Monsieur et madame d'Angiviller

Pour évoquer le comte d’Angiviller, et son épouse, il nous faut commencer par répondre à la question qui divise les Rambolitains : comment prononce-t-on Angiviller ?
Il faut prononcer comme Rambouillet et non comme Villers-Cotterêts.

Un petit texte publié en 1859 nous l’affirme, et prouve que la question se posait déjà à l’époque :

« Tant que je pourrai babiller

Que mes vers pourrai cheviller

Dussé-je en vain m’égosiller

Je dirai que l’on doit mouiller

Les deux « l » dans Angiviller

Et point n’aurai à sourciller. »

Dont acte !

Pour évoquer le comte d’Angiviller, dont la ville de Rambouillet, reconnaissante, a donné le nom à une rue en 1816 (elle avait été précédemment sente, puis rue des Remparts au XVIIIème siècle, rue de l’Egalité en 1794, et même rue du Borysthène (ancien nom de Dniepr) en 1812), commençons par présenter sa future épouse.

Elisabeth de la Borde

Née en 1725, cette fille d’un fermier général a ses entrées à la cour, et notamment dans le cercle de madame de Pompadour, grâce à son mariage avec le baron de Marchais, premier valet de chambre du roi.

Elisabeth de Marchais
Elisabeth de Marchais

On nous dit qu’elle joue la comédie pour distraire Louis XV, et que la pureté de ses lignes la destine à des rôles de « déshabillées ». Le roi l’apprécie grandement – en tout bien tout honneur : la Pompadour y veille! – car elle est jolie, gaie et qu’elle danse et chante à merveille (Mme Champrenault, conférence de la SAVRE).

Mais elle n’est pas que cela, et elle acquiert vite la réputation d’une femme cultivée et spirituelle dont la compagnie est recherchée. Bientôt son salon reçoit artistes, savants, hommes de lettres, au point qu’il est même question, un temps, de la faire entrer à l’Académie française, à une époque où il est envisagé d’y faire entrer des femmes (l’Académie aura besoin de 220 ans de plus pour s’y décider).

Charles Claude Flahaut de La Billarderie

Dans le cercle des admirateurs de l’épouse du baron de Marchais s’introduit un jour le beau Charles Claude Flahaut de La Billarderie, surnommé par ses camarades « l’ange Gabriel ».Il est de cinq ans son aîné, fils du Gouverneur de Saint-Omer et officier dans la garde du roi.

Le coup de foudre est immédiat et réciproque.

Sans diminuer ses mérites, gageons que l’influence d’Elisabeth est importante pour que Charles reçoive la croix de Saint-Louis. Louis XV l’apprécie et le confirme dans son titre de comte d’Angiviller. Il le nomme Maréchal de camp et le charge de l’éducation du futur Louis XVI dont Charles d’Angiviller devient ainsi l’ami.

Des revenus confortables lui permettent alors d’acquérir un hôtel particulier, rue de l’Oratoire à Paris, mitoyen de celui des Marchais : heureuse coïncidence qui ne choque personne, à une époque où la fidélité conjugale est une pratique jugée inconvenante, mais heureusement fort rare.

En 1774 le roi Louis XVI monte sur le trône, et nomme immédiatement son ami d’Angiviller  directeur général des Bâtiments, Arts, Jardins et Manufactures du roi. Ce poste, très important, le rend responsable de la Manufacture des Gobelins, de la Savonnerie, de Sèvres et lui permet de diriger toute la politique artistique du royaume, travaillant en étroite relation avec Necker et Turgot pour ses aspects économiques.

Pendant des années, son influence ne cesse de grandir, et bientôt c’est Elisabeth de Marchais, autrefois sa protectrice, qui tire profit de ses relations.

le serment des Horaces par David
le serment des Horaces par David

Parmi les succès d’Angiviller, il faut citer son soutien au néoclassicisme. Le tableau du serment des Horace, qu’il commande à David en est un parfait exemple.

Il applique les principes d’alignement des villes antiques à Versailles, lors de la rénovation du quartier de Clagny, en y créant une série d’îlots réguliers autour des boulevards du Roi et de la Reine.

Pour le nouveau Théâtre-Français (actuel théâtre de l’Odéon), il soutient le projet d’une architecture en forme de temple grec.

Pendant des années, jusqu’à l’austérité imposée par la guerre d’indépendance américaine, il dispose de fonds très importants pour faire l’acquisition des principaux chefs-d’œuvres européens qui apparaissent sur le marché de l’art, et enrichit ainsi les collections royales tout en assurant la promotion des artistes français, et en réalisant un vaste programme de restauration des collections. On lui doit aussi, après son prédécesseur le marquis de Marigny, le projet de réaliser un grand musée permanent au Louvre, pour y présenter les collections du roi. Malheureusement, le musée ne pourra pas être ouvert avant la Révolution.

En 1780 le baron de Marchais décède après une vie honorable de mari complaisant, comme savent l’être, avec classe, tous les cocus de cette époque (à part cet insolent monsieur de Montespan, qui avait su gâcher le plaisir royal en s’offusquant de la liaison de Louis XIV avec son épouse, au lieu de s’en sentir grandement honoré !).

Elisabeth est alors âgée de 55 ans, et le comte d’Angiviller de 60. A la surprise de leurs amis, ils choisissent de convoler en justes noces, après plus de vingt ans d’une liaison sans nuages.

Pourquoi une telle décision ? Peut-être précisément pour étonner leurs amis : pour quelle autre raison se marie-t-on ?  Comment dites-vous ? Par amour ? Hypothèse hardie qui ne saurait être écartée formellement lorsqu’on évoque un mariage, mais qui ne semble pas s’appliquer dans le cas présent.

En effet, si le couple continue à servir de modèle, dans sa vie publique, il semble que l’entente intime des deux amants se soient déjà fortement dégradée.

Mme d’Angiviller se plaint de ne plus avoir les prévenances et les attentions que son amant lui prodiguait autrefois. Lui se plaint de l’importance qu’elle entend conserver dans leur couple, alors qu’il a maintenant une situation très supérieure à la sienne.

Bref, le comte accueille avec satisfaction toutes les occasions de s’éloigner de l’hôtel de la Surintendance qu’ils occupent désormais, à Versailles.

D’Angiviller à Rambouillet

le comte d'Angiviller
le comte d’Angiviller

Sans vouloir minimiser l’attrait de Rambouillet, cette mésentente semble expliquer en grande partie, la satisfaction avec laquelle le comte d’Angiviller se voit nommé en 1786 Gouverneur et Administrateur du domaine de Rambouillet, que le roi a acheté le 29 décembre 1783 au duc de Penthièvre.

Jusqu’à la Révolution il y séjourne beaucoup plus souvent qu’à Paris, et presque toujours seul, tandis que son épouse tient salon à Versailles.

En moins de cinq ans, la ville de Rambouillet connaît grâce aux initiatives de son Gouverneur de profonds changements : je ne fais que les citer sommairement, car c’est la vie de monsieur d’Angiviller qui m’intéresse ici, plus que son oeuvre.

Entre 1784 et 1786 le comte procède à de nombreux échanges ou acquisitions de terrains pour le compte du roi, qui agrandissent le domaine.

Sans doute vous souvenez-vous que c’est lui qui accepte, avec satisfaction, d’offrir à la ville un nouveau terrain, dans l’ancienne garenne, pour y transférer le cimetière de Rambouillet ? Ce transfert lui permet de récupérer le terrain situé près du Rondeau. Les jardins de l’Hôtel du Gouvernement qu’il fait construire à l’emplacement de l’actuel palais du Roi de Rome, peuvent ainsi s’étendre de la place du Grand Chenil (place Félix Faure) jusqu’à la place aux Herbes (place Marie-Roux) sur trois hectares.
Il faut citer aussi le réaménagement du centre historique de Rambouillet : la création de l’actuelle place de la Libération, avec la construction de la nouvelle Mairie.
Ou encore la Bergerie Nationale, avec l’arrivée du troupeau de mérinos qu’il a conseillé à Louis XVI de faire venir d’Espagne.

La Révolution

En 1790 les biens du comte sont saisis et d’Angiviller doit s’exiler en Prusse. Il est accusé d’avoir dilapidé les fonds dont le roi lui avait donné la gestion.

Sans vouloir l’accabler il semble bien que la gestion des chantiers de Rambouillet ait effectivement été un désastre financier, tant pour le roi que pour les entrepreneurs. Un audit commandé en 1790 pointe des dépassements dignes des chantiers d’Etat d’aujourd’hui, dus à des erreurs d’évaluation et au choix de solutions inadaptées.
D’Angiviller a-t-il en outre confondu le budget royal et ses dépenses personnelles ? Très probablement, mais pas beaucoup plus que ses prédécesseurs.

Quoi qu’il en soit, le comte d’Angiviller vit donc désormais en Prusse, d’une pension que lui octroie Catherine II. Curieusement il se fait désormais appeler Trumen (« rêve » en Allemand). Je n’ai pas trouvé pourquoi)..

Son épouse est restée en France. Alors qu’elle ne trouvait jusqu’alors aucun charme à Rambouillet, c’est dans l’hôtel du Gouvernement qu’elle vient se réfugier. Elle s’empresse de divorcer afin de prouver qu’elle ne saurait d’aucune façon être tenue responsable des fautes de son mari. Ce reniement lui permet de ne pas être inquiétée, et elle peut revenir s’installer à Versailles, dans l’hôtel de la Surintendance, où son salon continue à accueillir les beaux esprits de l’époque.

Elle reste pourtant en contact avec son « ex », et lui propose à plusieurs reprises de rentrer en France, lorsque la situation politique s’améliore pour les émigrés.

Mais ce retour tente d’autant moins monsieur d’Angiviller qu’il a rencontré Amélie de Ompteda, dont il dit «  c’est le seul être sur la terre qui représente l’idéal que je portais dans mon âme ». Gentil pour elle et un peu moins pour Elisabeth !

Il meurt à Altona (quartier de Hambourg) en 1809, un an après qu’Elisabeth se soit éteinte à Versailles, après des dernières années consacrées à des oeuvres de charité.

 

Christian Rouet
mai 2022

le pavillon d'Angiviller
le pavillon d’Angiviller

PS: Le Pavillon d’Angiviller est toujours signalé par une inscription, au dessus du portail néoclassique de l’aile du Roi de Rome, rue de Gaulle.

L’entrée de l’hôtel du Gouvernement aurait été autrefois à cet endroit ? Je n’en ai pas trouvé de confirmation dans le livre consacré au Palais du Roi de Rome par JBlécon, et la disposition des lieux actuels ne permet pas de conclure par l’affirmative.

C’est en tous cas, après la rue éponyme, une seconde évocation du comte Charles d’Angiviller.

 

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