Le Pavillon de Toulouse
Depuis quelques mois, le Pavillon de Toulouse ressemble à s’y méprendre à une oeuvre de Cristo.
Il s’agit d’une copropriété privée, dont les travaux se faisaient attendre, faute d’accord ou de moyens financiers des intéressés.
Ce n’est toutefois pas l’actualité de ce lieu qui m’intéresse aujourd’hui. A l’occasion de ce grand chantier de rénovation, je voudrais plutôt vous rappeler l’histoire de cette portion de la rue de la Motte comprise entre le Carrefour Maillet et la grille du parc qui permet d’accéder à la Bergerie Nationale.
La rue
Au XVIIIème siècle elle est encore tout simplement le « Grand chemin pavé de Paris à Chartres ».
En 1821 elle devient la « rue de l’hôpital » du carrefour de la Providence jusqu’au Carrefour Maillet, prolongée par la « rue des Juifs » jusqu’à la place de l’ancienne église.
Enfin, en 1883, la rue de l’hôpital est rebaptisée « rue de la Motte » en mémoire du maire Félix de la Motte, qui, durant son mandat (1853-1878) a eu la lourde tâche de gérer l’occupation prussienne de 1871.
Quant à la rue des Juifs, un instant « rue Marat » durant la révolution, et « rue de Moskou » sous l’Empire, elle devient «rue de Paris» en 1833, et elle est, depuis 1934, la « rue Raymond Poincaré ».
La partie de rue dont nous parlons aujourd’hui est bâtie côté pair, et elle fait face à la caserne des gardes (anciennement école des enfants de troupe) sur toute sa longueur.
Le n° 2
S’il existe, le numéro 2 correspond, non à un bâtiment, mais au « square des enfants de troupe », pointe du triangle formé par la rue de la Motte avec la rue Maurice Dechy qui monte rejoindre la rue Gambetta.
A moins qu’il ne désigne la stèle apposée à son extrémité, pour se souvenir de Maurice Dechy, résistant français fusillé au Mont Valérien, en représailles à l’exécution du général SS allemand Julius Ritter. Il a également donné son nom à l’ancienne rue du Hasard.
Mais, auparavant, à l’emplacement de ce petit square il y avait deux maisons (marquées a et b sur ce plan cadastral de 1830).
La première (a) disposait à l’origine (avant ce plan) de deux pièces, avec une écurie, et d’une cour avec son puits.
Plusieurs commerces s’y sont succédé, dont notamment, la boucherie Lemée, connue par une carte postale du début du XXème siècle. (détail à droite)
La seconde (b) était la « maison du Dauphin » (sans rapport avec l’auberge du Dauphin de la rue de Gaulle, hier Nelson et aujourd’hui très bien rénovée par l’Epicurien). Maison d’habitation elle consistait en une pièce, avec cour devant, et jardin à côté.
Ces deux maisons ont été démolies en 1970, pour permettre l’agrandissement du Carrefour Maillet.
Les n° 4 et 6
Une troisième maison (c), aujourd’hui la première de la rue, s’appelait la « Pillonerie »
Elle comprenait plusieurs pièces, une cour et un jardin. En 1650, au bout du jardin, son propriétaire Jean Boiste, marchand poudrier, avait installé sa « batterie à poudre ». Précisons que la fabrication de poudre à canon était alors une activité lucrative, car Louis XIV guerroyait beaucoup. Il y avait donc plusieurs ateliers à Rambouillet. Leur sécurité n’était pas parfaite et un tel atelier ne devait pas être un voisinage apprécié pour le château … ou pour un hôpital !
En 1730 la comtesse de Toulouse achète l’ensemble, dont a hérité Madeleine Boiste, et elle fait construire, à la place de la Pillonerie, un bâtiment plus important à usage d’hôpital, appelé Sainte-Marie (ou hôpital de la Charité).
Un accord passé le 14 mars 1731 avec les Filles de la Charité leur en confie la gestion. Je n’ai pas trouvé de détails quant au fonctionnement de ce qui fut ainsi le tout premier hôpital de Rambouillet.
La maison actuelle, qui communique en rez-de-chaussée avec la rue de la Motte, et en étage avec la rue Maurice-Dechy a été construite sur son emplacement, mais il ne s’agit pas de la construction d’origine. Un mur en paliers sépare sa petite cour du square.
Le n° 8
En 1769 le duc de Penthièvre fait construire en (d) rue de la Motte un second hôpital, bien plus important que le premier. Six marches conduisent à une porte monumentale, légèrement en retrait du bâtiment et par elle à un petit jardin qui sépare le nouvel hôpital de l’ancien qui a été conservé.
L’accès au bâtiment se fait ainsi par son pignon droit, qui donne accès à un grand couloir qui le divise en deux dans toute sa longueur.
Au centre de ce bel immeuble de style classique, la chapelle est élevée sur les deux niveaux. Elle est signalée en extérieur par un avant-corps en légère saillie, couronné d’un fronton. On la devine sur la carte postale de droite.
Les grands salles situées de part et d’autre, accueillent chacune six malades masculins. Elles communiquent avec la chapelle pour qu’ils puissent suivre la messe depuis leur lit.
La même disposition se retrouve à l’étage, réservé aux femmes, et une tribune, dans la chapelle, permet aux soeurs de suivre l’office.
Les pièces communes, le réfectoire, les cuisines et les pièces techniques donnent sur le jardin. Les combles servent également au service de l’hôpital.
Derrière et à gauche du bâtiment, les jardins, le potager, un lieu de promenade pour les malades, planté d’arbres (dont le dernier arbre de la liberté référencé à Rambouillet).
Jean Blécon, dans une conférence donnée à l’association PARR en 2007 a présenté ce plan, relevé en 1830 par les bureau des bâtiments de la couronne (photo Ph.Jones).
Chaque malade disposait d’un lit garni d’une paillasse, d’un oreiller, d’un traversin et de deux couvertures, l’une verte et l’autre blanche. Chaque lit disposait de six paires de draps, de taies, de couettes et pouvait s’isoler par des rideaux de serge verte coulissants sur des tringles.
A son arrivée, le malade recevait une chemise, une robe de chambre verte et un bonnet de laine. Il disposait d’une chaise, d’une écuelle, d’une assiette, d’un gobelet et d’une cuillère en étain.
De plus, chacune des chambres était équipée d’une bassinoire, de deux bassins, d’une chaise de commodité, d’un réchaud, de chandeliers…
Le règlement de l’hôpital prévoyait que tous les malades pouvaient être admis, à l’exception des « femmes ou filles de mauvaise vie »(texte de 1731), ou des « galeux, les vénériens et personnes atteintes de maladies incurables »(texte de 1821).
La comtesse de Toulouse finance personnellement le fonctionnement de l’hôpital, et après elle, le duc de Penthièvre poursuit l’oeuvre de sa mère. Lorsqu’il cède son domaine à Louis XVI, il lui demande de conserver à ces bâtiments leur destination charitable, ce que le roi s’engage à faire.
En 1792 les biens du roi sont confisqués par la Révolution, mais la commune prend en charge le fonctionnement de l’hôpital qui peut ainsi continuer son action humanitaire.
A son tour Napoléon s’intéresse à Rambouillet, et il dote l’hôpital d’une rente de 8000 francs en 1808.
Ces financements couvrent les dépenses de fonctionnement, mais ne permettent pas de réaliser les investissements nécessaires. Pendant la guerre de 1870, comme durant celle de 14-18 de nombreux châteaux privés sont réquisitionnés pour accueillir les blessés.
Dès 1925 la construction d’un nouvel hôpital s’impose. Il ouvre en 1933 sur son emplacement actuel.
Le Président Lebrun, venu l’inaugurer a une pensée pour l’ancien hôpital :
« En parcourant à l’instant les divers pavillons du nouvel hôpital (…) je ne pouvais m’empêcher de revoir par la pensée le vieil hôpital qui aligne ses bâtiments étroits et désuets au long de la rue de la Motte, et de lui adresser un adieu comme on le fait communément aux vieilles choses à la veille de disparaître après avoir longtemps vécu dans le commerce des hommes. »
Et racontant la dernière visite qu’il a faite au Pavillon de Toulouse, il ajoute :
« J’ai parcouru ses salles mélancoliques dans l’abandon d’un récent départ, j’ai erré à travers ses pavillons jetés un peu au hasard au penchant du coteau où s’étage la cité, je me suis recueilli au pied de l’arbre de la Liberté… » (le Progrès de Rambouillet, 22 septembre 1933).
L’ancien hôpital est alors mis en vente en six lots. Le bâtiment principal est acquis par M. Versavel qui le transforme en appartements et les revend.
C’est à l’occasion de cette promotion immobilière que la chapelle est détruite, et sa grande baie vitrée remplacée par deux fenêtres. Versavel fait graver là une mention « Pavillon de Toulouse, anno MDCCXXXI » en même temps qu’une seconde «Pavillon de Toulouse érigée en l’an 1731 par la comtesse de Toulouse » au dessus de l’entrée.
Ce bâtiment, construit par le duc de Penthièvre se trouve ainsi attribué à sa mère. Reconnaissons toutefois que s’il n’est pas exact que la comtesse l’a fait construire, elle y a suffisamment contribué financièrement pour mériter cette reconnaissance.
Le n° 10
Cependant la mémoire du duc de Penthièvre n’est pas oubliée dans cette rue, car Rambouillet lui doit d’autres réalisations !
Au delà du Pavillon de Toulouse, existait autrefois un ensemble de bâtiments, avec cour et jardin, dit Saint Antoine. Cette propriété avait, elle aussi, appartenu à un poudrier, avant d’être acquise par le procureur de Rambouillet.
En 1778 le duc de Penthièvre l’achète et il y construit une « manufacture de dentelle et de filasserie » pour y donner du travail à des enfants de Rambouillet.
Ce bâtiment a, par la suite, connu des affectations diverses, avant d’être vendu en appartements, dont, sous l’Empire, celle de manufacture de sucre. J’ai déjà décrit en détail ce bâtiment dans un article, et je vous y en renvoie donc.
C’est ainsi que cet immeuble est connu maintenant sous le nom de Pavillon de Penthièvre.
Le reste de cette rue révèle encore de belles histoires, car nous sommes ici dans une des parties les plus anciennes de la ville. Elles feront l’objet d’autres articles.
Pour le moment, il ne nous reste plus qu’à attendre la fin des travaux, pour redécouvrir le Pavillon de Toulouse rénové.
Christian Rouet
30 avril 2022
Ping : 1933 : un nouvel hôpital pour Rambouillet - le Pays d'Yveline