La Celle-les-Bordes
La commune de La-Celle-les-Bordes est surtout connue pour son château, qui fut propriété de la duchesse d’Uzés, et siège de son équipage de chasse à courre. Il a conservé une décoration intérieure tout à fait incroyable, que son propriétaire actuel nous permet toujours de découvrir.
Mais il y a plus à dire sur cette belle région vallonnée, située entre Clairefontaine-en-Yvelines et Cernay-la-ville, et sur cette commune bicéphale qui a uni l’habitat des Bordes, groupé autour de son château, à celui de La Celle, étalé dans la vallée.
La Celle ou les Bordes ?
A l’origine, on trouve une communauté religieuse qui défriche autour de sa « celle », l’oratoire qu’elle a fondé à la demande de Saint-Germain, évêque de Paris, dans le vallon de l’Aulne. Le roi Childebert 1er lui a accordé une concession. Bientôt la forêt recule, les terres labourables sont cultivées et les pentes du vallon se couvrent de vignes.
La Celle-les-Bordes est mentionnée sous le nom de Cella Sancti Germaini en 774. On la trouve ensuite désignée Cella Aequilina au IXe siècle, Cella Sarnoium et Cella ultra Sarnoium au XIIIe siècle, La Celle-en-Yveline, La Celle-Saint-Germain, La Celle-près-Cernay, La Selle (notamment sur la carte de Cassini), La Celle-Saint-Germain, La Celle-en-Yvelines.
De nombreux petits hameaux et des fermes dispersés s’installent sur le plateau.
Dans la nomenclature qu’il consacre à la commune, en 1898, l’instituteur Geffroy en relève 15, dont les principaux sont « le bourg de la Celle » et le « hameau des Bordes ».
Aujourd’hui la mairie de la Celle-les-Bordes, indique sur son site 3 hameaux (des Bordes, de La Villeneuve , et du Maupas) et 6 fermes, autour du « village de la Celle ». Ce dernier figure bien sur certaines cartes (IGN etc…) mais n’est indiqué sur aucun panneau routier, et, semble aujourd’hui confondu avec la commune de la Celle-les-Bordes, sans existence administrative propre.
La Celle-les-Bordes
Le « Polyptique de l’abbé Irminon », dans lequel l’abbé décrit les possessions de l’abbaye de Saint-Germain-des-Près à l’époque de Charlemagne, recense « 65 bonniers (hectares) de terre, qu’on ensemençait avec 300 muids de froment (84 000litres); 1,5 arpent de vigne ancienne (un arpent = 50 ares) et 13 arpents de jeune vigne, 38 arpents de pré, un bois de 5 lieues de tour, où l’on pouvait engraisser 1 000 porcs, 2 moulins rendant 27 muids de blé et 1 sou d’argent de cens. »
La paroisse comprenait alors 279 habitants. Soixante-dix propriétés étaient redevables de la taille. En 1836 la commune compte 808 habitants. Cent ans après elle n’en a plus que 422 (141 à la Celle, 159 aux Bordes, le reste de la commune se partageant une « population éparse » de 122 habitants).
Elle ne retrouve le niveau de 1836 que depuis l’année 2000.
Dans sa nomenclature communale de 1898, l’instituteur Geffroy décrit la Celle-les-Bordes comme une commune essentiellement agricole.
C’était déjà le cas sous l’Ancien Régime, et, dans le cahier de doléance de 1789 des habitants de la Celle-les-Bordes, les dégâts causés par les cerfs et autres herbivores venaient largement en tête de leurs sujets de mécontentement.
Cette plainte restera d’ailleurs constante.
« Parcourez la vallée de la Celle : un bon tiers des terres reste en friche. Pourquoi cultiver un sol que l’on sait bien devoir servir de pâture aux cerfs et aux lapins ? J’ai vu faucher un champ de blé où tous les épis manquaient : ils avaient été mangés par les cerfs.»( l’Humanité 8 février 1925)
En l’absence d’industrie locale, des hommes vont travailler dans les carrières de grès, comme celle des Maréchaux à Cernay. Il y a cependant une entreprise de maçonnerie, deux charrons, un menuisier, un maréchal-ferrant, un cordonnier et un sabotier.
L’instituteur déplore qu’il n’existe alors « que » huit cabaretiers, cinq épiciers, deux marchands de nouveauté, un marchand de chevaux, un boulanger et un charcutier pour 630 habitants.
Que dirait-il aujourd’hui en constatant la désertification commerciale de nos villages ?
Deux églises
Pendant plusieurs siècles la puissante abbaye de Saint-Germain-des-Près a possédé deux églises, l’une aux Bordes, et l’autre à la Celle.
La plus ancienne, aux Bordes, dédiée à Saint Jean-Baptiste accueillait les paysans du plateau, tandis que le village de la Celle ne possédait initialement qu’un modeste sanctuaire, peut-être chapelle du monastère.
Une église romane, plus vaste, dédiée à Saint-Germain, fut construite à la Celle, sur les ruines de ce premier oratoire, sans doute au début du XIIIème siècle.
La guerre de cent ans fut particulièrement dure pour la région. En 1457 il ne restait que trois foyers à la Celle et l’église était en ruines. Un siècle plus tard, profitant d’une période de paix, et du développement des activités agricoles de la région, la Celle avait retrouvé une certaine importance, et une troisième église fut construite, sur les ruines de la précédente.
« C’est à cette restauration que l’on doit l’abside du choeur, construite en style gothique. La forme arrondie et la voute sexpartite qui prolongent l’église ne manquent pas de terminer gracieusement un édifice bien attachant. La consécration de cette église paroissiale fut célébrée solennellement le dimanche 12 juin 1524» (description de l’abbé Léchauguette, curé de La Celle-les Bordes).
Les guerres de religion furent également âpres dans la région. Le seigneur des Bordes sut empêcher la démolition de l’église de la Celle, mais elle dut à nouveau être restaurée.
L’église des Bordes, mieux protégée par son château, avait mieux résisté, mais elle devint alors une église annexe de Saint-Germain-de-La-Celle, avant d’être fermée puis démolie en 1826.
Le château des Bordes
Il ne reste, depuis longtemps, qu’un seul corps de bâtiment, avec son entrée entre deux tours rondes, de ce qui fut sans doute un château fort construit pour protéger le plateau des Bordes.
Autour de lui s’était assemblé un habitat à la recherche d’une protection que les seigneurs des Bordes surent plus ou moins lui garantir.
On n’en connaît pas le plan, et il ne joua jamais un grand rôle dans cette région convoitée par les seigneurs de Montfort et ceux de Rochefort.
En 1204 Les Bordes font partie d’un échange de terres entre Philippe Auguste et Amicie de Leicester, dame de Montfort. Elles passent à la seigneurie de Rochefort lors d’un partage en 1317 (en même temps que le fief de Rambouillet).
On trouve la mention d’un Alexandre des Bordes, qui favorisa la fondation de l’abbaye Notre-Dame de la Roche, et d’un Philippe des Bordes qui vivait au XIVème siècle, et dont l’épouse est ensevelie dans l’église de La Celle.
En 1519 Louis de Pontbriand défend le château et son hameau contre les troupes de la Ligue.
Trois siècles plus tard, le propriétaire du domaine, M. Flury, fait construire un nouveau château et des écuries, et dès lors, les restes du vieux château ne font plus office que de châtelet d’entrée. Cette photo prise d’avion par Roger Henrard en montre le parc, les bâtiments, dont le beau pigeonnier.
Aujourd’hui, cette propriété ne se visite pas.
Voici la seule description que j’en ai trouvée :
« L’édifice de plan régulier se compose d’un sous-sol et de deux étages carrés, le gros-oeuvre de calcaire, grès, pierre de taille, meulière, moellon et brique, élévation à travées, surmontée de toit à longs pans brisés, croupe brisée, toit à longs pans; toit conique; toit en pavillon, recouverts d’ardoises et de tuiles plates. » (pris sur le site Châteaux forts et manoirs)
Le château de la Celle
C’est à lui que La Celle-les-Bordes doit sa renommée.
Pierre de Harville achète en 1363 le fief de la Celle dont le monastère n’existe plus. Un de ses descendants, Claude de Harville, soutient le roi Henri IV dans sa guerre contre la Ligue et en est largement récompensé. C’est lui qui fait construire le château.
En poussant la porte qui fait face à l’église, on accède à une cour bordée, à droite par le corps principal du château, qui sépare la cour des jardins. En face, le chenil, probablement construit par Claude-Antoine, son petit-fils, au XVIIIème siècle, et à gauche, les écuries, restaurées et agrandies en 1936.
« Le dessin et le style du château ? Celui, honnête et fier de l’époque, comme tout en témoigne : portes et fenêtres encadrées de chaînages de pierre, fenêtres allant jusqu’au plafond, vitrages de carreaux montés sur petits bois, parement des murs laissant la brique apparente, ou encore recouvert d’un crépi lisse, décoration en pierre sculptée des portes extérieures, à l’intérieur un grand escalier à rampe droite, un autre avec rampe à balustres en bois, comme ceux dont sont pourvus la plupart des hôtels de la place des Vosges à Paris, construits de 1605 à 1612 par Claude Chastillon ; ajoutons-y les plafonds à poutres et solives apparentes ; les cheminées à manteaux décorés d’un tableau et les grandes lucarnes d’un dessin caractéristique. »(duc de Brissac, petit-fils de la duchesse d’Uzés)
Le château reste dans la famille de Harville jusqu’en 1750. Il passe ensuite entre les mains de plusieurs propriétaires avant que le duc d’Uzés, qui possède dans la région le château de Bonnelles, ne s’en rende acquéreur le 14 mai 1870.
A son décès, en 1878, le château devient la propriété de sa veuve, la duchesse d’Uzés.
La chasse à courre
En 1871 le duc d’Uzés a repris l’équipage du duc de Luynes, tombé au champ d’honneur en 1870, et a installé son Rallye-Bonnelles dans le château de la Celle. Sa veuve préside l’équipage de 1878 à 1933 et sa fille, la duchesse de Luynes, la remplacera de 1933 à 1939. Le chenil quittera alors la Celle pour la ferme de Mocquesouris, dans le parc du château de Rambouillet, où il est toujours aujourd’hui.
Sans m’étendre sur la chasse à courre, je rappellerai seulement ici qu’elle constituait durant toute cette période un spectacle populaire qui attirait des milliers de spectateurs des environs, et même de Paris, notamment pour la chasse de la Saint-Hubert.
La messe avait lieu dans l’église de la Celle, en présence de tous les piqueurs en grande tenue, et elle était suivie par la bénédiction de l’équipage et de la meute, dans la cour du château, ou devant l’église, au son des trompes de chasse.
L’équipage chassait d’octobre à mai. Durant la période de repos, la duchesse venait « pour ainsi dire chaque jour voir ses fidèles compagnons de chasse, et elle les connaissait tous par leur nom » (La Vie au grand air). Il s’agissait alors de « 90 bâtards vendéens au manteau noir et feu ».
Est-il nécessaire de dire combien les habitants de la Celle-les-Bordes regrettèrent le décès de la duchesse d’Uzés, qui chassa jusqu’à sa mort, apportant une animation et des retombées économiques précieuses à la commune ?
Il vous sera difficile d’oublier l’époque de la chasse à courre si vous visitez le château de la Celle-les-Bordes !
Il n’y a pas un centimètre carré d’un mur ou d’un plafond qui ne soit orné d’un trophée, avec l’indication de la date et du lieu de la chasse.
Combien y en a-t-il ? Pierre de Janti écrit le 30 novembre 1907 : « déjeuner au manoir de la Celle au milieu des 1330 trophées », et le 10 février 1927 : « fête au manoir couvert de 1800 bois de cerfs, en l’honneur des 80 ans de la duchesse ».
Aujourd’hui on évoque le nombre de 2400 !
Vous voulez les compter ? C’est possible !
En 2004, les héritiers du duc de Brissac, petit-fils de la duchesse d’Uzés, ont cédé le château à Thierry Gobet, l’un des héritiers du groupe pharmaceutique Innothera. Depuis M. Gobet, historien, économiste et amateur éclairé d’équitation, consacre tout son temps et d’importants moyens financiers à l’enrichissement de ses collections, à l’entretien et à l’embellissement de son château.
Il vous le fera visiter lui-même (visite en groupes et sur demande) et pourra vous dédicacer le livre « Je suis châtelain » qu’il a tiré de sa propre expérience.
Vous verrez notamment un trophée illustre, déjà en carte postale en 1910 : deux têtes de cerfs, morts de n’avoir pu dégager leurs bois entremêlés.
Et si ce spectacle ne vous a pas coupé l’appétit, pourquoi n’iriez-vous pas déjeuner à l’Auberge de l’Elan, dans le hameau des Bordes, ou au restaurant Les Cinq Anneaux, dans le bourg de la Celle ?
On en dit beaucoup de bien !
Christian Rouet
mai 2024
Merci pour cet article. Même s’il est facile de corriger par nous-mêmes, la duchesse présida l’équipage jusqu’en 1933 (date de sa mort), et non 1993 (faute de frappe).
pardon ! je rectifie tout de suite
Vos articles sont vraiment passionnants. Merci beaucoup.