableau sera commandé à David (il n’en réalisera que des ébauches, confronté au problème que ses principaux acteurs sont reniés les uns après les autres…). D’autres peintres ou sculpteurs s’empareront du thème et plusieurs projets de transformation de la salle du Jeu de paume en musée de la Révolution seront envisagés avant d’être finalement abandonnés.
Le serment de la fête de la Fédération
Dans les mois qui suivent, un serment républicain sera proposé à tous les « bons » citoyens, à Paris comme en province, et par décret du 22 décembre 1789, à toutes les administrations du royaume. Il prend sa forme définitive le 14 juillet 1790.
Ce jour-là, une spectaculaire fête de la Fédération est organisée au Champ de Mars. Après une messe célébrée par trois cent prêtres, la Fayette, promu major général de la Fédération, prononce le serment de fidélité à la Nation, à la Loi et au Roi. (L’ordre des mots est important !)
Ce serment est repris en choeur par les députés et tous les spectateurs. Puis, à son tour le roi, suivi de la reine, chapeautée de tricolore, prête le sien, en jurant de « maintenir la constitution et de faire exécuter les lois ».
Un Te Deum termine la fête. Pendant plusieurs années, le serment républicain sera d’ailleurs toujours accompagné d’une messe ou d’un Te Deum car sa nature première est bien d’essence religieuse, avant de devenir un pacte, passé entre les membres de la nation, égaux, indivis et unis à jamais.
« Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le roi, et de protéger conformément aux lois la sureté des personnes et des propriétés, la circulation des grains et des subsistances dans l’intérieur du royaume, la prescription des contributions publiques sous quelque forme qu’elle existe, et de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la fraternité. »
Prononcé dans toute la France, il permet d’obtenir le certificat de civisme qui distingue le bon citoyen. Ceux qui refusent de s’associer aux idées de la Révolution, deviennent des dissidents, et très vite des ennemis.
Le serment des prêtres
Dans la nuit du 4 août 1789, les privilèges du clergé disparaissent en même temps que ceux de la noblesse. Pour autant la révolution n’est ni laïque, ni athée. Les révolutionnaires ont l’ambition, partagée par de nombreux députés issus du bas-clergé, de réformer le clergé pour revenir à la pureté de l’« Église primitive ». Le 12 juillet 1790 une Constitution civile du clergé est adoptée. Ses membres seront désormais élus et rémunérés par l’Etat.
Le pape Pie VI s’oppose avec force à ce projet, mais le roi en promulgue néanmoins le décret, le 24 août 1790. Devant l’opposition de nombreux évêques, l’Assemblée Nationale impose aux prêtres de prêter serment :
« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse (ou du diocèse) qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. »
L’église de France se divise entre prêtres assermentés, et prêtres insermentés (ou réfractaires). Dans un premier temps la liberté d’opinion de ces derniers est respectée, mais progressivement ils sont suspectés de prêcher la contre-révolution. Ils font alors l’objet d’une sévère répression, et un mouvement de déchristianisation se développe.
Il faut attendre le 18 septembre 1794 pour que l’Etat, par souci d’économie, décide d’arrêter de financer l’Eglise assermentée. Ainsi sera instaurée une première séparation de l’Eglise et de l’Etat. Napoléon y mettra fin en 1801, par l’adoption d’un concordat destiné à calmer les oppositions religieuses à son pouvoir.
Le serment des maires
Les premiers maires sont nommés en application de la loi des 14 et 19 décembre 1789.
Un maire nommé, c’est un maire dont on est sûr que sa « couleur politique » n’est pas à l’opposé de celle de Paris. Les préfets ont donc pour charge de trouver le maire en fonction du régime. Tantôt royaliste, tantôt républicain, parfois bonapartiste. Le maire, tant qu’il est nommé devra donc prêter serment de fidélité à l’Empereur, au roi, au prince-président…
Voici, à titre d’exemple, les formules prononcées, de 1789 à 1852 par les maires de Rambouillet.
14 décembre 1789, Jacques Thièry, règne de Louis XVI
« Je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du Royaume, d’être fidèle à la Loi et au Roi et de bien remplir mes fonctions. »
10 août 1792, Huard, règne de Louis XVI
« Au nom de la Loi, je jure d’être fidèle à la Nation, de maintenir de tout mon pouvoir la liberté et l’égalité ou de mourir à mon poste. »
5 septembre 1797 (19 Fructidor an V), Louis Boulle, Directoire
« Je jure haine à la Royauté et à l’anarchie, fidélité et attachement à la République et à la Constitution de l’an III. »
30 juillet 1799 (12 thermidor an VII), Bubosq, Directoire
« Je jure fidélité à la République et à la Constitution de l’an III. Je jure de m’opposer de tout mon pouvoir à l’établissement de la royauté en France et à celui de toute espèce de tyrannie. »
16 novembre 1799 (25 Brumaire an VIII), Dubosq, Directoire
« Je jure d’être fidèle à la République une et indivisible, fondée sur l’égalité, la liberté et le système représentatif. »
11 janvier 1800 (24 nivôse an VIII), Dubosq, Consulat
« Je promets d’être fidèle à la Constitution. »
18 mai 1804 (28 floréal an XII), Henri Levasseur, Empire, Napoléon 1er
« Je jure obéissance aux Constitutions de l’Empire et fidélité à l’Empereur. »
30 décembre 1814, JS Delorme, Restauration, Louis XVIII
« Je jure et promets à Dieu de garder fidélité au Roi; de n’avoir aucune intelligence, de n’assister à aucun conseil, de n’entretenir aucune ligue qui serait contraire à son autorité; et si, dans le ressort de mes fonctions, ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose à son préjudice, je le ferai connaître au Roi. »
10 avril 1815 : JS Delorme, cent jours, retour de l’Empereur
reprise du serment du 18 mai 1804.
8 mai 1818, JS Delorme, Louis XVIII
« Je jure fidélité au Roi, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux lois du Royaume .»
29 octobre 1831, Charles Bourgeois, révolution de juillet
« Je jure fidélité au Roi des Français, obéissance à la Charte constitutionnelle et aux lois du Royaume. »
14 janvier 1852, Charles Voirin, révolution de 1848, présidence de la république
« Je jure obéissance à la Constitution et fidélité au Président. »
23 décembre 1852 Charles Voirin, Napoléon III
« Je jure obéissance à la Constitution et fidélité à l’Empereur. »
Depuis la fin du Second-Empire, les maires sont élus, et le serment obligatoire a disparu.
Certains élus le regrettent, et en juin 2005, une trentaine de sénateurs ont présenté une proposition de loi visant à instituer une prestation de serment pour le Maire, le Président du Conseil général et le Président du Conseil régional. Le texte proposé (qui n’a pas été retenu) était le suivant :
« Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions et d’observer en tout les devoirs qu’elles m’imposent. »
En janvier 2019, Bernard Perrut, député de la 9ème circonscription du Rhône (LR), a proposé également une prestation de serment pour les maires et adjoints des communes. Il arguait que :
« Par sa portée exemplaire et symbolique, le serment valorisera la responsabilité politique des élus, leur attachement aux valeurs républicaines; il sera à la fois promesse de fidélité et de dévouement, et aura aussi une valeur pédagogique, notamment à destination des jeunes qui assistent à l’installation du conseil municipal, un moment souvent émouvant pour les nouveaux élus, leurs familles, et celles et ceux qui les ont soutenus. »
Le texte proposé – proposition de loi 1589 – était le suivant :
« Aussitôt après leur élection, le maire et ses adjoints prêtent serment devant le conseil municipal, d’exercer leur mandat dans le respect de la Constitution, de son Préambule et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »
Pour le moment l’Assemblée a considéré qu’elle avait d’autres priorités que d’étudier ces textes.
Reverra-t-on un jour cette prestation de serment ? Et n’est-il pas un peu utopique de penser qu’un serment peut modifier le comportement de quelqu’un ?
Le 8 novembre 1790, Talleyrand, sans doute l’homme politique qui a prêté et violé le plus de serments dans sa longue carrière, écrivait déjà : « Après tous les serments que nous avons faits et rompus, après avoir tant de fois juré fidélité à une constitution, à la nation, à la loi, au roi toutes choses qui n’existent que de nom, qu’est-ce qu’un nouveau serment signifie ? »
« Pesez serment contre serment, et vous pèserez le néant. » (Shakespeare, le Songe d’une nuit d’été)
Christian Rouet
septembre 2024