Trouver de l'eau
Le 15 mars 2023, 85 communes des Yvelines sont déjà placées en situation d’alerte en raison de la sécheresse hivernale. Notre département est loin d’être le plus touché, et au moment où j’écris cet article, manifestants et forces de l’ordre se livrent à un véritable combat autour de la méga-bassine de Sainte Soline.
Pourtant, si on en croit l’éditorialiste de l’Aurore, du 6 août 1911, au coeur d’un été qui était alors l’année de tous les records, nos ancêtres avaient connu pire :
«En 627, on mourait de soif, toutes les sources étant taries; en 993 les végétaux prennent feu spontanément; en 1090 les rivières se dessèchent et on a toutes les peines du monde à tirer de l’eau des puits; en 1122, les hommes et les animaux qui s’aventurent au soleil tombent morts; en 1303 la Seine est à sec; en 1705 on fait cuire la viande au soleil; en 1793, les légumes grillent et le thermomètre marque 38°; en 1832 la chaleur est accompagnée du choléra et, à Paris, il y a vingt mille victimes; enfin en 1846, au mois d’août, on a enregistré 46° etc.
Le soleil de 1911 peut-être ardent, il n’éclaire aucune nouveauté. »
Alors, soit ! Si cet éditorialiste dit vrai, la sécheresse n’est pas un phénomène nouveau. Il n’est pas sûr, cependant, que cette constatation suffise à nous rassurer. On voit bien qu’à chaque époque le monde s’est partagé entre optimistes qui pensaient que l’humanité n’aurait plus que des cailloux à manger, et pessimistes qui craignaient qu’il n’y en ait plus assez pour tout le monde.
Une chose est certaine : l’ivel qui a donné son nom à notre pays d’Yveline désignait autrefois un château d’eau, et c’est d’excès d’eau que souffraient nos terres marécageuses.
La baisse actuelle de nos nappes phréatiques est dramatique pour l’homme, mais aussi pour notre forêt : un chêne adulte a besoin de 200 litres d’eau par jour !
Cependant je ne veux pas écrire ici un article météorologique, mais seulement évoquer quelques solutions qui ont été mises en œuvre autrefois, pour doter nos châteaux d’une alimentation en eau. Certes, les besoins en eau étaient bien moins importants qu’aujourd’hui : pas de chasses d’eau dans les latrines, ni de salles de bains ! Mais il fallait malgré tout de l’eau pour boire, faire la cuisine et arroser les jardins du château, or, pour des raisons stratégiques, celui-ci était très souvent construit en hauteur.
(Je n’évoque ici que les châteaux, mais naturellement des problèmes de même nature se posaient dans les villes, les abbayes et toute habitation).
Les puits
C’était la méthode la plus courante d’approvisionnement en eau potable des châteaux. Chaque fois que cela s’avérait possible, le puits était creusé à l’intérieur de l’enceinte, pour ne pas en être coupé en cas de siège, idéalement à proximité des cuisines ou du jardin, principaux utilisateurs de l’eau…
Le mode de construction d’un puits a peu évolué depuis le moyen-âge. La difficulté était naturellement d’éviter un effondrement des parois, ce qui nécessitait de construire une tour maçonnée à l’intérieur.
Pour cela on perçait un trou cylindrique, dans lequel était placé un rouet (« Assemblage à peu près circulaire de madriers sur lequel on bâtit un puits »). Sur celui-ci, construit en bois de chêne, du diamètre du trou, on élevait un mur en tour ronde qui reposait sur cette pièce de bois, sans être fixé aux parois du puits.
En déblayant peu à peu sous le rouet, on le faisait descendre avec la portion de maçonnerie qu’il supportait, et on complétait, à mesure de l’abaissement du rouet, cette maçonnerie cylindrique dans la partie supérieure.
Équipés seulement à l’origine d’une chaîne et d’un seau, les puits ont ensuite été améliorés pour pouvoir tirer l’eau plus vite et avec moins d’efforts, et, lorsque le château a perdu son seul rôle défensif, leurs margelles et leurs poulies sont devenues des éléments décoratifs.
Selon la nature du sol, il était parfois nécessaire de creuser à des profondeurs importantes. Le puits du château de la Madeleine, qui domine Chevreuse atteignait 80 mètres.
Ce puits, encore visible aujourd’hui, date du XVème siècle. Auparavant le château utilisait probablement l’eau des douves, retenue par une digue.
La source naturelle
Il existe rarement une source dans l’enceinte du château, mais naturellement si c’est le cas, bien des problèmes se trouvent résolus !
Le cas du château de Rambouillet est particulier – je parle du premier château fort, avec son pont-levis et ses douves qui fut rasé par les Anglais avant d’être reconstruit plus tard sur le même emplacement. Il avait été érigé à l’endroit où les eaux qui ruissellent des étangs du Moulinet et de Coupe-Gorge viennent se réunir pour former la Guéville. Ses occupants ne risquaient donc pas de manquer d’eau !
Cependant, le plus souvent, lorsque le château peut utiliser une source, celle-ci se situe à l’extérieur, et il faut donc amener l’eau par un réseau de canalisations en bois, puis en céramique ou par des aqueducs en pierre.
Par exemple, le château de Saint-Léger, résidence royale de Robert-le-Pieux à Philippe Auguste, était alimenté en eau depuis la source de la Bruyère, distante de près de 2 kilomètres.
Les canalisations en poterie, de 10cm de diamètre, découvertes lors du percement de la nouvelle route de Saint-Léger à Montfort, correspondent à la solution technique la plus répandue à l’époque (des fragments ont été offerts au Musée de Sèvres). Au château de Guédelon ( à voir absolument !) les canalisations qui alimentent les citernes ou conduisent l’eau du moulin sont ainsi construites en poterie, et emboîtées selon les méthodes employées à l’époque médiévale.
La difficulté principale résidait dans les liaisons entre les segments emboités, dont la longueur était très limitée. Le problème subsistera plusieurs siècles après, pour l’approvisionnement en eau des bassins de Versailles, même quand le plomb aura remplacé la poterie. Un mélange de mortier, d’argile et de paille assurait une étanchéité imparfaite, et les fuites ont toujours été un problème important.
Avec nos matériaux et nos techniques modernes nos réseaux d’alimentation subissent toujours une perte d’environ 20% !
Les citernes
Elles étaient souvent utilisées en complément des puits, et pouvaient être également alimentées par une source ou par l’eau de pluie.
Au château de Saint-Léger, la citerne de la Muette est à l’extérieur de l’enceinte, directement à l’emplacement de la source des Bruyères. Son trop-plein rejoint la Vesgre, en contrebas. C’est une construction en meulières, recouverte de quatre berceaux voûtés qui s’appuient sur chacune des parois, ainsi que sur un gros pilier central, posé sur une base de grès. Son origine n’est pas connue : elle a pu être construite spécialement pour servir de citerne au château de Saint-Léger, mais il est possible qu’il y ait eu précédemment un bâtiment plus ancien, dont la cave a été transformée par la suite. Les cartes postales anciennes ne la baptisaient-elles pas « citerne romaine »?
Le nom de Muette évoquerait les mues de cerf qui se seraient accumulées dans la citerne après la fermeture du château. Le terme pourrait aussi bien évoquer la meute, mais rien n’atteste d’un chenil à cet emplacement. En 1900 Paul Aubert indique qu’elle est utilisée comme abreuvoir.
Sortant de Saint-Léger, en direction de Gambaiseuil la citerne est facile à trouver, au bord du GR1, à gauche, immédiatement après le centre hippique. Un grillage en interdit l’accès, mais permet d’en voir l’intérieur. Les arbres qui poussent au-dessus menacent la voûte et je crois savoir que la SARRAF se mobilise actuellement pour assurer sa survie.
Lorsque le château de Saint-Hubert est construit pour Louis XV sur la rive nord de l’étang de Hollande, en un endroit que seul le bon vouloir royal permet d’expliquer, l’eau prélevée dans l’étang était stockée de même en citernes, tant pour le château que pour l’abreuvoir jusqu’à la découverte d’une source.
Des aides mécaniques
Naturellement les procédés de captage et de transport de l’eau n’ont cessé d’être perfectionnés dans tous les pays depuis l’Antiquité. Des norias, des roues ont été complétées par des pompes manuelles.
On peut toujours admirer dans la cour des granges de Port-Royal des Champs le puits dont Pascal avait perfectionné le mécanisme » par le moyen (duquel) un garçon de 12 ans peut monter et descendre en même temps deux seaux qui tiennent chacun 9 seaux ordinaires, l’un étant plein, l’autre étant vide. «
Cependant une invention remarquable est moins connue : c’est celle des béliers hydrauliques, qui alimentaient par exemple le château de Rochefort-en-Yvelines.
Quel en est le principe ? C’est l’application du « coup du bélier » responsable des chocs dans nos tuyauteries lorsque des joints mal serrés laissent passer de l’air.
Les frères Montgolfier –plus connus pour une autre de leurs inventions – en imaginent le principe, que l’industriel Bollée met au point en 1857.
L’eau descend par gravitation (par une canalisation de diamètre réduit) à partir d’un point haut. La fermeture d’une soupape primaire sous l’effet de l’arrivée d’eau remplit une cloche en comprimant l’air qui s’y trouve. Lorsque cette compression est à son point maximal, la fermeture d’un clapet provoque une inversion des pressions et l’eau, poussée dans la conduite de refoulement, de diamètre moindre, peut monter jusqu’à 15 fois plus haut que la chute initiale.
Par exemple, si le bélier est alimenté par un bassin situé 10 mètres plus haut, il pourra alimenter par jets répétitifs une citerne située à 150 mètres de hauteur.
Un bélier présente l’avantage de ne nécessiter aucune énergie fossile, et aucune aide humaine ni animale : c’est donc un procédé qui répond parfaitement à toutes les exigences de l’écologie.
A Rambouillet, le 10 février 1912, le Touring Club en préconise l’installation dans la Laiterie de la Reine, mais l’idée ne sera pas retenue. On l’évoque également pour remplacer la machine de Marly.
A Rochefort-en-Yvelines, 3 béliers situés en contrebas de la Rémarde, dans une propriété privée située précisément dans la rue des Béliers, à l’emplacement de l’ancien moulin, ont alimenté ainsi une citerne du nouveau château de Rochefort, jusqu’au milieu du siècle dernier.
J’imaginais que le procédé avait été abandonné, mais je découvre que tous les magasins de bricolage continuent à en proposer comme pompes de relevage ne nécessitant aucune énergie.
Mieux : quantité de sites expliquent comment en fabriquer un soi-même, en appliquant les formules
(P3): Rg = (H/h – 1) / ((qB / qF) – 1)
et (P4) : qF / qB = h Rg / (H – h (1 – Rg))
sur lesquelles j’apprécierais que vous ne me demandiez pas d’explications.
On peut imaginer que le procédé devrait connaître aujourd’hui un regain d’intérêt !
Ces quelques exemples locaux illustrent bien qu’avec des moyens limités, nos ancêtres ont su trouver des solutions à bien des problèmes.
Il nous reste donc à espérer qu’avec des moyens mille fois plus puissants, nous sachions résoudre des problèmes qui ont, hélas, augmenté encore plus rapidement.
Christian Rouet
avril 2023
Pour mieux comprendre sans s’attarder sur les équations, il convient de retenir que l’énergie produite par la descente de l’eau depuis le bassin jusqu’à la décharge d’eau sert à remonter une partie de cette eau vers le réservoir supérieur.
Ce n’est qu’une parti de l’eau qui est remontée, en revanche, l’autre partie est récupérée à un niveau inférieur au niveau initial.
Oui, mais ce qui n’est pas évident à expliquer c’est le fonctionnement de la soupape et du clapet, (qui ne peut fonctionner que par à-coups, donc effectivement avec des pertes importantes). Ce petit film en anglais est le plus explicite que j’ai trouvé
https://www.youtube.com/watch?v=i31hGJ93OTg&t=23s
Christian, je suis épaté (et pas que de canard) par la qualité et l’intérêt de tes articles, même si je suis bien loin de Rambouillet où je n’ai jamais mis les tongs.
Mais emmagasine bien la chose, je ne vais pas la répéter souvent. 😉
Passionnant article qui renforce notre fierté d avoir un puits et surtout une mare qui nous permet d arroser sans scrupule nos 7500 m2 .