La propriété Roche à Rambouillet

Je voudrais évoquer ici une propriété que « les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître », comme l’aurait chanté Aznavour… Sa destruction, en 1982 avait défrayé la chronique, et mobilisé en vain l’association S.A.V.R.E (sauvegarde architecturale du vieux Rambouillet et de son environnement) dans sa volonté de préserver le patrimoine ancien de Rambouillet.

La famille Roche

C’était une vieille famille bourgeoise de Rambouillet, qui avait construit, dans la seconde moitié du XIXème siècle une maison de maître, au centre d’un superbe terrain, qui allait de la rue Chasles aux terrains du Grand Veneur.

photo 1980 Géoportail

Eugène Roche était grainetier, avec un magasin rue Nationale (rue du Gal de Gaulle).

René Roche, son fils, né le 14 novembre 1887, est mort le 29 octobre 1971. Il n’avait pas d’enfants. Docteur en droit, cultivé, parlant plusieurs langues, il aurait pu accéder à bien des fonctions, et notamment s’installer comme notaire à Rambouillet.

Il avait préféré rester jusqu’à sa retraite clerc dans l’étude de Me Poupard, le prédécesseur de Me Barbier, et prendre le temps de profiter de ses loisirs favoris : musique, lecture, promenades en forêt…

cliché Daniel Czerniejewski

Son frère ainé, qu’il avait chéri, étant sourd et muet, avait été confié à une institution spécialisée. Son décès l’avait particulièrement attristé, comme l’avait désespéré le décès de sa mère, en mémoire de qui il s’était toujours interdit de changer l’aménagement intérieur de sa grande maison.
Au reste, trouvant cette maison trop grande pour lui, il avait renoncé à l’occuper, préférant vivre… avec son cheval, dans l’une des dépendances.

Dans les années 1960, les Rambolitains étaient habitués à voir ce vieux monsieur traverser Rambouillet avec sa monture, et le considéraient comme un original sympathique…

La propriété Roche

A son décès, René Roche, qui n’a pas d’héritiers directs, lègue à la ville de Rambouillet les terrains qu’il tient de sa famille, rue Raymond Patenôtre, pour qu’ils deviennent des jardins ouvriers. Quant à sa propriété de la rue Chasles, il en fait don à la Fondation des sourds-muets, en remerciement des soins qu’elle avait donnés à son frère.

la propriété à l’abandon . Photo Echo Républicain mai 1982

La Fondation accepte le don… mais n’a pas l’usage de cette propriété, dont les bâtiments se dégradent et ont bientôt besoin d’une rénovation coûteuse.

La ville propose donc de la leur racheter, mais la négociation n’aboutit pas, sans doute faute d’un projet précis de la part de la ville (ou d’une mésentente sur le prix )?

Les années passent donc, et les vieux Rambolitains n’ont sans doute pas oublié la grille qui bordait la propriété, rue Chasles, et à travers de laquelle on distinguait la maison de maître, dont l’état se délabrait.

J’ai un doute : une agence immobilière (l’agence Bleue) au n°4 et l’entreprise de peinture R.Chambrin, au n°6 louaient-elles une partie des dépendances, avec des baux qui s’étaient poursuivis après le décès de M Roche ? Je le crois, mais il est possible qu’elles étaient dans l’immeuble mitoyen.

La promotion immobilière

En janvier 1982, la Fondation signe une promesse de vente de l’ensemble de la propriété à un promoteur, qui souhaite construire, en bordure de rue, un immeuble en alignement comprenant logements en étages et commerces en rez-de-chaussée.

Or la ville a pris un arrêté d’utilité publique qui doit être levé pour que cette vente puisse être régularisée. C’est donc une négociation qui s’engage en mai 1982, entre la ville et le promoteur. Ce dernier propose de donner à la ville 800m2 de bâtiment en l’état brut, en échange des autorisations nécessaires.

La SAVRE s’insurge. Plutôt que le bâtiment proposé, à l’arrière de l’immeuble, et donnant sur un parking sans charme, la ville ne devrait-elle pas plutôt récupérer l’ancienne maison, dont le maintien n’empêcherait pas le projet immobilier de se réaliser vu la surface du terrain ? En effectuant les travaux de rénovation nécessaire, elle conserverait ainsi dans son patrimoine une très belle construction du siècle précédent.

mai 1982 L’Echo Republicain

Sous le titre « la SAVRE s’en va-t-en guerre » dans « l’Echo Républicain » du 29 mai 1982, ou bien encore « La propriété Roche : la SAVRE « pas d’accord » demande l’avis des Rambolitains » dans « Toutes les Nouvelles » de mai, la présidente de la SAVRE, Mme Champrenault, tente, en vain, de modifier les termes d’un accord qui convient parfaitement à la Fondation, qui touche ainsi un beau capital, au promoteur qui construit sur un emplacement de premier choix, et à la ville qui souhaite y ouvrir une extension de sa bibliothèque. 

« Un promoteur n’est pas un philanthrope, mais qu’il sache bien que détruire pour reconstruire coûte très cher. Il y a aussi une autre valeur que la valeur d’argent à considérer : c’est la responsabilité morale qu’il encourt aux yeux de toute la population. Et cela devrait lui donner à réfléchir » écrit Mme Champrenault.

Ceci a-t-il fait réfléchir le promoteur ? L’histoire ne dit pas s’il a, ou non, éprouvé quelques regrets, mais le permis de construire déposé le 15 juillet 1982 est accepté dans les délais les plus courts et les travaux, menés par l’entreprise IOB, commencent début 1983. Bientôt, un nouvel immeuble est proposé à la vente, avec au centre un passage qui conduit à l’arrière –qui abritera, non la bibliothèque, mais un centre de formation de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Versailles– des locaux commerciaux en rez-de-chaussée sur rue et dans le passage (dont aujourd’hui l’excellente librairie Labyrinthe de Jean Milleberg), et des logements sur deux et trois niveaux.

Geoportail 2023

Il me semble que la résidence aurait mérité le nom de résidence René Roche, non ?

Accessoirement, cette « campagne de résistance » menée par la SAVRE nous rappelle le rôle joué par cette association, dans la défense du patrimoine urbain.

Dans ce cas précis, cette propriété aurait-elle mérité d’être sauvegardée ? A dire vrai, son intérêt était assez limité, et la construction rue Chasles d’un immeuble de commerces et logements répondait davantage aux besoins de la ville.

l’immeuble actuel

Mais n’était-il pas souhaitable qu’une association indépendante puisse ainsi donner son avis de façon tout à fait indépendante, chaque fois que le patrimoine de Rambouillet risquerait d’être  sacrifié au développement de la ville ?

A la disparition de la SAVRE, une nouvelle association PARR (patrimoine et avenir de Rambouillet et de sa région) a poursuivi durant plusieurs années cette mission de « lanceur d’alerte ». Il semble cependant que sa priorité soit devenue depuis, l’information de ses membres et l’organisation de loisirs culturels.

Christian Rouet
juillet 2024

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