Le château féodal de Rochefort
Je devrais écrire « de Rochefort-en-Yvelines », puisque la commune de Rochefort a obtenu par décret du 15 février 1879 le droit de prendre ce nom, sans doute pour se démarquer de son homonyme de Charente-Maritime (ou des 11 communes qui partagent son patronyme en France).
Cependant nous allons parler ici d’une époque beaucoup plus ancienne : celle où Guy le Rouge construisit à Rochefort un château féodal, au XIème siècle. Ses ruines sont toujours visibles, en surplomb de la ville.
A l’époque féodale
Le site de Rochefort domine le vallon creusé par la Rabette, affluent de la Rémarde. Cette région d’Yveline a appartenu au domaine royal dès l’origine de la monarchie, et les rois Mérovingiens et Carolingiens en ont disposé très tôt en effectuant de nombreuses donations envers des établissements religieux. La seigneurie de Rochefort, elle-même, a peut-être été donnée par le roi Robert (roi en 922) à Thibaud de Monthléry (dit Thibaud File-Etoupe), forestier du roi, grand-père paternel de Guy le Rouge. Son château avait une grande importance stratégique. Avec les forteresses de Rochefort, de Châteaufort, de Gometz-le-Châtel et de Chevreuse le puissant seigneur de Monthléry contrôlait la route de Paris à Chartres (dite route d’Orsay), comme il contrôlait avec Montlhéry et d’autres châteaux celle de Paris à Orléans.
Les historiens s’accordent à dater du XIème siècle, le château féodal de Rochefort, et à l’attribuer à Guy 1er de Rochefort, dit Guy le Rouge. Cependant il est probable qu’il a été précédé d’une ou plusieurs constructions plus anciennes, sans doute en bois. Certains pensent qu’il pourrait y avoir eu à cet endroit un oppidum gaulois.
Aujourd’hui on ne fait que deviner l’emplacement de ce château féodal, depuis la place de la petite église qui surplombe la ville. La végétation y est dense, et le chemin qui mène aux ruines est fermé au public.
Mais la ville, propriétaire du site, a des projets : nous les évoquerons plus loin.
On voit sur cette carte postale récente, l’église et son cimetière au premier plan et au fond l’actuel château Porgés, construit entre 1899 et 1904. Les ruines du château féodal se devinent entre les deux, simples pans de pierres dévorés par le lierre et les arbres.
Guy le Rouge
Voici un personnage intéressant, dont la vie aventureuse rappelle celle du fameux Simon de Montfort qui s’illustrera en Yveline, deux siècles plus tard.
Il s’agit du second fils de Gui Ier de Montlhéry et d’Hodierne de Gometz, dame de La Ferté, surnommé Guy le Rouge, ou Guy à la tête rousse, à cause de la couleur de ses cheveux.
On le trouve mentionné à plusieurs reprises dans des actes, en qualité de témoin, ou pour approuver des donations effectuées par ses parents au profit de plusieurs communautés religieuses, dont, en 1062, celle qu’ils consentent au profit du prieuré de Longpont (à Longpont-sur-Orge, Essonnes), où son père se retire vers 1075.
L’héritage du seigneur de Montlhéry est alors partagé entre ses enfants, et Guy en reçoit ainsi le tiers. Mais depuis 10 ans il possède déjà personnellement (sans que l’on sache exactement comment elle lui a été transférée) la seigneurie de Rochefort, et sans que l’on en connaisse les dates de construction, il y a fait construire un château, une église, et des remparts pour protéger la ville.
Lorsque son épouse Adélaïde de la Ferté lui apporte en outre les domaines de La Ferté-Baudoin et de Gometz-le-Châtel, Guy le Rouge devient l’un des principaux seigneurs de la région, et à son tour il effectue d’importantes donations aux communautés religieuses.
Il gagne la confiance du roi Philippe 1er (couronné en 1059) qu’il soutient dans les nombreux combats que le roi livre contre ses vassaux, pour instaurer le pouvoir royal, et en 1091 il est récompensé par le titre de sénéchal du royaume.
Au printemps 1092, le roi Philippe répudie son épouse Berthe de Hollande pour épouser Bertrade de Montfort l’épouse de Foulques IV le Réchin. L’Eglise juge fort mal cette conduite, et Philippe 1er charge alors son sénéchal de négocier avec l’évêque de Chartres pour obtenir une bénédiction papale. Guy le Rouge n’y parvient pas, mais conserve la confiance du roi (en 1094 Philippe sera excommunié, mais il refusera de se soumettre, et le couple royal vivra 10 ans sous l’anathème de l’Eglise).
Lorsque le pape Urbain II vient en France en 1095 pour prêcher la première croisade, Philippe 1er, excommunié, ne peut y prendre part. Avec son accord, Guy le Rouge se démet de sa fonction de sénéchal et accompagne l’année suivante Raymond IV de Toulouse et Godefroy de Bouillon.
Il revient de Jérusalem en 1104, « couvert de gloire et chargé de richesses »(Suger) reprend sa charge de sénéchal et Rochefort est érigé en comté. Durant trois ans Guy le Rouge, comte de Rochefort, est l’un des seigneurs les plus influents à la cour, soutien puissant de la couronne, au point que le roi fiance son fils Louis le Gros (tout d’abord surnommé Louis l’éveillé, puis Louis le Batailleur) avec sa fille Lucienne.
Le mariage doit avoir lieu en 1107, mais Guy a de nombreux ennemis, jaloux de son influence, qui parviennent à obtenir du pape Pascal II l’annulation du mariage prévu, pour cause de consanguinité. D’après certaines sources non confirmées, le futur roi aurait lui-même trouvé Guy le Rouge un peu trop puissant à son goût : « Je ne veux pas trouver un maître en notre beau-père, quand nous devrions trouver en lui un sujet »…
Quoi qu’il en soit, cette annulation constitue un affront difficile à accepter pour le comte de Rochefort qui se démet aussitôt de son titre de sénéchal, et quitte la cour, soulevant plusieurs nobles locaux contre le roi.
Cependant le pouvoir royal s’est renforcé, et c’est avec une armée aguerrie que Louis le Gros (qui vient d’être sacré roi en 1108) vient assiéger le château de Gournay, propriété de Guy le Rouge, alors défendu par son fils Hughes de Crecy. Le siège est difficile, il dure longtemps et laisse à Guy le Rouge le temps de venir avec son armée pour secourir son fils. Mais les troupe royales sont victorieuses et Guy le Rouge est obligé de s’enfuir.
Il meurt en août 1108 dans le monastère de Gournay où il s’est retiré, un mois après Philippe 1er qui aura été son ami avant de devenir son ennemi (et qui aura régné 48 ans : 3ème règne le plus long de France, après ceux de Louis XIV et de Louis XV).
Le château
Guy II, fils de Guy le Rouge étant décédé sans enfants, la seigneurie est transmise aux Garlande. La disgrâce de Guy le Rouge et la victoire de Louis le Gros n’ont probablement pas entraîné le démantèlement du château de Rochefort, puisqu’il est mentionné, en 1127, lorsque Etienne de Garlande le transmet à sa nièce (à moins qu’il n’ait été reconstruit entre-temps). Cependant, la seigneurie de Rochefort n’est plus un comté.
Elle passe ensuite par héritage à la famille des Montfort, puis à la maison de Dreux.
C’est probablement en 1428, quand Rochefort est pris par les anglais, que le château est détruit, et en 1596, lorsque la châtellenie est acquise par Hercule de Rohan, celui-ci ne cherche pas à le restaurer. Ses pierres servent à la construction d’un château Renaissance, mieux adapté à cette période de paix.
Il reste des ruines importantes, qui traversent ensuite les siècles sans grand changement, ainsi qu’en témoigne la comparaison entre le détail de cette gravure de Chastillon au XVIIème siècle, et celui d’une carte postale du XXème :
Le château de Rochefort est situé sur un éperon de grés de 150 m de long, par 15 à 20 m de large, qui domine d’environ 40m le village.
Quant à l’église bâtie au pied du donjon, sur le versant ouest, elle repose sur une plateforme assez grande pour recevoir l’église et le cimetière, et où il était possible de disposer quelques engins de défense en cas de siège.
Les ruines du donjon, à l’extrémité nord du château révèlent une solide tour de 10m sur 8m (intérieur) dont les murs avaient à la base 3 m d’épaisseur. Ce n’est sans doute là que la dernière version d’un donjon primitivement en bois, et consolidé au fil des années.
Le plan du château, qui épousait la forme de l’éperon rocheux, couvrait 1650m2. Il a été reconstitué, à partir des ruines existantes, et les fouilles qui n’avaient encore jamais été entreprises sur le site permettront peut-être de le compléter.
L’eau de pluie, et sans doute des réserves puisées dans la Rabette, alimentaient des citernes. Un puits avait-il été creusé dans plus de 40m de grès ? Cela semble correspondre à un travail bien difficile, mais nos ancêtres nous ont étonnés tant de fois ! Le puits du château de la Madeleine à Chevreuse –plus récent– n’a-t-il pas une profondeur de 80m ?
La municipalité de Rochefort-en-Yvelines, propriétaire de cet ensemble, souhaite mener de front des fouilles et des travaux de consolidation afin de l’ouvrir au public. J’ai demandé à Christian Bou de nous en parler. Historien et archéologue, membre du conseil municipal, vice-président de l’association historique de Rochefort il a été désigné par la Drac pour superviser ce projet.
Il nous résume ici l’état de ce beau projet :
« La commune de Rochefort est propriétaire du site depuis quelques années, les ruines ont été rachetées aux propriétaires du golf.
Depuis trois ans, en partenariat avec le PNR de la haute vallée de Chevreuse, une campagne de défrichement a été entreprise avec l’association Etudes et Chantiers encadrant des bénévoles internationaux.
Le site n’était qu’un gigantesque roncier, où les ruines étaient très peu visibles. Dès la première année, les habitants ont découvert, qu’au-dessus de l’église, se trouvaient, désormais visibles, les murs de la forteresse de Guy à la tête rousse.
Le deuxième chantier épaulé par les services techniques de la commune a rendu le site plus lisible. Près de 150 personnes sont venues découvrir ce véritable nid d’aigle, lors des journées du patrimoine. L’été dernier, le chantier s’est poursuivi, certains chemins d’accès ont été dégagés et restaurés.
Ces travaux vont continuer l’été prochain, avec ces structures ou avec d’autres. La végétation a tendance à reprendre très vite l’espace ainsi dégagé, un entretien des parcelles sera nécessaire au printemps pour ne pas perdre de temps à re-nettoyer les zones déjà débroussaillées. »
Christian Bou profite de cet article pour adresser un appel aux bonnes volontés de la région :
« Venez nous aider à faire renaître ce site exceptionnel. Nous avons la volonté de sécuriser le site pour qu’il soit aisément visitable et de sécuriser les ruines, qui restent extrêmement fragiles.
Parallèlement et grâce à ces actions déjà entreprises, l’étude scientifique du site est en cours. Si je travaille sur les fonds d’archives existant pour retracer l’histoire de ce château et des seigneurs qui l’ont érigé, j’a également lancé une étude structurelle du site.
Il y a quelques jours une opération de relevé topographique fine a été réalisée. Ce relevé LIDAR (LIght Detection And Ranging) via un drone va permettre de réaliser un modèle numérique du site, ce projet a été financé par le PNR et la DRAC. Les résultats obtenus, le site va être décrypté et observé de façon précise. Cela ouvrira la voie à une nouvelle série d’investigations, relevés photogrammétriques des vestiges avant restaurations et pourquoi ne pas envisager des investigations archéologiques et une ouverture du site au public ?
Cela va nécessiter du temps et des moyens, mais la richesse du site le mérite. Edifié au XIe siècle, ou avant, abandonné au XVe, la forteresse de Rochefort, inconnue du public et trop peu étudiée, va renaître. »
Vous êtes intéressé pour participer d’une façon quelconque à ce projet ? Vous souhaitez rester informé de son évolution ? N’hésitez pas à contacter directement monsieur Bou à cette adresse mail : shrey78730@gmail.com. Nul doute que ce projet en vaut la peine !
Rochefort-en-Yvelines nous offre bien d’autres centres d’intérêts : l’histoire des châteaux plus récents, construits par les Rohan, et le dernier par le diamantaire Porgés (devenu depuis un golf de renommée internationale)…
Et bien sûr, son église, et la ville elle-même, autour de son ancien bailliage, avec ses rues anciennes, les traces de ses remparts, son lavoir…
Encore de quoi publier nombre d’articles pour vous donner envie de visiter Rochefort-en-Yvelines (et sans doute l’occasion de solliciter à nouveau Christian Bou que je remercie pour sa participation).
Christian Rouet
mars 2024