La piscine d'Epernon
Que peut-il y avoir à dire sur une piscine –sauf à se plaindre, comme à Rambouillet, de retards dans ses travaux ou de ses dépassements de budget ?
Beaucoup de choses ! et je le découvre dans la très intéressante plaquette qui avait été éditée en 2017 pour le 80ème anniversaire de celle d’Epernon. Merci à Pierre Morin qui me l’a envoyée (et qui en avait assuré la mise en page).
A l’origine des piscines
Les premiers bains grecs et romains étaient d’abord des lieux d’hygiène et de bien-être, comme l’étaient les hammams de l’empire turc qui se sont développés pour respecter les préceptes de l’Islam. Mais les plus grands disposaient d’une natatio, bassin à température ambiante, qui accueillait des nageurs pour une pratique ludique ou sportive.
C’est en 1785 que Barthélémy Turquin ouvre à Paris la première école de nage sur un bassin flottant sur la Seine près du pont de la Tournelle et que le terme de « natation » commence à être utilisé en France.
Cependant, durant tout le XIXème siècle ce sont les considérations d’hygiène qui l’emportent sur l’activité sportive, et quand l’impératrice Eugénie lance la mode des bains de mer, c’est la pratique du bain à la lame qui l’emporte : soutenues par des « guides-jurés », maîtres-nageurs assermentés pour ne pas attenter à leur pudeur, les baigneuses sont plongées un bref instant, à plusieurs reprises et de manière subite dans la mer.
En pays d’Yveline on nage (« on fait trempette ») dans les rivières ou les étangs.
A Epernon c’est la Drouette qui accueille en été les enfants, en amont de l’écluse de la Savonnière, (dite « vanne à Laye » du nom d’un propriétaire du lieu), aujourd’hui malheureusement détruite.
La natation est l’un des neuf sports mis au programme des premiers Jeux Olympiques modernes. En 1924, pour accueillir les Jeux à Paris, la capitale se dote de la piscine des Tourelles (qui sera rebaptisée en 1959 Piscine Georges-Vallerey). Il s’en ouvre ensuite dans plusieurs villes, mais le mouvement est lent. En 1958 la France ne comptera encore que 58 piscines. Celle de Rambouillet ne sera créée qu’en 1964, et c’est en 1969 que le Secrétariat d’Etat aux sports lancera l’opération « 1000 piscines », quand les nageurs français auront été humiliés aux Jeux de 1968 à Mexico.
En 1934, Epernon, qui compte alors guère plus de 2000 habitants, ambitionne d’ouvrir la 7ème piscine olympique de France : on mesure donc le modernisme du projet !
Les travaux de la piscine d’Epernon
En 1934 la Drouette souffre déjà de la pollution : ses eaux recueillent les égouts de Rambouillet, les rejets de la charcuterie industrielle de Saint-Hilarion… L’Amicale des Anciens Elèves des Ecoles d’Epernon (AAEEE), société sportive créée en 1907, envisage depuis déjà plusieurs années la réalisation d’une piscine, et en janvier 1934 elle décide de se jeter à l’eau.
En août 1934 l’association présente une demande de subvention, réitérée en novembre. A l’époque il n’y a pas encore de secrétariat d’Etat des sports, et un tel projet relève de la 3ème Division Militaire.
« Il s’agit d’une demande de subvention pour permettre d’activer la construction d’une piscine et installation de douches chaudes qui seront mises 2 fois par semaine à la disposition des 850 élèves des écoles d’ Épernon (garçons et filles)»(lettre adressée au Préfet le 19 novembre 1934).
Fort heureusement, l’association n’attend pas les suites de cette demande et les travaux débutent immédiatement, sur un terrain communal. Et ce qui est remarquable, c’est que ce sont des bénévoles, membres de l’association, ou sympathisants, qui se mobilisent pour les exécuter.
« L’amicale était prête à creuser. Elle se mit donc au travail. Le soir après le boulot et les jours de fête. On nettoya le terrain à la main, on ramena des camions entiers de terre pour mettre le stade à l’abri des crues, et on creusa la piscine. A la main, à la pelle, à la pioche, les pelleteuses n’existaient pas. » (Denis Boutry, Echo Républicain)
Ce n’est que pour le bétonnage de la piscine que l’association fait intervenir une entreprise. Tout le reste est réalisé de façon bénévole, et même les cabines, réalisées en bois de peuplier, pris dans le terrain voisin, et montées par « le père Brisson, ancien monteur de moulins, qui avait des mains en or » (l’Echo Républicain). Elles seront utilisées jusqu’en 1960.
Ce projet soulève l’enthousiasme de la majorité des Sparnoniens… mais pas de tous. C’est ainsi que « le père Acier, forgeron de son état, proclamait à qui voulait bien l’entendre que le scandale était dans la ville, et qu’on verrait des filles nues en caleçon de bain se baigner avec des gars… » (Echo Republicain). Et à ceux qui prônaient les vertus de la toilette et du bain ce forgeron aimait répondre que le fait de ne s’être jamais lavé ne l’empêchait pas d’être en bonne santé. Il faut cependant rappeler qu’il n’était pas le seul à le penser, et que la France ne brillait pas, alors, par son hygiène.
Monsieur le curé s’étant, lui aussi, ému de la tentation de voyeurisme auquel risquait de succomber une partie de ses ouailles, obtint que ce lieu de perdition soit dissimulé par un mur qui absorba à lui seul les 2/3 du budget total. C’était cher, mais les âmes sparnoniennes furent sauvées.
Le 26 mai 1935, la piscine de Closelet était inaugurée, avec l’organisation de ses premières épreuves de natation, devant les personnalités locales et près de 2000 spectateurs.
« L’Amicale a réalisé une chose extraordinaire dans des conditions les plus remarquables, avec le concours des bonnes volontés, avec l’appui d’hommes ayant la foi qui, si elle soulève les montagnes, creuse aussi les piscines. » (discours de l’inspecteur d’académie Lapointe).
Son bassin, long de 50 mètres et large de 12 mètres, a une profondeur de 0m50 à 2m95; avec un plongeoir qui sera retiré plus tard pour raison de sécurité. Sont construits également à l’intérieur du vaste terrain de l’Amicale, 65 cabines, un bureau avec terrasse, des cabines de douches chaudes et des vestiaires.
C’est l’eau de la Guesle qui alimente la piscine. Elle est ferrugineuse et très tannique mais l’Amicale trouve un médecin qui la déclare saine (et même bonne pour la peau). Le bassin est rempli partiellement tous les jours, en 3 heures, et totalement, chaque semaine en 10 heures.
Cependant quelques temps après, un médecin moins coulant (le terme convient-il pour une piscine ?) exige la pose de filtres. Ils sont installés, mais, bouchés par le tanin en quelques jours, ils sont aussitôt mis hors service. Qu’importe ! Les filtres existent et les normes sont donc respectées.
1936 le Front Populaire
Les élections législatives de 1936 sont emportées par une coalition de gauche : le Parti radical, la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) et le Parti communiste. Quatre gouvernements se succèdent entre juin 1936 et avril 1938. Le premier est dirigé par le socialiste Léon Blum, les deux suivants par le radical Camille Chautemps, et l’éphémère dernier (moins de 2 mois) par Léon Blum à nouveau. Les communistes les soutiennent mais n’y participent pas.
Une partie importante du programme du Front Populaire (celle dont nous gardons le souvenir) concernait l’éducation et les loisirs. La scolarité obligatoire est portée à 14 ans. La semaine de travail est ramenée à 40h (Daladier la remontera à 48h en 1939 pour « remettre la France au travail »). Des congés payés de deux semaines sont instaurés et avec eux, les loisirs se développent avec de nouvelles offres : camping, sports de plein air…
Un sous-secrétariat d’Etat aux sports, aux loisirs et à la condition physique est créé en 1936, et confié à Leo Lagrange qui multiplie les initiatives en faveur de la jeunesse.
« Notre but simple et humain, est de permettre aux masses de la jeunesse française de trouver dans la pratique des sports, la joie et la santé et de construire une organisation des loisirs telle que les travailleurs puissent trouver une détente et une récompense à leur dur labeur. » (Leo Lagrange-1936)
La piscine d’Epernon correspond parfaitement aux projets qu’il souhaite promouvoir. Aussi, en septembre 1937, débloque-t-il à l’Amicale la subvention de 75 000 francs espérée depuis trois ans. Fort heureusement, les Sparnoniens ne l’ont pas attendue pour mener à bien leur projet.
La piscine, à laquelle sont désormais acquis tous les Sparnoniens accueille de plus en plus de baigneurs, certains venant même de Paris par le train. Des championnats régionaux et même nationaux y sont organisés : en 1937, le Championnat de France militaire, en 1938, le Critérium national UFOLEP… En 1938 les épreuves de pré-sélection du championnat de France civil devaient s’y dérouler, mais la guerre vient annuler ces projets.
Et depuis ?
Durant l’exode, le 12 juin 1940, la piscine est mitraillée, et ce sont les Allemands qui la réparent pour l’utiliser durant l’occupation et y organiser des compétitions des Jeunesses Hitlériennes.
Le 7 mars 1941 l’Amicale propose à la commune de lui racheter la piscine. Cette acquisition est finalement régularisée le 12 mars 1942, moyennant le prix préférentiel de 100 000 francs.
Le 23 octobre 1942, le Préfet d’Eure-et-Loir autorise la cession et l’emprunt sollicité par la ville pour la réaliser, la déclarant « d’utilité publique et d’urgence ».
L’amicale, qui a continué à animer sa section natation dans la piscine devenue communale, est obligée de l’arrêter en 1984 : la concurrence des bassins couverts est devenue trop importante, car les nageurs de haut niveau ont besoin de s’entraîner toute l’année.
Cependant, la piscine continue à faire, l’été, le bonheur des nageurs locaux.
Le 19 septembre 2013, la piscine d’Epernon est déclarée « d’intérêt communautaire », et passe sous le contrôle de la Communauté de Communes Val Drouette, remplacée le 1er janvier 2017 par la communauté de communes des Portes Euréliennes d’Île-de-France, qui regroupe 39 communes).
En 2019 la piscine, qui est ouverte durant 3 mois par an, enregistre 15 000 entrées. Or, compte-tenu de la population de sa zone d’attraction, on pense qu’elle pourrait en attirer 42 000 (et même 55 000 si elle était couverte). Un programme de rénovation (200 000€, pris en charge pour moitié par la Communauté de Communes) est donc adopté pour la rendre plus attractive.
Il est prévu de récupérer l’emplacement de la caserne des pompiers, transférée à Hanches en 2022, et d’y construire deux bassins complémentaires, qui seront ensuite couverts. Mais l’augmentation du prix de l’énergie amène à chercher de nouvelles solutions. L’histoire de la piscine est loin d’être terminée…
Comme tout était plus simple quand de tels projets pouvaient être réalisés par des bénévoles, sans avoir à engager un parcours épuisant de demandes d’autorisations administratives, de respect des normes, de délais de procédures de recours, de recherche de subventions à plusieurs niveaux, de mise en concurrence d’entreprises agréées…
L’exemple de la piscine d’Epernon nous rappelle que cette époque a existé.
Christian Rouet
mai 2024