Les d'Angennes, seigneurs de Rambouillet
Le domaine de Rambouillet a appartenu à la famille d’Angennes durant près de 300 ans, entre le XIVème et le XVIIème siècle.
Je ne vais pas essayer de dresser ici l’arbre généalogique de cette noble famille, qui a eu de très nombreuses branches, car ce serait établir un inventaire assez fastidieux. Mais voici quelques points de repère, sur la branche des d’Angennes de Rambouillet.
Qui sont les d’Angennes ?
Le premier document qui fait mention de la famille d’Angennes est daté du 8 avril 1304. On y apprend que Regnault 1er d’Angennes a acquis « pour 950 francs or du poids commun, l’hébergement et l’hôtel de Marolles » (à Marolles-sous-Broué, 28), devenant ainsi Seigneur d’Angennes et de Marolles.
Cet écuyer, né vers 1275, était sans doute originaire d’Angennes, près de Crussey-villages en Thymerais.
Né vers 1350, Regnault II d’Angennes est son neveu. En 1384 il achète le domaine de Rambouillet. A partir de 1380 les d’Angennes sont très souvent cités dans les actes officiels. Tous occupent des fonctions importantes auprès des rois de France, de Charles VI à Louis XIV.
Ils sont, durant des générations, des serviteurs fidèles de la couronne de France, dont les rois, apprécient les mérites et qu’ils savent récompenser.
C’est qu’ils ne sont pas si nombreux, les soutiens loyaux et constants des rois de France qui leur restent fidèles durant 100 ans de guerre contre les Plantagenets, dans les combats entre Armagnacs et Bourguignons, les soulèvements des nobles dans « la ligue du Bien Public », la « guerre folle », les guerres de religions et la Fronde, avant que Louis XIV n’impose le pouvoir royal !
On trouve ainsi durant plusieurs siècles des membres de la famille d’Angennes à des postes de confiance auprès du roi. Ils occupent aussi des fonctions militaires, à la tête de troupes royales, des postes d’ambassadeurs dans plusieurs pays d’Europe, de nombreuses charges d’administration : gouverneur d’une ville, d’une province…
Leurs « CV » sont impressionnants !
Par exemple Regnault II est « Grand-Ecuyer et 1er Valet tranchant » de Charles VI en 1382, « maître des Portes de la Sénéchaussée de Carcassonne » en 1383, conseiller et Chambellan du Roi en 1398, Capitaine du Château du Louvre de 1392 à 1415, Gouverneur puis 1er Chambellan du duc de Guyenne (dauphin de France), en 1404, et Ambassadeur en Angleterre en 1413.
Ou encore, Nicolas d’Angennes, lieutenant de 30 lances, sous Jacques d’Angennes, son frère, il est Gentilhomme servant & Grand-Maréchal des Logis de la Maison du Roi Charles IX, Ambassadeur extraordinaire en Angleterre, début 1566, chevalier des Ordres du Roi, capitaine d’une compagnie de 50 hommes d’armes, conseiller & capitaine des Gardes du Corps des Rois Charles IX & Henri III, de la 2ème compagnie des Cent-Gentilshommes de la Maison d’Henri III en 1587, puis de celle d’Henri IV en 1604, Gouverneur de Metz & du Pays Messin en 1582, conseiller d’Etat, Ambassadeur (Rome, Allemagne)…
Rambouillet avec les d’Angennes
Le château de Rambouillet, construit en 1374 par Jean Bernier, prévôt de Paris à la retraite, est un château fort, entouré de douves. Il a reçu le 9 avril 1383 la visite du jeune roi Charles VI et de son oncle le duc Philippe de Bourgogne : la plus ancienne visite royale dans un château qui en accueillera tant !
En 1384 son fils, Guillaume Bernier, échange son domaine de Rambouillet avec Regnault II d’Angennes contre son hôtel de Bouzenval à Rueil et 1000 francs or.
Rambouillet reste dans la famille d’Angennes de 1384 à 1645. A cette date, il est apporté en dot par Julie d’Angennes à son époux Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, qui lui a offert pour la séduire un fabuleux recueil de poésies, « la Guirlande de Julie ».
En 1690, c’est leur fille, Marie-Julie de Sainte-Maure, duchesse d’Uzès, qui hérite de Rambouillet. Elle décède 5 ans après et sa succession est grevée d’un lourd passif. En 1699 ses héritiers cèdent le domaine à l’un de leurs créanciers : Joseph Fleuriau d’Armenonville.
Dès lors le domaine n’aura donc plus de liens, même indirects, avec la famille d’Angennes.
Bien que seigneurs parisiens, plus que rambolitains, les d’Angennes ont eu à coeur d’entretenir leur domaine, et certains d’entre eux ont consacré leur temps et leur fortune à en accroître la valeur.
La ville de Rambouillet, par contre, ne leur est pas redevable d’améliorations particulières, comme elle le sera vis-à-vis des Bourbons
Regnault d’Angennes, son premier acquéreur, investit peu dans la transformation du château, il s’empresse par contre d’agrandir le domaine encore très modeste.
Il faut se souvenir que Rambouillet au XIVème siècle était loin de constituer un ensemble cohérent. La ville de Rambouillet commençait à la Porte de Chartres, à proximité de l’actuelle sous-préfecture, et le fief de la Motte couvrait la zone du Rondeau et de la place Félix Faure.
Au nord Rambouillet était voisin du fief de Groussay, de celui de Grenonvilliers, du Patis et de la Grange-Colombe, à l’Est de celui de la Villeneuve. Dans le parc il y avait le fief de Montorgueil. Plus loin les fiefs de Cutesson, Gazeran, Auffargis et bien d’autres.
Regnault d’Angennes acquiert donc le fief de Bétonzard près de Gazeran, en 1387, et l’année suivante celui d’Auffargis. En 1394 il achète le fief de Montorgueil. En 1398 celui de Groussay. En 1399 il achète la moitié de la seigneurie de Poigny. En 1406 il achète la seconde moitié, ainsi que la châtellenie des Essarts. (listé par Genevière Hude, « Poigny-la-Forêt »)
A sa mort c’est donc un vaste domaine qu’il transmet à son fils ainé, Jean 1er d’Angennes.
Entre 1425 et 1428, Rambouillet subit trois attaques anglaises. Lorsque Jean II d’Angennes hérite de son père, Jean 1er, le château qui a été pris à deux reprises, est à reconstruire entièrement.
Jean II consacre une partie importante de son temps et de sa fortune à cette reconstruction. Le château est rebâti sur l’emplacement du précédent. Il garde sa fonction de château-fort, avec un pont-levis et des douves alimentées par les eaux qui forment ensuite la Guéville.
Lorsque son petit-fils, Jacques 1er, devient seigneur de Rambouillet, en 1514, la paix est revenue, et le rôle défensif du château fait place à une vocation plus résidentielle. Sans grandes transformations visibles de l’extérieur, le château s’adoucit : l’architecte Olivier Ymbert crée une vaste galerie, revêtue de marbres rouges et gris, sous la grande salle du premier étage. Trois profondes fenêtres sont percées dans les formidables murailles élevées par Jean Bernier. Ymbert construit également un vaste escalier intérieur.
Le château accueille à plusieurs reprises François 1er qui traite le seigneur de Rambouillet en ami, et c’est dans la tour dite depuis « tour François 1er » que le roi décède en 1547. François Rabelais visite également à plusieurs reprises les d’Angennes (des rochers d’une ile du parc ont conservé le nom de « marmites de Rabelais »).
En même temps qu’il transforme le château, Jacques 1er agrandit son domaine avec ceux de Maintenon, de Dampierre et de la Boissière.
Cependant, si certains membres de la famille d’Angennes agrandissent ainsi le domaine de Rambouillet, à d’autres moments celui-ci se trouve réduit, par l’effet des successions.
En effet, les règles successorales qui s’appliquent jusqu’à la révolution –héritage des lois romaines et des nombreuses lois et coutumes locales qui sont venues les modifier– font que le titre, et le fief principal sont transmis à l’ainé des garçons (afin que lui seul soit responsable vis-à-vis du suzerain des obligations militaires, civiles ou financières imposées au vassal). Mais les autres enfants se partagent les autres biens (avec, toutefois, des exceptions régionales).
Par exemple, Jacques 1er d’Angennes a 12 enfants dont 9 fils. Quand Nicolas hérite du domaine de Rambouillet, deux de ses frères ainés sont morts, et le 3ème est cardinal. Mais son frère Louis a reçu le marquisat de Maintenon, Jean a reçu les terres de Poigny et Philippe celles d’Auffargis.
Le domaine agrandi par Jacques Ier se trouve ainsi divisé, donnant naissance à plusieurs branches de la famille d’Angennes.
Ajoutons qu’en 1612, le domaine de Rambouillet est élevé au rang de marquisat par Louis XIII. Cependant il s’agit seulement d’une façon pour le roi de récompenser et d’honorer Charles II d’Angennes, sans autre rapport, ni conséquence pour le domaine lui-même.
Les d’Angennes à Paris
On comprend qu’avec de telles vies, les d’Angennes n’ont pas séjourné bien souvent à Rambouillet durant ces 3 siècles : leurs résidences principales ont toujours été parisiennes.
Parmi celles-ci, plusieurs sont restées célèbres :
En 1606 Nicolas d’Angennes cède un très bel hôtel particulier rue Saint-Honoré dont nous connaissons seulement cette esquisse (à gauche). Son acquéreur le revendra en 1624 à Richelieu, qui fera construire sur son emplacement le Palais Cardinal, futur Palais-Royal.
En 1607 Nicolas d’Angennes s’installe place des Vosges dans un hôtel particulier qui conserve aujourd’hui encore le nom de hôtel d’Angennes de Rambouillet. C’est un très beau bâtiment construit par Jean Fontaine. Il est cédé en 1643 à Gaspard II de Fieubet et en 1645, l’immeuble est transformé par l’architecte Charles Chamois pour devenir ce qu’il est aujourd’hui.
En 1599, Catherine de Vivonne, l’épouse de Charles d’Angennes, hérite à la mort de son père, de l’hôtel de Pisany, rue Saint-Thomas-du-Louvre (approximativement à l’emplacement de l’actuel pavillon Turgot du Louvre). Le couple s’y installe et Catherine en dessine les plans et en dirige elle-même la reconstruction. Elle le dote notamment d’une série de salons communicants, propres à recevoir dans les meilleures conditions.
Si cet hôtel a acquis une telle notoriété, sous le nom d’hôtel de Rambouillet c’est parce que Catherine de Vivonne y tient, jusqu’à sa mort, en 1667, un salon littéraire d’une grande renommée, qui accueille tous les beaux esprits de Paris.
C’est là que sa fille, la belle Julie d’Angennes, est courtisée par Charles de Sainte-Maure, baron de Montausier, qui lui offre pour la séduire cet ouvrage merveilleux : la Guirlande de Julie.
Et c’est Julie qui sera la dernière d’Angennes, propriétaire du domaine de Rambouillet, l’apportant en dot lors de son mariage en 1645 à Charles de Sainte-Maure.
Charles et Julie continueront à vivre à l’hôtel de Rambouillet après le décès de Catherine de Vivonne, et l’hôtel de Rambouillet sera détruit après leur mort.
Le tombeau d’Angennes
De nombreux membres de la famille d’Angennes, de Regnault d’Angennes à Charles II d’Angennes (1652) ont demandé à être enterrés dans la première église Saint-Lubin de Rambouillet.
On sait qu’il y avait là, devant l’autel de Saint-Hubert, une dalle de marbre noir qui marquait l’entrée du caveau des d’Angennes. Derrière elle, les statues de Nicolas d’Angennes, et de Julienne d’Arquenay étaient placées dans une niche creusée dans la muraille nord de l’église.
Ce caveau accueillit seize membres de cette famille, A la Révolution, il fut profané. On en récupéra 1267 livres de plomb, vendues 404 livres, et la plaque de marbre ainsi que les deux statues furent vendues pour 45 livres. Seule la statue de Nicolas d’Angennes a été retrouvée.
Toutefois, les révolutionnaires ne touchèrent pas aux ossements, et lors de la destruction de l’église, en 1872, ceux-ci furent transférés au Tremblaye-sur-Mauldre (une autre propriété de la famille d’Angennes).
Rambouillet se souvient…
Il existe une rue de la famille d’Angennes à Rambouillet qui rappelle ainsi de façon globale ces trois siècles d’histoire.
C’est une rue bien modeste, qui va de la rue de Groussay (en face de l’hôtel Saint-Charles) au rond-point de la rue des Marais.
En 1997, à la recherche d’un nom pour l’impasse semi-privée qui prolonge la rue d’Angiviller, le conseil municipal a choisi de la baptiser rue Nicolas d’Angennes.
On peut se demander pourquoi ce choix de Nicolas –certes, personnage illustre, mais beaucoup plus attaché à Paris qu’à Rambouillet– plutôt que celui de Regnault II ou de Jacques 1er, mais c’est une question qu’il faudrait se poser pour tellement de nos rues !
Sans doute est-ce seulement parce que nos conseillers avaient sous les yeux la statue de Nicolas d’Angennes, qui décorait alors le hall de la mairie, avant d’être déplacée depuis dans le Palais du Roi de Rome ?
On peut rajouter la sente de la Guirlande de Julie : une oeuvre poétique dont Julie d’Angennes n’a pas été l’auteur, mais seulement la destinataire, et qui est en lien direct avec l’Hôtel de Rambouillet … de Paris. Donc, en réalité, un rapport avec notre ville des plus ténus …
Et rappelons aussi que le collège de Rambouillet a pris le nom de collège Catherine de Vivonne.
Enfin, n’oublions pas qu’en 1887, lorsque le docteur Louis-Joseph Fournier (1815-1889), alors archiviste de la société archéologique de Rambouillet et membre du conseil municipal, décide de doter notre ville du blason dont elle est dépourvue, c’est à la famille d’Angennes qu’il emprunte la moitié de leurs armoiries.
Le blason de Rambouillet est ainsi « Parti à dextre de sable au demi sautoir d’argent, qui est d’Angennes … ».
Christian Rouet
mai 2023
Bonjour Christian,
Merci pour cet article très instructif.
En revanche, d’où tenez-vous que que Jean 1er serait le FRERE de Jean II d’Angennes ? Ne s’agit pas plutôt de son PERE, marié à Jeanne de Courtremblay (en l’occurrence la mère de Jean II) ?
Je ne le tiens … de rien ! C’est naturellement une erreur que je rectifie tout de suite. Je crois d’ailleurs que Jean II était fils unique, compte-tenu du décès précoce de son père.
Bonjour Christian,
Deux petites précisions :
– le premier document portant mention des d’Angennes (Gualterius de Ungena) date de peu avant 1070, et en Français le « premier » Angennes est déjà un Jean d’Angennes qui est en 1280 époux de Marguerite de Vitry …
-nous ne connaissons pas la date de l’achat du fief de Groussay que l’on peut situer entre 1384 et 1399
Dont acte ! Merci de ces précisions