Un conte de Noël

Le vent d’hiver souffle dans l’ombre
La neige couvre la forêt
Pour oublier cette nuit sombre
Enfants venez vous réchauffer.
Et pendant que vous êtes sages
Ouvrons donc mon livre d’images
Ce conte se passe dans nos bois
Au temps du « il était une fois »…
En ce temps-là le seigneur Charles d’Angennes chassait dans la forêt le cerf, le loup, le sanglier et l’écureuil roux. C’était le petit-fils de celui qui avait acheté le domaine de Rambouillet à Guillaume Bernier en 1384.
C’était un bon chasseur. Et tellement passionné qu’il chassait tous les jours, rentrant fourbu le soir de ses longues chevauchées juste à temps pour écouter son JT de 20 heures.
JT c’était le Joyeux Troubadour, celui qui annonçait les nouvelles de la journée, qui prédisait le temps qu’il avait fait la veille, le résultat du match qui opposait les anglais aux français depuis la mort du roi Charles IV et qui n’omettait jamais de relater les chasses de son seigneur en les enjolivant. Au vrai, d’Angennes était bien le seul à l’écouter car ni sa femme ni ses enfants n’approuvaient la passion de leur père.
Or nous étions la veille du 25 décembre. Et même plus précisément le 24. Pendant des siècles l’Église ne s’était pas intéressée à la date de naissance du Christ, mais en 532 le calendrier Julien l’avait fixée au 25 décembre pour qu’une fête chrétienne se substitue aux fêtes païennes de cette époque de l’année.
Quelques rites ancestraux avaient cependant été conservés, et le Père Noël, qui se voyait déjà retraité, avait été invité à maintenir la tradition des cadeaux.
La nuit de Noël il montait donc sur son traineau tiré par un cerf et passait dans toutes les maisons où des enfants sages avaient déposé leurs sabots devant le chêne. Pourquoi un traineau plutôt qu’un char ou une Torpédo demanderont les enfants qui n’ont jamais essayé de circuler sur les toits en char ni en Torpédo. Je vous assure que le traineau est plus pratique. Et c’est moi qui raconte, non ?
Il faut vous dire qu’il n’y a jamais eu un seul Père Noël, mais une véritable armée répartie sur toute la terre. Les traditions s’étaient adaptées à chaque région : ici un sapin de Noël, là un palmier, ailleurs un baobab… en Yveline un chêne. Et si dans les pays du nord, le traineau était tiré par un renne, en Afrique du nord c’était un méhari, et chez nous il était tiré par le Grand Cerf-Noël, le cerf le plus majestueux de la forêt.

Et même Charles d’Angennes respectait la tradition, alors qu’il ne croyait plus au Père Noël. Cette année là, il avait tué tous les cerfs qu’il avait trouvés sur sa route, sauf le Grand Cerf-Noël.
Or donc cette nuit-là la grande course devait commencer à minuit précise, pour se terminer à minuit précise, car Jésus fait un miracle qui bloque le temps, pour que les Pères Noël aient le temps de passer partout.

A 22H30, donc, le Père Noël prit son cor et souffla pour appeler le Grand-Cerf-Noël, car l’heure était venue de se préparer. C’était un grand cor creusé dans une défense de morse, et tous les animaux de la forêt pouvaient l’entendre, et comprendre le message, car tous déchiffraient le morse, à défaut de savoir l’écrire correctement.
En s’entendant appeler, le Grand Cerf-Noël sortit de chez lui et se hâta vers l’entrepôt du Père Noël. (Les historiens ne sont jamais tombés d’accord sur son emplacement. Il devait être à peu près aux environs de. Ou pas beaucoup plus loin. )
Mais qu’advint-il lorsqu’il passa près de l’étang de Coupe-Gorge ?
Parce que vous vous doutez qu’il advint quelque chose, sans quoi il n’y aurait pas eu de conte !
Or donc, il advint qu’une bande de loups affamés lui barra le chemin.

Il faut vous souvenir qu’à cette époque, les loups n’étaient pas encore devenus végétariens. Les nutritionnistes discutent toujours le fait de savoir si c’est bien l’abus de chair tendre, mais crue, qui a conduit à leur disparition.
Et donc, les loups étaient alors carnivores. Et même carnassiers. Voire carnivorassiers. Ils se nourrissaient principalement de petits cochons et de chaperons rouges, mais ce soir là les premiers s’étaient enfermés dans la maison de briques du plus avisé d’entre eux, et les secondes étaient chez elles, devant la cheminée.
Un grand cerf, c’est un plat devant lequel un loup n’aurait pas reculé, et dix loups encore moins, toutefois c’est un animal qui a de grandes cornes capables de porter de grands coups et de faire un grand mal à des loups.
La bande affamée encercla donc le grand cerf, sans oser l’attaquer. Elle se contenta, dans un premier temps, de pousser de gros hurlements effrayants qui résonnèrent dans les futaies. Et une futaie futée qui résonnait raisonna qu’il fallait relayer l’information jusqu’au Père Noël.

Imaginez l’embarras, l’ennui, la perplexité et la détresse du bon vieillard ! Il reprit donc son cor et morsa un appel à l’aide. Le Grand Cerf-Noël l’entendit, mais ne put rien faire. Les loups l’entendirent mais ne voulurent rien faire. Les lapins préférèrent se boucher les oreilles –ce qui n’est pas aussi simple que pour vous ou moi- et se terrèrent tout au fond de leur terrier. Ne leur jetez pas la pierre, Pierre : qu’auraient-ils pu faire ?
Le son du cor traversa Groussay, et pénétra dans la Tour François 1er, cherchant à atteindre Charles d’Angennes. Pour une fois ses talents de chasseur auraient pu être utiles ! Hélas celui-ci s’était mis sur répondeur.
Seul de tous les hôtes de la forêt, un groupe de daims se précipita. Des daims, se désola le Père Noël ! Que pourraient-ils faire contre des loups ? Des daims, ricanèrent les lapins au fond de leur terrier ! Que pourraient-ils faire contre des loups ? Des daims s’exclament les enfants qui ont un minimum de connaissance de la faune locale parce qu’ils ont pleuré en voyant le film de Bambi ! Que pourraient-ils faire etc…
Mais les dindons… pardon, je recommence !
Mais les daims dont je parle étaient particulièrement intelligents, et ils conçurent un plan audacieux. Et souvenez-vous qu’à l’époque ChatGPT n’existait qu’à l’état de prototype, et que les animaux ne pouvaient donc utiliser que l’IA (l’Intelligence Animale).
Courant trouver les arbres du Moulinet ils sollicitèrent leur aide. En pleurant, les saules leur offrirent leurs branches les plus souples, et leurs feuilles les plus vertes. Et les daims tressèrent avec leur branches un gros mannequin vert en forme de démon de la forêt et ils l’habillèrent avec leurs feuilles. Ensuite ils se glissèrent à l’intérieur et se ruèrent sur les loup sur un air d’Ayia Nakamura.

Le démon vert était réellement très réussi. Et les loups eurent tellement peur qu’ils s’enfuirent la jambe entre les queues. Et oncque ne les revit plus avant le jour où Charles d’Angennes croisa leur chemin et les occis jusqu’au dernier (il fallait bien qu’il joue encore un rôle dans l’histoire, parce qu’autrement on voit mal pourquoi j’aurais parlé de lui au début !).

Ce conte aurait pu se terminer ainsi, malheureusement le Grand Cerf-Noël eut aussi peur que les loups, parce que les daims n’avaient pas eu le temps de le prévenir de leur stratagème. Il prit ses pattes à son cou et courut d’une seule traite jusqu’aux étangs de Hollande où il resta caché dans les roseaux jusqu’à l’Epiphanie. Et même que cette nuit là il prit froid, et qu’il se promit de se faire vacciner chaque année contre la grippe et la maladie de la biche folle.
Fiers d’avoir ainsi mis les loups en déroute, mais déçus de n’avoir pas répondu vraiment aux besoins du Père Noël, les daims lui proposèrent donc de s’atteler au traineau. Il était trop lourd pour n’importe lequel d’entre eux, même le plus fort, mais ils s’y mirent à 6, et le Père Noël put ainsi accomplir sa tournée dans des conditions presque normales.

Les enfants sages eurent leurs jouets. Et les parents des enfants sages eurent le spectacle de leur joie, qui est, pour des parents, le plus beau cadeau du monde.

C’est juste pour rappeler à qui de droit que j’ai déposé une demande de subvention au titre de mon engagement en faveur de la culture.
Voilà l’histoire, telle que me l’a contée un chêne de la forêt de Rambouillet, dont le papa-chêne affirmait qu’il avait lui-même assisté à la scène quand il n’était encore qu’un jeune gland. Et c’est assez vraisemblable, parce que nos chênes vivent très vieux et ont une très bonne mémoire.
C’est de cette nuit mémorable que datait la tradition des défilés de chars de feuilles de saules dans les rues de Rambouillet. Et aujourd’hui le muguet a remplacé le saule, parce que celui-ci pleurait trop.
Et la morale de cette histoire :
c’est qu’il ne faut pas avoir dédain des daims.
Enfants vous vous êtes endormis
Mes loups ne vous ont pas fait peur
Un conte ainsi lu entre amis
Ne vous donne pas plus de bonheur ?
Vous lui préférez votre écran
C’est que déjà vous êtes grands
Alors, tant pis : au Nouvel An
J’envoie mon conte à vos parents.
Christian Rouet
décembre 2025













