L'année 1789 à Rambouillet
Le 5 mai 1789 le Roi réunit les Etats Généraux à Versailles. Le 9 juillet, l’assemblée qui a refusé de se dissoudre se proclame Assemblée nationale constituante. Le 4 août, les privilèges féodaux sont abolis, et le 26 août la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est adoptée. Le roi est contraint de la reconnaître les 5 et 6 octobre, et en promulgue les décrets d’application le 3 novembre.
Nous avons là, en quelques dates, le calendrier du début de la Révolution, telle que l’a voulue l’élite intellectuelle de la France, issue de la noblesse, du clergé et du tiers-état (essentiellement les plus instruits des bourgeois) de tout le royaume.
Elle se superpose, on pourrait dire : par hasard, à des mouvements populaires, qui ne sont que des émeutes telles que le royaume en a souvent connues. Le peuple a faim, après des récoltes ruinées par un hiver trop froid, et, par les conséquences d’un orage de grêle exceptionnel le 13 juillet 1788. Les rumeurs complotistes circulent, et rendent responsables de la famine des spéculateurs, le montant des taxes ou le roi lui-même.
A Paris, des émeutes spontanées éclatent début juillet aux barrières d’octroi, et celles-ci sont incendiées le 13. Les réserves de grains des couvents sont pillées. Le 14, pour se procurer des armes, les émeutiers pillent l’arsenal, puis prennent la Bastille. Toute la journée les bâtiments fiscaux sont incendiés.
Lorsque l’histoire de la Révolution sera écrite, ces deux mouvements sembleront inséparables. Sur le moment, pourtant, ils étaient certainement aussi éloignés que l’était, en 2018, le mouvement des gilets jaunes des débats parlementaire de cette époque.
Et naturellement, ils n’ont pas été vécus en province comme ils l’ont été à Paris.
Dans cet article, c’est la seule situation de Rambouillet qu’il m’intéresse de revisiter.
Rambouillet à la veille de la Révolution
Après une série de propriétaires qui résidaient plus souvent à Paris qu’à Rambouillet, les Rambolitains avaient été très satisfaits en 1706 de l’acquisition du château par le comte de Toulouse. En 1784, ils avaient tout d’abord regretté la vente du domaine par son fils, le duc de Penthièvre, au roi Louis XVI , mais ils avaient très vite découvert ensuite combien cette vente leur était profitable.
Dès le 13 juillet 1784, Louis XVI avait autorisé la tenue d’un second marché hebdomadaire, le mardi, et la prolongation de trois jours des foires annuelles de la Saint-Lubin et de la Quasimodo. L’économie locale en avait largement profité, et notamment les nombreuses auberges qui en tiraient leurs principaux revenus.
Sous la direction du comte d’Angiviller de nombreux chantiers avaient transformé la ville, employant jusqu’à 900 ouvriers : agrandissement de la place du « marché au bled », construction d’un nouvel hôtel du Bailliage et d’un hôtel du Gouvernement, transfert du cimetière rue de la Garenne, construction dans le domaine d’une Ferme Royale, avec Faisanderie, Laiterie, Vénerie, agrandissement des communs etc…
Rambouillet avait doublé sa population entre 1750 et 1789, et comptait alors près de 3000 habitants. C’était une ville de petite et moyenne bourgeoisie.
Huit propriétaires, dont Pierre-François Laslier, marchand de bois, possédaient chacun plus de 192 arpents (environ 65 hectares), et la famille Lemesle, dont les deux fils étaient maîtres de poste, un gendre, fermier, et l’autre, marchand de bois, possédait (tous membres confondus) 872 arpents (près de 300 ha). Il s’agissait du plus gros ensemble foncier privé du duché.
A côté de ces quelques « gros » la majorité de la population de Rambouillet était constituée de nombreux artisans urbains, marchands, petits propriétaires ainsi que d’une bourgeoisie de robe : procureurs au bailliage, notaires, avoués, greffiers…
Appliquant un règlement royal du 13 juillet 1787, Rambouillet avait créé une municipalité de paroisse. Cette première assemblée comprenait un syndic, neuf membres et le curé de la paroisse. Le 9 mars 1789, elle avait élu la commission qui devait se rendre à Montfort pour élaborer le cahier de doléances requis par le roi. François Laslier en faisait partie. Elu ensuite pour siéger sur les bancs du Tiers-Etat à l’Assemblée Constituante, il avait rejoint l’assemblée de Versailles.
En fait, on peut dire que la situation de Rambouillet était alors privilégiée, et que la grande majorité de la population était fort satisfaite du pouvoir royal, auquel elle se trouvait, très modestement, associée.
L’agriculture en 1789
Elle avait connu au XVIIIème siècle une croissance qui correspondait en fait à la croissance démographique générale. Sans révolution technique, elle avait accumulé les petits progrès : « extension de la culture du maïs et de la pomme de terre, introduction plus courante de plantes fourragères ou industrielles, spécialisation herbagère dans quelques régions, défrichement de près de 2,5 % des terres cultivables entre 1766 et 1789 » (Wikipedia).
Mais son rendement restait très faible : environ 4 à 6 grains de blé pour un grain planté, et une part relativement importante de chaque récolte devait donc être conservée pour les semences suivantes.
On sait que le développement de cultures intensives était impossible sans l’aide des animaux, tant pour certaines tâches que pour fournir un engrais animal. Mais elle imposait de garder des terres en prairies pour la pâture. Il y avait donc un équilibre délicat à trouver entre la réduction des surfaces cultivées, et l’amélioration de leur rendement ! « La multiplication des fourrages et le grand nombre de chevaux diminuent les subsistances propres à nourrir les hommes » (Messance, 1788).
Avec des récoltes irrégulières qui peinaient à satisfaire les besoins qui augmentaient, les famines étaient fréquentes. Elles touchaient notamment les villes, dont les fortes concentrations de consommateurs étaient tributaires des transports. Elles étaient aggravées par une mauvaise circulation des grains à l’intérieur du royaume, due aux règlementations locales : tandis que certaines régions en manquaient, d’autres avaient des surplus. Rien de nouveau sous le soleil : aujourd’hui la production agricole mondiale suffirait largement à nourrir toute la population, si sa répartition était optimisée.
En 1774, Turgot s’attaque à ce problème, et impose la libre circulation des grains. Mais sa réforme est mal accueillie par le peuple, car si certaines régions y gagnent –insuffisamment à leur gré– les autres y perdent naturellement. C’est le résultat de toute mutualisation. En 1775 de très nombreuses et violentes émeutes (on évoque la « guerre des farines ») obligent le pouvoir à reculer.
Conscients de l’archaïsme du système agricole français, de nombreux agronomes et physiocrates français étudient les progrès réalisés en Angleterre, et proposent d’importer des améliorations qui ont fait leur preuve outre-Manche. Des fermes expérimentales sont créées, sur le modèle de celle de Rambouillet. Mais les effets de ces recherches sont quasi nulles. Comme le note Voltaire dans son Dictionnaire philosophique : « On écrivit des choses utiles sur l’agriculture : tout le monde les lut, excepté les laboureurs ».
L’orage de 1788
C’est dans ce contexte déjà très difficile que l’orage de 1788 a eut d’énormes conséquences. Je lui ai consacré un article, en ligne ici.
Le 13 juillet, cet orage a traversé la France de l’île d’Oléron aux Pays-Bas en neuf heures. A Rambouillet, 11 des 15 fermes que la commune compte alors ont perdu en moins de 10 minutes la totalité de leurs récoltes et n’ont « pas ramassé de quoi compenser les frais nécessaires pour le ramassage ». Les 4 autres « ont perdu au moins la moitié de leur récolte ».
On fait appel aux régions limitrophes qui ont été épargnées. En octobre, Chartres fournit 12 setiers de blé et seigle, à un prix préférentiel, pour ensemencer les champs.
Le roi, par l’intermédiaire de son gouverneur le comte d’Angiviller, fournit lui aussi une aide importante. Pour justifier les mauvais résultats financiers de sa gestion, d’Angiviller rappellera plus tard : « J’avois nourri exactement tous les habitants durant une année entière, en fournissant de plus toutes les avances nécessaires aux laboureurs pour ensemencer leurs terres et nourrir leurs bestiaux. Le roi même avoit été obligé de me fournir des fonds de sa poche pour plus de deux cent mille francs ».
Cependant l’arrière saison est trop humide, et les blés semés ne donnent rien. Les conséquences de cet orage vont donc se répercuter sur les années suivantes.
L’année 1789
A la suite de cet orage, et des mauvaises conditions climatiques qui le suivirent, les grains sont rares. Les boulangers manquent de farine. Ils cuisent un pain de 2/3 froment 1/3 seigle. Les prix s’envolent, majorés de taxes (sur le grain, puis sur le pain) qui mécontentent la population.
A Rambouillet, le 1er juillet, le procureur Hocmelle informe la population qu’il « est autorisé à acheter avec les fonds du domaine du roi, le grain nécessaire au soulagement du petit peuple jusqu’à la récolte prochaine, vendu à un prix réduit de façon que les malheureux puissent y atteindre aisément. »
Cependant ceci ne calme ni l’inquiétude, ni le mécontentement des habitants.
Comme toujours en pareil cas, des rumeurs circulent : devant la raréfaction des grains, des bandes armées se constitueraient et procéderaient à des pillages. Ces bruits ne sont pas vérifiés, mais pour rassurer la population, la municipalité crée une « garde bourgeoise » constituée de volontaires. Valentin Martin de Cortueil, officier des Forêts et garde-manteau du domaine royal en prend la tête. Cette milice devient ensuite « garde nationale ». Ses débuts sont difficiles : pas de budget de fonctionnement, des fusils mais pas de poudre, des volontaires sur qui on ne peut pas toujours compter…
Elle est cependant vite mise à contribution : le 25 juillet un groupe important d’habitants de la région envahit le marché de Rambouillet, réclamant une baisse des taxes sur le pain. Lisons le compte-rendu de cette échauffourée :
« A la suite du marché de ce jour, la milice de la garde bourgeoise et les membres de la municipalité réunis pour constater, par une déclaration authentique, la révolution qui a été occasionnée par la violence du peuple dans les prix des grains et prendre les mesures convenables pour pourvoir à l’approvisionnement du pays et éviter la famine qui pourrait être la suite de cette révolution subite. »
Notons que le mot « révolution » est prononcé ici à deux reprises ! A Paris, il y a 11 jours, la Bastille a été prise mais sur le moment il ne s’agit que d’une émeute plus sérieuse que d’autres. La nouvelle est-elle déjà connue à Rambouillet ? C’est probable, mais l’émeute du marché ne saurait en aucun cas être considérée comme un soutien aux événements de Paris,
Une lettre anonyme publiée dans un journal local, accuse le procureur du roi, Hocmelle, d’accaparer les grains, avec la complicité de son gendre Rouillon, commissaire de police, et de Grosse, préposé aux ventes du marché. L’accusation fait long feu. La municipalité prend la défense de ces trois personnes honorablement connues.. mais l’agitation ne faiblit pas. Les théories complotistes n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour trouver des oreilles complaisantes…
Le 23 septembre le roi verse, de sa cassette personnelle, une somme de 3252 livres pour financer des ateliers de charité. Les hommes valides sont embauchés pour des travaux d’entretien de voirie, recevant ainsi de petits salaires de subsistance.
Le braconnage explose, et une proclamation du roi, lue en assemblée municipale de Rambouillet, rappelle la défense de chasser en forêt, d’y faire paître vaches ou chevaux, mais confirme le droit d’y ramasser le bois mort. Un détachement du régiment des Chasseurs de Lorraine, en garnison à Rambouillet est adjoint à la garde nationale, pour faire respecter l’ordre en ville, et pour assister Symphorien Brou, l’inspecteur des chasses, en forêt, pour appliquer ces règlements.
L’abolition des privilèges n’a donc pas supprimé le droit des forêts et l’interdiction d’y chasser. Cependant, il ne s’agit plus de réserver le droit de chasse à quelques privilégiés, mais d’assurer la protection de la forêt : un souci écologique, même si le terme n’existe pas encore, autant qu’économique.
Après ces années de prospérité les Rambolitains vivent donc une période compliquée. A la hausse des prix, et la raréfaction des produits de base, s’ajoutent les incertitudes quant à la poursuite des chantiers en cours. Le 7 octobre 1789 l’Assemblée a doté le roi d’une liste civile : un revenu confortable pour assurer sa fonction, et la jouissance exclusive de certains domaines. Rambouillet en fait partie : il n’y a donc pas de raison d’arrêter les chantiers en cours. Cependant le comte d’Angiviller peine encore plus que d’habitude à payer les factures en souffrance. En 1789 il termine seulement de solder les factures de 1784 !
Bientôt un rapport détaillé sur l’état de ses chantiers conduira à leur arrêt définitif, tandis que d’Angiviller s’exilera en Espagne, pour ne pas être arrêté pour dilapidation de biens publics.
Le moral des Rambolitains ne doit donc pas être très haut ! Même si les informations quant à l’avancée des travaux de l’Assemblée Nationale leurs parviennent de façon régulière, les changements fondamentaux qui se produisent à Paris ne répondent probablement pas à leurs soucis immédiats.
En octobre l’Assemblée Nationale décrète que les citoyens les plus fortunés de chaque commune devront s’acquitter d’une « contribution patriotique ».
A Rambouillet ce sont 626 citoyens qui sont astreints à cette contribution, et invités par voie de presse, d’affiches et d’annonces en chaire à l’église, à venir s’en acquitter en chambre du Conseil du Baillage.
Il semble que cette contribution ait été acceptée sans remous. Si les premiers contribuables de ce qui deviendra bientôt la République pensaient qu’il s’agirait là de la seule participation au budget de l’Etat qui leur serait demandée, ils durent déchanter, car notre Administration a fait preuve, dans ce domaine, d’une imagination impressionnante depuis un peu plus de deux siècles !
C’est par un hiver rigoureux que se termina l’année 1789, aggravant les problèmes d’approvisionnement et la précarité de nombreux Rambolitains.
Les années qui suivirent furent encore plus dures : d’abord pour des victimes des lois révolutionnaires, « ennemis du peuple » ou innocents dénoncés à tort, qui périrent sur l’échafaud, mais aussi pour tous ceux qui eurent à souffrir des troubles d’approvisionnement, du chômage et de la misère.
En 1790, la taxation des grains conduisit les agriculteurs de la région à déserter le marché de Rambouillet, pour apporter leur récolte à Versailles ou Paris. Il fallut que la municipalité taxe les cultivateurs selon leurs superficies cultivées, pour enrayer ces détournements.
Le 10 mars 1792 le marché de Rambouillet fut envahi par une centaine d’hommes armés, et il fallut de longues heures pour que la garde parvienne à les calmer. Le 17 mars ces émeutiers (ou d’autres) revinrent et saccagèrent le marché… Lorsque le prix du blé fut bloqué à la baisse pour satisfaire les consommateurs, les producteurs en cessèrent la culture, prétextant y perdre…
Loin des changements en cours à Paris, la ville eut donc des préoccupations très concrètes ! Et durant plusieurs années encore, sa situation s’aggrava, avec l’obligation d’équiper et de loger des troupes, et l’instabilité politique et économique.
Christian Rouet
novembre 2023