Vous avez mal aux dents ?
En 1912 il semble qu’il n’y avait à Rambouillet que 2 chirurgiens dentistes pour 6500 habitants. Il y en aurait aujourd’hui 11 fois plus –sans compter les professionnels de l’hôpital– pour une population qui n’a été multipliée que par 4.
Si nous souffrons d’un manque évident de médecins généralistes, ou de certains spécialistes, il semble donc que nos dents (environ 865 000, si on en compte 35 par habitant sans compter les dents de lait ni les dents de sagesse) ne sont pas les plus mal loties. Il est vrai que la consommation de produits sucrés a augmenté dans le même temps beaucoup plus rapidement que celle du dentifrice.
Cependant nous n’évoquerons pas ici l’actualité de cette profession. Je ne voudrais surtout pas commettre des erreurs que pourrait me reprocher l’excellent dentiste dont je suis le patient trop régulier, s’il venait à lire cet article.
Je vous invite donc à visiter avec moi quelques cabinets d’autrefois, et à retrouver le bruit de la roulette que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître…
« Vous rappelez-vous le charlatan de jadis ? L’estampe et les images d’Épinal en conserveront le souvenir. L’homme botté, casqué, portant simarre ou tunique dorées, sur une voiture monumentale, à grand orchestre, arrachait sans douleur.
Tous les instruments lui étaient également précieux. Il savait indifféremment faire sauter canines et molaires avec pinces, poinçons, lames de poignard, de sabre ou même tuyaux de pipe ! Ou bien, il avait mirifiques élixirs, onguents suaves qui remplaçaient avantageusement le baume d’acier. Il les débitait en s’écriant : “N’arrachons plus, guérissons !”
Au demeurant, c’était un gai compagnon. S’il arrachait mal et guérissait peu, si les clients hurlaient quand leur mauvaise étoile voulait qu’une partie de la mâchoire vînt avec la dent, les badauds prisaient fort cet opérateur de plein air. Après son départ ils souhaitaient son retour, qui jetterait un peu d’animation sur la place de la petite ville. » (Le Figaro 6 novembre 1896)
Au XIXème siècle
Le 30 novembre 1892, la loi Chevandier crée le diplôme d’État de chirurgien-dentiste. C’est l’aboutissement d’un projet lancé en 1880 par Jules Ferry, pour que les soins dentaires ne puissent plus être exercés que par des professionnels justifiant d’études spécialisées, sanctionnées par un diplôme (indépendant de celui de médecin).
Avant cela, professionnels sérieux et charlatans se disputaient la clientèle. Les communes tentaient parfois de mettre en place une réglementation locale. C’est ainsi, par exemple, que Pantin décide en 1818 d’organiser un concours entre deux concurrents qui se disputent la clientèle locale : celui qui arrachera le plus de dents sera seul autorisé à exercer. Voici un extrait du discours prononcé par l’un des concurrents :
« Je me conformerai dans toutes leurs étendues aux lois fondamentales de la chirurgie maxillaire. Je plomberai toutes les dents cariées. Je soulagerai les souffrances de chaque citoyen qui me fera l’honneur de recourir à moi. Je n’accepterai de messieurs les magistrats aucune autre fonction pour me livrer tout entier aux obligations que votre choix m’aura imposées. La pureté de l’haleine, la liberté de la mastication, les râteliers admirables que je puis vous fournir, l’excellent opiat dont je suis l’inventeur; enfin le calme et le bonheur de tous seront ma pensée unique. » (la Quotidienne 17 novembre 1818)
C’est un beau programme, mais ne dit-on pas « menteur comme un arracheur de dents » ?
Depuis quand y a-t-il des dentistes patentés à Rambouillet ? Les publicités les plus anciennes que j’ai trouvées dans les journaux locaux émanent de dentistes parisiens, comme celle de Paul-Simon, « le seul en France dont les pièces dentaires ont été admises à l’exposition universelle de Londres », et dont les nouveaux dentiers masticateurs se reconnaissent « à leur grande solidité et à la facilité avec laquelle on s’en sert pour une prononciation et une mastication parfaites» (l’Annonciateur 16 juillet 1857).
Ou encore celle de M. d’Origny, qui « vient de découvrir une préparation qui guérit facilement les dents les plus douloureuses »( l’Annonciateur 11 mars 1858).
Les Rambolitains peuvent aussi acheter l’eau miraculeuse proposée par un dentiste du roi (!), disponible… chez une modiste!
Après l’adoption de la loi Chevandier, le chirurgien-dentiste diplômé Avron Kanel s’installe au 41 de la rue Nationale (rue de Gaulle). Dans un premier temps, il pratique aussi à Dourdan.
Le XXème siècle
En novembre 1907, il transfère son cabinet au 10 de la place de l’Eglise (place Jeanne d’Arc).
Il semble que ce soit le premier dentiste installé à demeure à Rambouillet. En 1935 le Dr Ghemar lui succède dans les mêmes locaux, et après-guerre le Dr Mathon prend sa suite. Lorsque ce dernier prendra sa retraite, son gendre y installera son cabinet d’expert-comptable.
Dans l’annuaire de 1911 deux dentistes sont répertoriés : au cabinet d’A. Kanel s’est ajouté depuis 1902 celui du Dr P.V. Modé. Installé au 49 de la rue Nationale, il continue à exercer aussi à Paris. Nous connaissons ses tarifs : 3fr pour une extraction simple, et 5fr avec anesthésie locale (la douleur a donc un prix : 2fr). Un plombage à partir de 5fr, une aurification simple depuis 20fr et un dentier complet à partir de 100fr.
Ni sécurité sociale, ni mutuelle à cette époque où le salaire moyen mensuel est d’environ 100fr.
Le 8 mai 1920 le Dr Pierre-Octave Mopinot s’installe au 21 de la rue Gambetta. En 1921 le Dr Stern ouvre son cabinet au 67 rue Nationale (il informe sa clientèle de la réouverture de son cabinet, mais je n’ai pas trouvé trace de sa première installation).
En 1930 le Dr E. Puteaux ouvre un cabinet au 51 rue Nationale, mais le cède peu après à madame Maurion, première femme dentiste à Rambouillet.
Une femme dentiste ? Il semble qu’il n’y en a pas assez. En 1900 le journal soulignait déjà les nombreux avantages que présenterait la féminisation de la profession :
« D’abord elle procurera aux dames la sécurité. Tant de clientes anesthésiées ont été victimes d’entreprenants dentistes que beaucoup de femmes hésitent avant de confier à un praticien le soin de leur bouche.(…) Ceux qui se scandalisent quand nous réclamons des lycées mixtes mettent sans difficulté des fillettes en la main d’hommes, satyres parfois, qui sont, pour les femmes elles-mêmes, redoutables. » (Le Radical, 23 janvier 1900)
En 1920 le Progrès de Rambouillet publie aussi la publicité du Dr Warman, 1 rue de Toulouse, mais c’est un dentiste… pour les chevaux !
Dans l’annuaire de 1934 Rambouillet dispose de 4 cabinets dentaires: ceux du Dr Ghemar (succ Kanel), de Mme Maurion, du Dr Modé et du Dr Daniel Sérelle (succ Mopoinot).
Sans doute victime des lois anti-juives, le Dr Schouder, installé au 44 rue Gambetta en 1941, doit cesser ses activités. Son cabinet sera repris en 1945 par le Dr Dufay
Je m’arrête ici. Le nombre de chirurgiens-dentistes passera de 4 en 1954 à 24 aujourd’hui, en même temps qu’il s’en installera dans de nombreuses communes des environs.
Dans le même temps l’hygiène et la médecine dentaire ne cesseront de progresser, accompagnées d’une modernisation impressionnante du matériel.
Déjà, vers la fin du XIXème siècle, la production des instruments dentaires rotatifs (ces fraises dont le seul bruit suffisait à nous terroriser !) s’industrialise. En 1956 le carbure de tungstène remplace l’acier. Depuis 1958 on produit des pointes diamantées à liant galvanique.
A propos, connaissez-vous sainte Apolline ? C’est la patronne des dentistes (à moins que ce ne soit celle que doivent implorer leurs patients ?) en raison de son martyre : on lui a arraché toutes les dents avec des tenailles avant de la mettre à mort
Aujourd’hui comme l’indiquait dans sa publicité un dentiste : on n’arrache plus les dents… on les cueille !
On en souffre d’autant moins, qu’une piqure d’anesthésie produit des effets calmants immédiats, et l’utilisation de produits et matériaux modernes font que le Chat de Geluck peut être rassuré ! .
De quoi se réjouir d’une visite chez son dentiste.
Christian Rouet
novembre 2024