La Fondation Coubertin
« Vous avez transformé le charbon en art » a déclaré le Président Macron aux 1 200 compagnons, artisans, chefs d’entreprise, architectes, réunis autour de lui le 29 novembre 2024 pour une visite pré-inaugurale de Notre-Dame de Paris.
Parmi-eux, venus de Saint-Rémy-Lès-Chevreuse, se trouvent sans doute des représentants de la Fondation de Coubertin, qui a réalisé le nouveau reliquaire abritant la couronne d’épines du Christ, et des Ateliers Saint-Jacques, qui ont travaillé à la restauration de la croix et des faitages du chevet de la cathédrale.
Bonne occasion de revenir sur l’histoire de cette fondation, qui constitue en outre une belle idée de promenade, dans la vallée de Chevreuse.
Yvonne de Coubertin
La mémoire d’Yvonne de Coubertin est éclipsée par la notoriété de son oncle, Pierre de Coubertin, rénovateur des Jeux Olympiques. Même à Saint-Rémy-Lès-Chevreuse, où elle est née dans le château familial il me semble que la seule avenue au nom de Coubertin soit celle qui a été baptisée ainsi en mémoire de Guy de Coubertin, l’un de ses frères, mort au champ d’honneur, le 16 novembre 1914.
Pendant plusieurs siècles les Coubertin ont occupé des fonctions juridiques ou militaires, mais son grand-père Charles-Louis (1822-1908) a été un artiste peintre reconnu. Sa peinture académique est passée de mode aujourd’hui mais elle était très appréciée à son époque, et elle lui a valu en 1865 la légion d’honneur pour l’ensemble de son oeuvre.
A son tour, son fils Paul (1847-1933) s’est intéressé aux arts. Il a écrit des pièces de théâtre, des livres, et, en marge d’une carrière littéraire à succès, il a été durant trois ans attaché de conservation au musée du Luxembourg à Paris.
Sans doute leur petite-fille et fille Yvonne (1893-1974) était-elle destinée à faire un beau mariage et à embrasser à son tour une carrière littéraire ou artistique. La guerre de 14-18 va changer sa vie et celle de sa famille.
Son frère Guy meurt sur le front en 1914, sa mère, engagée comme infirmière, meurt à son tour le 29 mars 1918, victime d’un bombardement. Son frère ainé, Bernard, revient du front lourdement handicapé (il mourra en 1933 des suites de ses blessures), et Yvonne, âgée de 21 ans au moment de la déclaration de guerre, s’engage elle-même comme infirmière volontaire à la British Red-Cross Society Hospital, puis à l’hôpital de la Mission de la Croix-Rouge japonaise.
En 1919, elle obtient un diplôme d’Études supérieures de philosophie.
Au début des années vingt, elle est sans doute sensibilisée aux problèmes matériels des étudiants, par son oncle Pierre de Coubertin qui, l’un des premiers, imagina le principe des universités ouvrières. A une époque où l’internat des grands lycées était exclusivement réservé aux garçons, elle entreprend, comme présidente de l’association Fénelon, de créer des maisons d’étudiantes dans le Quartier latin, notamment dans un immeuble qui lui appartient rue Férou.
Après sa mort, l’association Fénelon est absorbée par la Fondation Coubertin. Les locations sont progressivement détournées de leur objet initial. En 2009 l’objet social est étendu à la location « à des personnes dont les préoccupation, les travaux intellectuels ou spirituels méritent d’être aidés. » Des divisions internes conduiront le tribunal correctionnel de Paris puis la cour d’appel à se pencher sur les conditions de ces baux en 2020. Il semble cependant que rien ne puisse obliger la Fondation à poursuivre les locations dans l’esprit voulu par sa fondatrice (dans un contexte social, il est vrai, assez différent).
Le 1er avril 1924, elle finance à Paris le premier restaurant universitaire pour jeunes filles, et quelques mois après, elle crée une école de préparation à l’école normale.
Dans l’Eure, elle ouvre plus tard un orphelinat pour jeunes filles. En 1925 elle met une maison de repos et de vacances du Jura à disposition des étudiantes, des professeurs et aussi des ouvrières. Elle ouvre également un foyer pour enfants de 2 à 6 ans dans la paroisse de Saint-Étienne-du-Mont.
En 1949 elle rencontre Jean Bernard.
Jean Bernard
Son père Joseph Bernard (1866-1931), fils d’un modeste tailleur de pierre, a été un sculpteur et dessinateur renommé. Il a exposé sa première oeuvre au salon des artistes français de 1892, mais c’est à partir de 1920 que son talent a été reconnu à l’égal de ses contemporains Bourdelle ou Maillol. Il a aussi travaillé pour l’ébéniste et décorateur Jacques-Émile Ruhlmann, pour qui il a créé la décoration sculptée de la Frise de la Danse de l’hôtel du Collectionneur, pavillon édifié pour l’Exposition des Arts décoratifs de 1925.
Jean Bernard (1908-1994) naît le 17 décembre 1908 à Argenteuil. Il est Compagnon du Devoir sous le nom de la Fidélité d’Argenteuil. Artiste complet : tailleur de pierre, sculpteur et peintre et il est aussi écrivain. Il dirige pendant cinquante-deux ans le Journal du compagnonnage, et il est à l’origine de la création de l’Imprimerie et de la librairie du Compagnonnage.
En 1949 il recherche à Paris un immeuble où créer une Maison des Compagnons. Sa rencontre avec Yvonne de Coubertin est déterminante. Ils partagent les mêmes idées en matière d’éducation, de transmission de valeurs morales et de formation professionnelle, intellectuelle et culturelle des jeunes issus des métiers manuels. La jeune femme dispose d’une grande fortune, et la consacre entièrement à leur oeuvre commune.
La Fondation Coubertin
Jean Bernard et Yvonne de Coubertin créent en 1950 une Association pour le développement du compagnonnage rural. Cette association devient en 1973 la Fondation de Coubertin.
« Elle œuvre pour l’élévation morale et culturelle des personnes attachées à la perfection et à la qualité du travail manuel. Reconnue d’utilité publique, cette université ouvrière permet à de jeunes hommes et femmes de métier possédant un niveau manuel confirmé d’approfondir leurs connaissances dans un environnement unique au travers de deux actions principales. » (recopié de la page d’accueil de la Fondation)
Yvonne a hérité du domaine acquis à Saint-Rémy-lès-Chevreuses en 1577 par un de ses ancêtres. Elle le met à la disposition de la Fondation, et lui en fera don à sa mort, en 1974.
L’institution reçoit chaque année une trentaine de jeunes gens, appartenant aux métiers de menuisier, ébéniste, métallier, maçon, tailleur de pierre, plâtrier et chaudronnier, issus pour la plupart de l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France. Ils y reçoivent des cours théoriques mais surtout pratiques, dispensés par des professionnels hautement qualifiés, selon le principe « allier l’esprit et la main ».
Le cycle de formation dure 11 mois.
La formation professionnelle est dispensée dans des ateliers de maîtrise, connus sous les noms de :
- – les ateliers Saint-Jacques, pour la métallerie, la menuiserie et la taille de pierre.
Parmi les travaux dont les ateliers Saint-Jacques sont légitimement fiers, citons la reconstitution complète de la grille royale du château de Versailles telle qu’elle existait avant 1771, ou dans Notre-Dame de Paris, la restauration de la croix et des faîtages du chevet… - -et la fonderie de Coubertin, pour la chaudronnerie et la fonte d’art.
Citons parmi leurs réalisations la Flamme de la Liberté de Jean Cardot, réalisée pour l’ambassade des États-Unis à Paris en 2008 ou encore le nouveau reliquaire abritant la couronne d’épines du Christ de la cathédrale.
A l’issue de leur formation, sanctionnée par un diplôme de « artisan spécialisé en art, techniques et patrimoine », les élèves doivent être capables de
répondre à une consultation et rédiger un argumentaire fondé sur une culture artistique, technique et philosophique
réaliser un ouvrage sur-mesure dans leurs spécialisations techniques respectives répondant aux plus hautes exigences de facture
gérer un projet
animer et manager une équipe
assurer un tutorat des apprenants
gérer une entreprise ou une unité de production
définir et déployer un plan marketing, organiser et animer la commercialisation des ouvrages ou services proposés de l’entreprise (plaquette de la Fondation).
Ils constituent, dans le respect des valeurs du compagnonnage, l’élite de professions d’artisans d’art, que nous avons pu redécouvrir à l’occasion du chantier extraordinaire de Notre-Dame.
Le musée
Les visiteurs apprécieront, outre la beauté du site, qui comprend une trentaine d’hectares boisés, à l’orée de la ville (en direction de Chevreuse), un musée qui conserve et diffuse un fonds de sculptures et dessins de sculpteurs datés de la fin du 19ème siècle à nos jours et centré autour de la figure de Joseph Bernard (1866-1931), à partir des oeuvres dont son fils a fait don en 1985 à la Fondation.
Ces collections sont présentées dans plusieurs lieux du domaine, tant en intérieur qu’en extérieur gravitant autour du château de Coubertin. L’agencement d’espaces d’exposition à l’extérieur, en pleine verdure, en fait son originalité et sa beauté.
Le jardin des bronzes, en bordure du Chemin de Coubertin, conduit le visiteur de la galerie d’exposition, située à l’entrée, jusqu’au château, par une succession de terrasses et d’escaliers agrémentés de sculptures.
Le musée gère également une collection de mobilier ancien dans le château et une bibliothèque patrimoniale léguée par la famille de Coubertin, centrée notamment sur l’histoire des techniques artisanales et artistiques et la théologie.
Cette liaison, trop rare entre la France d’hier (le musée) et la France de demain (les jeunes compagnons), mérite bien une visite.
Christian Rouet
Décembre 2024