Le mari faisait du tricot

En février 1936, tandis que se préparent les élections législatives qui porteront au pouvoir Léon Blum et son gouvernement de Front Populaire, les Rambolitains se passionnent pour le crime de ceux que la presse nationale a immédiatement baptisés les amants tragiques de Rambouillet.

Le crime

Gilberte Robillard a 28 ans. Elle a épousé à 19 ans Olivier Tessier, de 4 ans son aîné. Le couple vit, avec ses 4 enfants de 15 mois à 9 ans, dans un immeuble de Grenonvilliers, quartier ouvrier de Rambouillet.

Olivier est peintre au service des Chemins de fer de l’Etat. C’est un homme doux, mais sans doute faible, que sa femme méprise, et qu’elle trompe depuis des mois avec un ami de son époux, Gaston Langevin, 25 ans, peintre dans l’entreprise de couverture Aube. Leur liaison est connue de tous… sauf du mari.

On ne saura pas qui a décidé le premier de se débarrasser d’un mari pourtant peu encombrant. Cependant, en janvier 1936, les deux amants choisissent de passer à l’acte. Langevin achète un  révolver, avec de l’argent que lui donne sa maîtresse. Dans la nuit du 27 au 28 janvier, il brise une lanterne de la voie ferrée de Rambouillet, espérant que Tessier, chargé de son entretien, serait appelé pour la réparer. Il l’aurait alors assassiné, et en plaçant son corps sur la voie ferrée, aurait simulé un accident qui aurait même valu à sa veuve une pension. Mais ce n’est pas Tessier qui est chargé de la réparation.

Langevin casse une seconde lanterne dans la nuit du 3 au 4 février, sans plus de résultat.

Le couple change alors de stratégie. Le 5 février Gilberte demande à son mari d’aller en vélo à Vieille-Eglise après son travail, pour chercher de la paille pour rembourrer le matelas d’un des enfants. Dès qu’il prend la route elle envoie son fils ainé en prévenir Langevin qui se place en embuscade. Deux passants l’obligent à différer son acte, mais dès qu’il est assuré de ne pas être vu, il abat Tessier d’une première balle, puis l’achève de quatre autres.

Rentré à Grenonvilliers il confirme à sa maîtresse que tout est fini, et vers 9h30, Gilberte Tessier se rend à la gendarmerie de Rambouillet pour faire part de son inquiétude devant l’absence de son mari. Le corps est vite retrouvé, et la veuve s’effondre en larmes. Des voisins viennent la soutenir toute la nuit. Parmi eux Langevin, abattu par le décès de son cher ami, qui se propose même pour aller en informer ses parents.

L’enquête

Détective 13 février 1936

les assassins de Rambouillet Elle s’oriente d’abord vers des rodeurs, comme les gendarmes en arrêtent régulièrement, pour mendicité et braconnage. Trois billets de banque auraient été dérobés dans la poche du veston de Tessier…par des voleurs qui auraient pris ensuite la peine de le reboutonner.

Les voisins évoquent rapidement la liaison des deux complices. Langevin est interrogé, et il ne tarde pas à craquer. Les gendarmes perquisitionnent dans sa maison, trouvent des traces de sang sur sa bicyclette et découvrent vite le pistolet qu’il a démonté et caché en plusieurs endroits. Il faut soustraire l’assassin à la vindicte des parents de Tessier qui veulent le venger, et Langevin est ramené au Parquet. Il dénonce Gilberte Tessier qui est arrêtée à son tour. Chacun des amants rejette l’idée de ce meurtre sur l’autre.

Il n’a fallu que 36 heures au commissaire Flamand pour boucler l’enquête. Les deux complices signent leurs aveux et sont aussitôt incarcérés à la prison de Rambouillet.

Le samedi 8 février a lieu l’enterrement du cheminot « l’époux, le père irréprochable, l’ouvrier économe et laborieux, le camarade unanimement aimé ». Les enfants sont pris en charge par l’Orphelinat des Chemins de fer.

Le procès

Le 20 novembre 1936 les deux amants sont transférés à la prison de Versailles, en vue de leur procès. Le Progrès de Rambouillet, en annonçant ce transfert conclut :« Le châtiment approche ». 

Il faut cependant attendre le 3 juin 1937 pour que la Cour d’Assise se réunisse. Le procès est largement commenté, tant par la presse de Rambouillet que par la presse nationale. Il n’y a pourtant pas grand suspens : les deux assassins ont avoué leur crime, et le seul point qui n’a pas été élucidé (et qui ne le sera jamais) c’est de savoir qui a été l’instigateur du meurtre : les deux amants s’en accusent mutuellement pour atténuer leur responsabilité.

Dans toute affaire criminelle un journaliste s’empare d’un détail, parfois anodin, apte à frapper l’imagination, que tous les médias reprennent ensuite. C’est un trait de caractère de l’assassin, un détail du crime, une anecdote qui décrit la victime… Ici, on apprend au cours de l’audience durant laquelle 45 témoins de moralité viennent dire tout le bien qu’ils pensent du pauvre Tessier, qu’il lui arrivait de faire du tricot. Sans doute n’était-ce là qu’une des nombreuses activités auxquelles il lui arrivait de s’adonner parfois, mais le détail frappe l’opinion. Comment expliquer plus simplement que Tessier était un homme doux… et en même temps que sa femme pouvait être attirée par la virilité de Langevin, « un vrai homme ». Pour la presse Tessier devient donc un brave homme qui faisait du tricot.

Le Petit Journal 6 juin 1937

Gaston Langevin a « de beaux cheveux noirs, un teint tristement vert et un grand nez imbécile. Il a une figure en coupe papier. Gilberte Tessier qui n’a que 28 ans et en parait dix de plus, a de grosses lèvres charnues et un teint de pruneau.  C’est une femme fatale, sans doute» (L’Oeuvre 4 juin 1937).

« La face abjecte de Langevin, dont le nez en lame de couteau et la bouche en coup de serpe disent assez la brutalité et la cupidité. (…) Une Thérèse Raquin rambolitaine qui n’a même pas pour elle  le moindre charme physique.» (le Petit Journal 4 juin 1937)

«Lui, maigre bonhomme au physique de dégénéré, elle, grosse matrone bêtement scandaleuse. » (L’Humanité 4 juin 1937)

Le verdict

Sans surprise, les deux amants sont condamnés à mort, à l’issue d’un procès de 3 jours qui n’a pas permis de déterminer l’instigateur du meurtre. « L’attitude des deux misérables ne plaidait pas en leur faveur : lui, indifférent, elle, faussement pleurnicharde, vraiment peu sympathiques. Condamnés à mort, ils ont eu le châtiment qu’ils méritaient ».(le Progrès de Rambouillet 11 juin 1937)

Les deux condamnés introduisent aussitôt le pourvoi en cassation permis par la loi dans un délai de 5 jours. La Cour de Cassation, qui dispose d’un délai trois mois pour l’étudier, le rejette le 30 juillet 1937, rendant la condamnation définitive.

La presse nationale s’intéresse aux assassinats et aux procès, mais rarement à leurs suites. Seule la presse locale rendra compte des suites de ce procès.

La peine de mort

Le 6 octobre 1791, après avoir envisagé de la supprimer, la Convention avait légalisé et démocratisé la peine de mort. Désormais la torture préalable était supprimée, et la décapitation n’était plus réservée aux nobles : « tout condamné aura la tête tranchée ». La Convention avait voté en 1795 son abolition conditionnelle « à dater du jour de la publication de la paix générale », mais le Code Pénal de 1810 était revenu sur cette abolition conditionnelle et maintenu la peine de mort dans 39 cas d’application.

le Chat de Geluck

La Révolution de 1848 avait refusé de voter l’abolition générale de la peine de mort, mais l’avait  supprimée cependant pour les délits politiques. Les postes de bourreaux qui existaient dans chaque département avaient alors été remplacés par un seul poste national.

L’exécution a eu longtemps lieu en public. Sur un échafaud pour être mieux visible, jusqu’en 1870, au sol, devant la prison de la cour d’arrêt départementale jusqu’en 1939. Elle s’est tenue ensuite sans public, dans la cour de la prison, jusqu’à son abolition définitive en 1981.

Dans les six mois du rejet du recours introduit devant la Cour de Cassation, le Président de la République devait étudier le dossier du condamné et pouvait le faire bénéficier de la grâce présidentielle.

Depuis 1900 toutes les femmes condamnées avaient bénéficié de cette grâce. Cependant, plus tard, le Maréchal Pétain refusera de prononcer cinq grâces, et après lui, le Président Auriol en refusera trois, dont celle de Germaine Leloy-Godefroy, coupable du meurtre de son mari, qui sera en 1949 la dernière femme exécutée en France.

A partir de 1906 le président Fallières, adversaire de la peine de mort, gracie systématiquement tous les condamnés. Mais plusieurs crimes particulièrement abjects mobilisent l’opinion publique contre l’abolition de la peine de mort. Aristide Briant la propose malgré tout en 1908, et au terme d’un vaste débat parlementaire, l’Assemblée rejette sa proposition d’abrogation par 330 voix contre 201. Il n’y aura plus de débat sur ce sujet avant celui que portera Badinter en 1981, après l’exécution de Patrick Henri (la dernière à avoir lieu en Europe).

Cependant, de nombreux présidents usent largement de leur droit de grâce.

Le 20 juin 1937 le président Albert Lebrun accorde sa grâce aux deux assassins de Rambouillet, commuant leur peine en travaux forcés à perpétuité.

Que deviennent-ils ensuite ? On sait que la « perpétuité » désigne en droit français une peine de 30 ans, et que celle-ci peut être raccourcie dans bien des cas, sauf cas de « peine incompressible ».

Je ne sais pas ce qu’il en a été des amants de Rambouillet ni de la date de leur libération.

Il semble toutefois que Gaston Langevin soit décédé à Rambouillet le 21 janvier 1969, 32 ans après son internement. Avait-il été libéré seulement deux ans avant sa mort ?

Quant à Gilberte Tessier, remariée en 1967, 30 ans après sa condamnation, elle serait décédée le 6 janvier 2002, à Auneau, à l’âge de 94 ans.

Christian Rouet
juillet 2024

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