A propos d'une porte de la rue de Gaulle
Sans doute avez-vous remarqué, au 16 de la rue de Gaulle, cette lourde porte d’immeuble, en fer forgé et verre, de style « années 40 » ?
Il n’y a pas tellement de portes aussi larges dans cette rue qui donne la priorité aux vitrines de magasins.
Oh, elle n’a cependant rien d’exceptionnel, et si je vous en parle aujourd’hui, c’est que je la trouve mentionnée dans des notes que Maître Barbier a rédigées en commentaire d’un article de Mme Champrenault consacré à la rue de Gaulle.
Il s’agit de souvenirs qu’il avait recueillis auprès de madame Berriat, l’une de ses clientes, décédée en 1997.
Est-il besoin de rappeler que Georges Barbier a dirigé pendant longtemps la principale étude notariale de Rambouillet, et qu’il était un grand connaisseur, et un grand amoureux de notre ville ? Ses souvenirs, toujours parfaitement documentés, sont malheureusement trop rares…
Monsieur Guitel s’installe à Rambouillet
En 1870 monsieur Guitel, originaire de Plaisir fonde la première banque de Rambouillet : la Banque Guitel. Il aurait choisi de s’installer à Rambouillet pour pouvoir confier l’éducation de sa fille Marie-Louise à l’école de la Sainte-Enfance qui avait une très bonne réputation.
Marie-Louise épouse ensuite Henri Leblanc, qui s’associe avec son beau-père afin de développer la banque Guitel-Leblanc, puis la dirige seul après la mort de celui-ci.
A son décès, à 94 ans, Henri Leblanc laisse trois héritiers. Mais son fils aîné est tué à la guerre de 14-18, et son cadet, qui en revient gazé ne lui survit pas longtemps.
Il ne reste donc bientôt que leur fille Blanche.
Blanche Leblanc
Blanche serait née à Dourdan le 25 février 1892, mais son père choisit de déclarer sa naissance au 9 rue de l’Embarcadère (rue Chasles) à Rambouillet où il exerçait son activité de banquier en rez-de-chaussée, et occupait un appartement au premier étage.
« Ils habitaient alors au premier étage de cet immeuble occupé actuellement en totalité par la BNP. A côté, s’était installé un marchand de bois qui avait fait construire des bâtiments qui devaient être les premières grosses constructions dans cette rue » nous précise Me Barbier.
A son tour Blanche est élève à l’école de la Sainte-Enfance. Le 5 septembre 1924 elle épouse Maurice Berriat.
Ce mariage l’éloigne de Rambouillet, car son mari est nommé notaire à Groy-la-Jolie (Franche-Comté).
Elle cède alors la banque Guitel-Leblanc à la BNCI (qui devient ensuite BNP).
Notons que le village de Groy-la-Folie était situé sur la ligne de démarcation et que, en 1940, Madame Berriat, en raison de sa belle conduite face à l’occupant, recevra la médaille de la Reconnaissance Française.
Me Berriat fut Président de la Chambre des Notaires de 1939 à 1943, puis Président du Conseil Régional et Juge de Paix suppléant. Il était également président de l’Automobile-Club de la Haute-Saône.
Il décède peu après la Libération.
A la suite du décès de son mari, madame Berriat choisit de revenir vivre à Rambouillet. Elle y achète un appartement au 14 rue du général de Gaulle (à l’époque le n°16), dans un ensemble immobilier où se trouvaient deux hôtels mitoyens, l’hôtel Saint-Hubert et l’Hôtel de la Croix Blanche, et qu’un promoteur est en train de transformer en logements.
Sur ses conseils, ses amis Cathala achètent un second appartement dans cette même promotion.
« Le Docteur Cathala était poète à ses heures… Une de ses oeuvres fut interprétée au théâtre de l’Odéon le 13 mai 1928. Il avait écrit un très beau poème sur le Château. Son épouse était la nièce de M. Lorin, avoué et historien de Rambouillet. » (G.Barbier)
Le promoteur voulut remercier Mme Berriat de lui avoir trouvé un client, et celle-ci, refusant toute commission, lui demanda de remplacer la porte en bois de l’immeuble, qui ne lui plaisait guère, par une porte moderne.
C’est celle qui existe toujours aujourd’hui.
Et je redonne la parole à Me Barbier pour quelques souvenirs :
« Madame Berriat se plaisait à raconter son enfance particulièrement agréable à Rambouillet. Les familles se recevaient beaucoup et les jeunes se réunissaient très souvent : tennis sur un court à côté de la gare (aujourd’hui Résidence des Yvelines), promenades à bicyclette dans la forêt; on jouait aux cartes : la coinchée et le bridge dont c’étaient les débuts.
On dansait beaucoup au son d’un phonographe à ressort avec grand pavillon ou encore d’un piano qu’on n’hésitait pas à déménager pour la circonstance : la valse et le tango étaient à la mode. Et, lors de ma visite pour son centenaire, évoquant à nouveau ses souvenirs, elle ne put s’empêcher de fredonner : « Le plus beau de tous les tangos du monde, c’est celui que j’ai dansé dans vos bras… »
Enfin, quand les canaux étaient gelés, ce qui était très fréquent à l’époque, il y avait les parties de patinage sur la glace. Et avec quelle élégance !… »
Madame Berriat est décédée le 29 avril 1997, à l’âge de 105 ans, emportant ses souvenirs de la vie agréable qui était celle de Rambouillet à son époque – du moins pour ceux qui disposaient d’un certain revenu.
Christian Rouet
15 octobre 2021
Version PDF
Mode lecture
Après ma publication, le réseau FaceBook a réagi :
Anne Caenic a rappellé que l’on voit Chantal Nobel, l’héroïne du film Chateauvallon, tourné en 1985 dans les rues de Rambouillet pousser cette porte.
Et Fabrice Spaëth a retrouvé, et mis en ligne l’extrait en question, dont j’extrais cette image.
Merci à tous deux.
Je rappelle que la société TELFRANCE était basée au Perray-en-Yvelines, et qu’elle a produit de nombreuses séries, comme celle-ci, dans la région de Rambouillet
J’ai lu ceci avec grand intérêt d’autant que mon père le peintre André Dutruel y avait son atelier de peintre. Il y vécu avec ma mère jusqu’à son décès . Il y recevait Gustave Hervigo et sa femme, et tous deux partaient peindre ensemble dans la région. Je possède toujours cet atelier où j’ai passé de si heureux moments …
Bien cordialement
Annie Christy
J’adore vos histoires… comprendre comment vivaient les gens, les anecdotes et les vieilles photos. Comment faites vous vos recherches/pour trouver toutes ces infos?
Merci pour cet article.
Cette porte est très belle. Le ferronnier (ou l’architecte) qui l’a dessinée était encore fortement influencé par la période Art Déco ; elle en a toutes les caractéristiques, l’élégance, les lignes simple, épurées et sobres qui laissent pénétrer la lumière dans l’entrée de l’immeuble.
Je serais curieux d’en connaitre l’auteur.