L'ancienne gendarmerie de Rambouillet

Affecté le 6 avril 1912 à la gendarmerie de Rambouillet, le brigadier Jacques Moulin, originaire de Saint-Firmin-les-Vignes (Loiret) aurait pu écrire à sa bienaimée la lettre suivante :

l'ancienne gendarmerieA l’attention de mademoiselle Rose,
aux bons soins de son père Gustave Lemaître

Ma douce Amie,

Me voici donc à la gendarmerie de Rambouillet, bien loin de vous et de nos paysages du Gâtinais.

En limite de forêt d’Yveline, Rambouillet est une ville de plus de six mille habitants. Je vais vous la présenter, telle que je la découvre aujourd’hui.
J’ai trouvé chez le photographe J.Coutaz ces cartes postales : elles vous aideront à m’imaginer dans mon nouveau cadre de vie.

Les maisons sont surtout alignées le long de la route de Chartres, seule rue commerçante, qui passe devant le château avant de continuer vers Paris.
Sur le plateau qui était jusqu’alors une zone de prairies et de vignes, il y a maintenant une nouvelle église, le tribunal, la prison, et, en direction de l’embarcadère, les nouvelles écoles de garçons et de filles.
L’architecte de la ville, M. Trubert mise beaucoup sur l’avenir du plateau. Il a acheté là, à titre personnel, un grand terrain, en face de la prison. Pour le moment sa maison est la seule de la rue, mais il parie qu’elle ne le restera pas longtemps.

vue aérienne vers 1900 coll fabrice Spaeth
vue aérienne vers 1900 coll fabrice Spaeth

C’est aussi lui qui a construit, sur son propre terrain, l’immeuble qu’il loue depuis à la gendarmerie. On m’a dit que c’était autrefois l’emplacement du moulin, et cela doit être vrai, vu que la rue s’appelle toujours « rue du Moulin ». Toutefois, il n’en reste rien.

Sur la photo, à gauche de l’église, vous pouvez aussi voir de grandes serres. Leurs fleurs partent chaque jour vers les marchés de Paris. Il y en a d’autres rue du Hasard mais on ne peut pas les voir sur cette photo.

Quant au bâtiment, juste à droite du Tribunal, c’est le bar du Palais, le seul du plateau. Le midi il a la clientèle des avocats, des juges, ou … des prévenus, mais le soir nous y allons souvent car nous n’avons que la rue à traverser, au lieu de descendre en ville!
Dans le quartier nord, qui s’appelle Groussay, il y a un quartier militaire important, avec de nombreux bars. Cependant nous évitons les contacts avec les cuirassés qui sortent en bande et ont le sang chaud.

Comme on le voit sur cette autre carte, la gendarmerie est un grand bâtiment de trois niveaux, composé d’une partie centrale et de deux ailes en légère avancée.
Les angles, comme les linteaux des ouvertures, sont en pierre, et en briques mais tout le reste est en meulière, parce que cela coûte bien moins cher, et qu’on en trouve beaucoup dans la région.
Ce bâtiment ressemble énormément aux deux écoles que ce même monsieur Trubert a construites il y a une dizaine d’années. Il faut croire que la ville apprécie ce style !

Au rez-de-chaussée il y un hall d’accueil, deux bureaux, le réfectoire, des salles pour entreposer nos armes et nos uniformes, des ateliers, etc… Le premier étage accueille les appartements des officiers ou ceux de gendarmes qui ont une famille. Les combles sont pour les gendarmes célibataires. Certaines chambres sont doubles, comme celle que je partage avec Barbet, un gars du Nord. J’ai dessiné une croix pour vous indiquer notre fenêtre.

Barbet est sympathique mais je ne comprends rien à ce qu’il me dit. Lui-même suit les consignes avec un temps de retard, en regardant ce que font les autres ! Il paraît que tous les gens de sa région parlent comme lui. Heureusement que je n’ai pas été nommé à Calais ou à Dunkerque !

Derrière, il y a un bâtiment dont vous ne voyez que l’extrémité. C’est là que nous avons nos chevaux et la grange pour leur fourrage.

Vous ne pouvez pas vous rendre compte, mais tout le terrain devant est consacré au potager, avec des parcelles privées pour ceux qui en font la demande, et une partie collective où chacun doit aider, pour que toute la brigade en profite !

Question travail il ne faut pas se plaindre !

A Rambouillet, il y a deux brigades qui ont la charge de toutes les communes du canton, sauf de Saint-Léger et de Gambaiseuil. Cependant  il y a neuf autres brigades à Ablis, Chevreuse, Dourdan, La Queue-les-Yvelines, Limours, Montfort-l’Amaury, Ponchartrain, Rochefort-en-Yvelines et Saint-Chéron.

Le capitaine Lacroix les dirige toutes. Cependant, il reste à Rambouillet tous les mercredis. Il est secondé par Vuillod, le maréchal-des-logis-chef, ainsi que par Dantard, le maréchal-des-logis, pour toute l’intendance.
Seule la brigade de Saint-Chéron est à pied : toutes les autres sont à cheval. Et nous avons aussi, depuis 2 ans … des bicyclettes ! Mais oui ! Je n’ai pas encore essayé mais il parait que pour intervenir en ville cela pourrait être parfois plus rapide !

En attendant, je ne peux pas vous expliquer le plaisir que nous ressentons à faire des rondes dans cette magnifique forêt, à deux, au pas lent de nos chevaux.
Depuis mon arrivée, le temps est très agréable. Sans doute l’hiver doit-il être froid, malgré la protection de la forêt. Nous verrons ! 

Nous devons souvent prendre des prévenus à la prison, les conduire au tribunal, en passant par une petite porte qui fait communiquer les deux terrains, attendre dans le couloir, durant la procédure, puis les ramener. Comme tout cela se passe entre bâtiments voisins, ce ne sont pas des journées trop fatigantes ! Quelquefois, pourtant, nous devons les conduire à Versailles, notamment les plus dangereux, dont les condamnés à mort, car il n’y a pas d’exécutions à Rambouillet.

Le reste du temps, ce sont les braconniers qui nous posent le plus de problèmes, car certains sont des réssidivistes (sic) déjà condamnés plusieurs fois, qui peuvent se montrer dangereux. Il y a aussi les mendiants, les vagabonds, les ivrognes… mais dans l’ensemble ceux-là nous résistent peu.

Si la gendarmerie n’est donc pas vraiment en ville, nous sommes à moins de 10 minutes du centre. Il y a de nombreux commerces dans la rue principale, et surtout beaucoup d’hôtels et de restaurants parce que les Parisiens sont nombreux à venir profiter du parc du château et de sa forêt. Les prix de ces établissements sont trop élevés pour nous : quand nous y allons c’est seulement pour des raisons de service. On attend de nous beaucoup de tact car certains clients sont des notables, et des politiciens avec qui il vaut mieux ne pas se fâcher.

Le croirez-vous ? A la prochaine saison de chasse, je verrai sans doute le Président de la République, et même quelques souverains étrangers ! Une responsabilité énorme, mais quel honneur d’avoir à contribuer à leur sécurité !

Voici, ma chère Rose, les premières pensées que je voulais vous adresser dès mon arrivée. Avec la permission de monsieur votre père je vous en enverrai d’autres très prochainement, et j’espère que vous pourrez à votre tour me donner de vos nouvelles et de celles de votre famille à qui je vous prie de transmettre l’assurance de mon profond respect.

Votre Jacques

souvenir de l'ancienne gendarmerieJacques a épousé Rose le 4 septembre 1913.
Il est mort le 4 juin 1916 à Verdun.

Christian Rouet
29 décembre 2021

PS : Devenue rapidement trop petite, la gendarmerie a été, depuis, totalement démolie et reconstruite, sur le même terrain, maintenant propriété de l’Etat. Du premier bâtiment, il ne reste, posée à gauche de l’entrée, qu’un témoignage unique : l’encadrement en pierre de la lucarne centrale, à fronton triangulaire, et son inscription « Gendarmerie nationale ».

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