Peter Townsend

Dans le petit cimetière de Saint-Léger-en-Yvelines, je découvre la stèle de Peter Townsend. J’avais oublié qu’il était enterré ici.

Il me revient aussitôt des souvenirs d’une époque où j’étais pourtant bien jeune. Ses amours contrariés avaient dû passionner très au delà des lecteurs de la presse à sensation. Qui s’en souvient aujourd’hui ? Je vérifie auprès de ma fille :

– « Tu connais Peter Townsend ? »
– « Qui ? Jamais entendu parler ! »

Tant pis ! Parce que j’essaye d’aborder chaque semaine un sujet différent, en rapport avec le pays d’Yveline, en suivant mes propres inspirations, et non les indices de popularité, je vous invite à rencontrer aujourd’hui une personnalité discrète qui a choisi de vivre dans notre région.

La bataille d’Angleterre

Je confesse –et j’assume sans complexe– appartenir à une génération que le Père Noël gâtait en offrant des poupées aux petites filles et des soldats de plomb aux petits garçons, sans imaginer que cela conditionnerait leurs futurs comportements sociaux.

Mes armées françaises ont donc combattu sans relâche celles de la perfide Albion, et si d’Artagnan arrivait trop tard pour éteindre le bûcher de Jeanne d’Arc, c’est uniquement par souci de la réalité historique.

Cependant, pour moi, les héros de la seconde guerre mondiale étaient sans conteste les pilotes de la RAF.

Spitfire contre Stuka, Hurricane contre V2 ces pilotes ont livré durant la bataille d’Angleterre une guerre sans merci, et en se rendant maîtres du ciel ils ont inversé le cours de l’Histoire.

Cela leur a valu la reconnaissance de leur pays, l’admiration des hommes et l’amour des femmes.

Peter Townsend

Peter Towsend
Peter Townsend

Parmi eux, Peter Wooldridge Townsend, entré en 1933 à la Royal Air Force, combat durant toute la guerre. Il est crédité de onze victoires authentifiées (dont celle du premier bombardier ennemi abattu) et de deux probables. Il reçoit entre autres décorations l’Ordre royal de Victoria, l’Ordre du Service distingué et le Distinguished Flying Cross : les plus hautes distinctions militaires du Royaume-Uni.

Et ce qui ne gâte rien : il est particulièrement séduisant !

La presse anglaise lui consacre de nombreux articles, louant son courage, son sens de l’honneur et ses qualités de gentleman. Un article affirme qu’apprenant qu’un membre d’équipage d’un avion qu’il a lui-même abattu a été recueilli dans un hôpital anglais, il lui rend visite pour le réconforter (et il le retrouvera en Allemagne après la guerre).

Peter Townsend se marie le 17 juillet 1941 avec Cecil Rosemary Pawle. Ils ont deux fils : Gilles en 1942, et Hugo en 1945.

A la Libération il occupe la charge honorifique d’écuyer du roi Georges V. A ce titre il est principalement chargé d’accompagner ses deux filles, Elisabeth et Margaret au théâtre, dans les cocktails, ou leurs promenades à cheval…

En 1952 le couple Townsend divorce (aux torts de l’épouse qui assume une liaison publique). L’année suivante le roi décède et sa fille aînée, Elisabeth, lui succède.

La reine, devenue reine-mère au décès de son époux, s’installe avec sa fille cadette Margaret à Clarence House, et Peter Townsend les accompagne, restant le chevalier servant de la princesse Margaret, qui a maintenant vingt-deux ans.

Un amour contrarié

Après huit ans de contacts réguliers, et de partage des mêmes passions (notamment pour le cheval), Peter et Margaret tombent amoureux, pour le plus grand plaisir de la presse de coeur britannique. En avril 1953 il lui propose de l’épouser.

Cependant on n’épouse pas facilement la soeur d’une reine, troisième dans l’ordre de succession au trône, quand on est roturier, même héros de guerre. Et surtout, l’Eglise anglicane (dont la reine est le chef) ne reconnaît pas le divorce.

Pour épouser Peter les règles de la cour d’Angleterre exigent que Margaret attende d’avoir 25 ans, qu’elle renonce à son titre royal et à sa liste civile, et qu’elle obtienne l’autorisation du gouvernement. On se souvient que l’oncle d’Elisabeth et de Margaret, couronné sous le nom d’Edouard VIII en 1936, placé devant le même dilemme avait renoncé au trône pour épouser une américaine divorcée. Margaret fera-t-elle le même choix ?

Afin d’éloigner Peter de la cour, on l’envoie à Bruxelles comme attaché d’ambassade. Le public reste passionné par leur romance qui se poursuit à distance. Mais finalement, Margaret, annonce publiquement sa rupture avec Peter en raison de « ses devoirs envers son pays ».

Peter Townsend restera toute sa vie très discret sur cet amour contrarié. Dans une biographie parue en 1978, il reconnaîtra seulement qu’il ne faisait « tout simplement pas le poids pour compenser ce qu’elle aurait perdu en l’épousant : son prestige, son titre, sa fortune ».

On sait que Margaret épousera en 1960 Antony Armstrong-Jones, photographe de métier, anobli et titré à cette occasion comte de Snowdon. Leur divorce en 1978 (premier divorce royal depuis celui d’Henri VIII en 1540 !) s’inscrira à la suite de nombreux récits d’adultère, de drogue, de tabagisme et d’alcoolisme qui feront le bonheur des tabloïdes anglais, et feront dire à certains que, finalement, Peter a eu bien de la chance de ne pouvoir épouser Margaret !

Oublier…

En 1956, très affecté par cette rupture, et désirant fuir le harcèlement des médias, Peter Townsend entreprend un tour du monde. Il en revient « avec le plus gros passeport du monde » et en tire un film « Passeport pour la vie » et un livre « Terre mon amie ». 

Il est intéressant de noter qu’à la différence de tous les voyageurs qui, aujourd’hui, parcourent le monde pour redécouvrir la nature, lui s’enrichit principalement du contact avec les hommes. Il raconte notamment dans ce livre une rencontre avec des lépreux de Birmanie, qui l’a beaucoup marqué.

En 1959, à Bruxelles, Peter épouse Marie-Luce Jamagne, fille de commerçants belges catholiques de Brasschaat, avec qui il a trois enfants : Marie-Françoise, Pierre et Isabelle.

Il se recycle un temps dans la vente de vins français aux Etats-Unis, puis se consacre uniquement à des activités littéraires.

Saint-Léger-en-Yvelines

Quittant la Belgique, les Townsend s’installent d’abord à Levis-Saint-Nom, puis, en 1969 ils succombent au charme de Saint-Léger qu’ils ont découvert, au hasard de leurs promenades. Sur un coup de coeur, ils achètent aux Grands Coins « la Mare aux oiseaux », une ferme à moitié en ruines, qu’ils mettront des années à remettre en état.

les Townsend à Saint-Léger

Peter continue à écrire articles et livres, et contribue à la réalisation de films ou d’ouvrages sur la bataille d’Angleterre. Il se dévoue à des oeuvres caritatives, à l’enfance malheureuse, aux problèmes du tiers-monde. En 1988 il met en vente ses décorations pour offrir le montant des enchères à une association pour enfants déshérités.

Son personnage est joué, dans la série TV The Crown, par l’acteur Thimothy Dalton.

Il décède, vingt six ans après son installation à Saint-Léger, le 19 juin 1995. A son enterrement son cercueil est recouvert de l’Union Jack et du drapeau de la Royal Air Force. La reine-mère ainsi que la reine Elisabeth se font représenter personnellement aux obsèques. La princesse Margaret envoie à sa veuve un message de condoléance.

Conformément à son souhait il est inhumé dans le cimetière de Saint-Léger, avec le seul rappel de son passé de pilote : « Royal Air Force – 85th Squadron ».

De nombreux Légeois gardent de lui le souvenir d’un parfait gentleman, doux et charmant, d’une grande modestie.

En soixante-dix ans …

On a du mal à imaginer l’intérêt soulevé à l’époque par cette passion contrariée. Cependant, ce qui est le plus impressionnant dans la relecture des nombreux articles parus sur les amours de Peter et Margaret, c’est de réaliser les changements profonds que nous avons connus depuis cette époque.

  • La presse « à scandale » existait déjà. En France elle était représentée par Ici Paris et France Dimanche, crées en 1946, Noir et blanc publié entre 1950 et 1960, Radar entre 1950 et 1970, et Jours de France, créé en 1954, qui traitait de l’actualité mondaine de façon un peu moins « populaire ». Aujourd’hui Gala, Voici, Closer se partagent un marché que Paris Match ne dédaigne pas d’exploiter. Mais s’y ajoutent des émissions de radio ou de TV (dont Hanouna n’est que l’un des nombreux acteurs) sans parler des réseaux sociaux où le pire submerge le meilleur.
  • Même cette presse se fixait des limites, qui ont largement disparu depuis pour mieux racoler un public friand de détails. Aucun article de l’époque, par exemple, ne dit clairement si les deux personnages de cette aventure étaient amants : lorsque le terme est employé, on peut comprendre qu’il est pris au sens ancien du terme. Quelques années plus tard les lecteurs auront les détails les plus indiscrets sur les aventures des membres de la famille royale.
  • Bien sûr, les règles de la cour britannique ont été profondément modifiées : épouser un divorcé aurait coûté à Margaret son rang et ses privilèges, comme il avait coûté son trône à Edouard VIII… Aujourd’hui Charles III a pu épouser en seconde noce une femme divorcée, avec qui il entretenait une liaison depuis des années, et lui offrir sa couronne.
  • Le statut de « victime » a profondément changé. Certaines de celles qui, pendant longtemps, tentaient d’échapper aux paparazzis souhaitent faire aujourd’hui la Une des médias. Clichés volés et clichés vendus par tel artiste ou telle princesse en mal de publicité se confondent pour satisfaire notre curiosité malsaine.
  • Aujourd’hui des millions de messages de sympathie, d’amour, ou de haine seraient envoyés par les réseaux sociaux. Sans compter les témoignages spontanés de toutes celles et ceux qui viendraient évoquer la conduite inconvenante de l’un ou de l’autre, un harcèlement physique ou moral survenu vingt ans avant etc.
  • Et enfin, si la discrétion de Peter Townsend force notre respect, c’est bien parce qu’aujourd’hui, au lieu de partir faire un tour du monde, et de publier un livre sur son seul périple, un Townsend de 2025 aurait immédiatement vendu ses souvenirs et publié un « Margaret et moi », « La vérité cachée » ou même un « Au lit avec une princesse ».

Chacun apportera sa réponse à la question : notre société a-t-elle évolué sous l’influence des médias, ou nos médias ont-ils évolué pour répondre à la transformation de notre société ?

le chat de Geluck et la presse

Christian Rouet
février 2025

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