L'occupation prussienne 1870-1871
La plupart des guerres ont leur origine dans la guerre précédente que le vainqueur n’a pas su conclure en accordant un minimum de respect au vaincu.
Sans en chercher des exemples dans notre triste actualité, rappelons que la guerre franco-prussienne de 1870 est la conséquence directe de la défaite de Iena (« sans Iena pas de Sédan » déclare Bismarck en 1871), et qu’à son tour la défaite de 1870 nourrira notre soif de revanche qui conduira à la guerre de 14-18 ( dont la défaite allemande portera Hitler au pouvoir …) etc…
A la suite de la guerre franco-prussienne (ou franco-allemande), Rambouillet s’est trouvée occupée de septembre 1870 à février 1871, et c’est de cette période que nous allons nous souvenir ici.
La guerre de 1870
En 1866 la Prusse veut réaliser l’union des états Prussiens autour d’elle, et elle entre en guerre contre l’Autriche qui poursuit le même objectif. Elle l’emporte le 3 juillet 1866, lors de la bataille de Sadowa, et constitue une confédération de 22 états (complétée par des accords secrets avec 4 états du sud).
Inquiet de l’importance que prend ainsi la Prusse, Napoléon III lui déclare la guerre le 19 juillet 1870, avec une armée moitié moins importante, et bien moins préparée. En quelques mois l’armée française est défaite, et le 2 septembre 1870, encerclé à Sedan, l’empereur capitule.
Cette capitulation entraîne la chute du régime, et la proclamation de la IIIème république. Le 19 septembre Paris est encerclé. Tous nos livres d’histoire évoquent le départ de Gambetta en ballon pour Tours, où le gouvernement provisoire décide de poursuivre le combat. Quatre armées luttent sur la Loire, en Bourgogne, dans le Nord et l’Est mais elles sont incapables d’arrêter l’armée prussienne.
Le 20 janvier 1871 le gouvernement demande l’armistice qu’il avait refusé en septembre à Ferrières. Il est signé le 26.
La déception face à la défaite et l’hostilité vis-à-vis de l’Assemblée récemment élue, à majorité monarchiste, renforcent un climat d’agitation, à Paris, au sein de la Garde Nationale et des milieux populaires. Une insurrection éclate à Montmartre, le 18 mars 1871, quand des troupes régulières essayent, sur ordre du gouvernement, de saisir les canons de la Garde Nationale. Les députés se replient à Versailles, tandis qu’une autorité insurrectionnelle se met en place à Paris : la Commune.
Ceci n’empêche pas les négociations de se poursuivre. Un projet de traité de paix, ratifié par l’assemblée nationale le 1er mars, et signé le 10 mai 1871 à Francfort-sur-le-Main, consacre définitivement la victoire allemande.
Et c’est en spectateurs que les Prussiens, qui encerclent Paris, assistent à l’écrasement des communards par les troupes gouvernementales, lors de la « Semaine sanglante » (21-28 mai).
Le traité de Francfort
Par le traité de Francfort, la France perd l’Alsace et la Lorraine, et elle doit s’acquitter d’une indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or. Elle a également à sa charge l’hébergement des troupes allemandes jusqu’à l’évacuation complète du territoire.
Le paiement d’au moins un milliard de francs doit être effectué dans le courant de l’année 1871. Pour le reste, un délai de trois ans lui est accordé.
En fait, et malgré l’énormité de la somme, la France s’acquitte de sa dette avec près d’un an d’avance, obtenant ainsi l’évacuation totale des dernières troupes allemandes dès juillet 1873.
La carte ci-dessus donne le détail des évacuations qui ont suivi le calendrier des paiements : une première zone sud (en rouge) a été évacuée dès la signature du traité de mai 1871.
Une seconde zone, en bleu, a été évacuée en deux temps, fin juillet 1871, et en octobre 1871.
En juillet 1873, les premiers départements de l’Est ont été évacués, suivis peu après de la Meuse et de la Meurthe-et-Moselle (en jaune).
Dans les faits, l’évacuation de Rambouillet a cependant eu lieu dès le 15 mars 1871.
L’occupation de Rambouillet
En août 1870 les cadres du 4ème bataillon de mobiles de Seine-et-Oise s’étaient installés à Rambouillet, pour préparer la défense de Paris. Une compagnie de francs-tireurs avait été formée à Auffargis. Cependant il n’y avait pas eu de combats à Rambouillet, et les Prussiens avaient occupé la ville sans combat, dès le 21 septembre 1870.
Les institutions
Rambouillet compte alors environ 4000 habitants (cependant, beaucoup ont fui la ville à l’arrivée de l’ennemi, sans que l’on puisse en donner le nombre).
Le maire est Félix de la Motte, élu pour la première fois le 28 août 1853. Des élections municipales auraient dû avoir lieu le 23 septembre 1870, mais elles sont annulées en raison de la guerre, et le conseil municipal reste en fonction jusqu’au 20 janvier 1878, investi de la lourde tâche de gérer l’occupation.
Jusqu’à la signature de l’armistice (26 janvier 1871) une majorité de fonctionnaires des départements occupés, de même que les employés des postes et les cheminots (sous statut privé à l’époque) refusent de servir les occupants. Les Prussiens sont donc obligés de mettre en place leur propre administration : le grand-duc de Mecklembourg est nommé gouverneur général des départements occupés (dont la Seine-et-Oise) et de Brauchitsch est nommé préfet.
La municipalité de Rambouillet ne reconnaît pas les autorités prussiennes, et refuse toute forme de coopération, mais en même temps elle ne peut pas s’opposer au droit du vainqueur, et elle ne veut pas exposer ses habitants à des sanctions.
Par ailleurs il ne lui est plus possible de percevoir les impôts locaux (trop d’habitants ont fui sans que les rôles puissent être actualisés) pour acquitter ses contributions et toutes les charges qui lui sont imposées par l’occupant, en plus de ses dépenses habituelles.
Elle procède donc par émission d’emprunt chaque fois qu’il lui faut trouver des disponibilités.
L’administration prussienne organise et paye elle-même la pension des troupes qu’elle laisse en résidence (utilisant la contribution qu’elle impose à la ville), et Rambouillet doit assurer en outre la nourriture et le logement de toutes les troupes de passage.
Pour remplacer les services rambolitains interrompus, les Prussiens mettent en place un service postal et un bureau télégraphique. Sur la ligne Paris-Chartres, ils établissent un fil télégraphique, et des transports au moyen de quelques wagons trainés par des chevaux réquisitionnés.
Tandis que le tribunal de Rambouillet cesse toutes ses audiences, tant pénales que commerciales ou civiles, des fonctionnaires prussiens prennent en main, tant bien que mal, la justice et la police.
Après janvier 1871, une fois arrêtées les dispositions de l’armistice, la situation se normalise un peu. Les employés et fonctionnaires français reprennent leur poste. Un service postal est mis en place à la gare de Rambouillet (pour des lettres qui doivent être expédiées, ouvertes). Des trains circulent à nouveau, pour les voyageurs munis d’un laissez-passer délivré par la mairie.
De nombreux Rambolitains regagnent alors leur foyer.
Des pertes humaines
Rambouillet ayant été épargnée par les combats, les pertes humaines dues à l’occupation sont très limitées.
Un seul fait de résistance armée est rapporté. Le 25 septembre, sur la route du Perray à Saint-Léger, des cuirassiers prussiens sont attaqués par des francs-tireurs. Deux soldats sont tués, et un blessé n’est pas retrouvé. Pour échapper aux représailles dont ils sont menacés, les Rambolitains le recherchent, et peuvent le ramener à son camp : il avait été amené à Houdan par les habitants de Saint-Léger pour y être soigné. La responsabilité de Rambouillet n’est pas retenue, mais une expédition punitive est menée contre Poigny où deux habitants sont tués, et contre Saint-Léger où le maire est pendu par son écharpe (elle se casse, lui sauvant la vie). Seize otages sont emmenés, dont 2 sont tués en essayant de s’enfuir. Le curé de Poigny obtient finalement la grâce des autres.
Le 1er octobre, Jules Robillard, un journalier de Groussay de 43 ans, est fusillé à Rambouillet. Mais il ne s’agit pas d’un acte de résistance : en état d’ivresse, il se querellait avec sa femme, devant chez lui, lorsque des badauds se sont approchés. Robillard s’est alors saisi d’une faux pour les menacer et a blessé légèrement l’un d’eux à la main, probablement sans même voir qu’il s’agissait d’un soldat prussien. Outre sa condamnation à mort, une amende de 3000 francs à payer dans les trois heures, sous peine d’arrestation immédiate du maire, est infligée à la ville. Une collecte permet de réunir cette somme.
Les archives de Rambouillet signalent également qu’un jeune homme de 19 ans, nommé Sergent, a été fusillé le 2 octobre, ainsi qu’un franc-tireur nommé Bessé fusillé également le 3 octobre. Je n’ai pas trouvé d’explications quant à ces deux exécutions.
Pas très loin de Rambouillet, mais sans conséquences pour la ville, il faut également signaler une attaque, connue sous le nom de « surprise d’Ablis ». Le 8 octobre un groupe de francs-tireurs attaque les troupes stationnées à Ablis. En représailles les Prussiens brûlent 120 maisons, fusillent 6 habitants et emmènent 22 otages à leur QG du Mesnil-Saint-Denis, puis acceptent finalement de les relâcher.
Pour ne pas exposer la population à de telles représailles, il n’y aura plus d’attaques de ce genre.
Le coût financier
Jules Maillard, dans son « Histoire de Rambouillet » évalue à 3.5 millions le montant des réquisitions et contributions supportées par l’arrondissement de Rambouillet, auxquels s’ajouteraient 2 millions en dévastations subies durant cette occupation. Il s’agit là d’une estimation qui ne semble pas avoir été démentie, mais dont une partie seulement peut être vérifiée.
En effet, sont connus avec exactitude les montants qui sont réclamés par les autorités occupantes :
- des amendes : le 25 septembre 3000 francs pour « l’attaque » commise par Robillard, le 29 septembre 3000 francs pour non respect des ordres de réquisition…
- des contributions : elles sont fixées dès octobre 1870, à 7 167 francs par mois.
- les indemnités prévues par le traité de paix : le 20 février Rambouillet se voit réclamer une somme de 163 000 francs, pour le compte du canton, dont 56 000 francs pour la ville elle-même(quote-part du montant de 10 millions imposé à la Seine-et-Oise) avec une pénalité de 500 francs par jour de retard.
Après de laborieuses négociations, les Prussiens acceptent de se contenter de 91 047,60 francs en premier acompte.
Pour faire face à ces paiements, la ville émet auprès de ses habitants un emprunt de 20 000 francs à 6% le 26 octobre, et un second de 80 000 francs le 27 novembre (qui n’est souscrit qu’à hauteur de 67 000 francs), enfin elle lance un troisième emprunt de 12 000 francs à 5% le 23 février.
Cependant la ville doit en outre supporter des charges importantes, mais difficiles à évaluer avec précision : la réquisition de ses stocks de fourrage, de bétail, vaches, moutons… et autres produits. Elle doit surtout accueillir à ses frais les troupes de passage, leur fournissant gîte et couvert.
Or ces troupes sont nombreuses, compte-tenu de l’emplacement de Rambouillet, sur la route de Paris ! On relève ainsi dans les archives de la ville les passages suivants :
- -du 23 au 26 septembre : deux escadrons de cuirassiers blancs, casernés au Grand-Quartier.
- -29 septembre : deux escadrons de hussards et 850 hommes d’infanterie bavaroise. Ils devaient être hébergés chez l’habitant, mais finalement les soldats sont regroupés dans les communs du château, et les officiers sont logés à l’auberge de la Gerbe d’Or.
- -15 octobre : une colonne de 10 000 hommes ne séjourne qu’une seule journée, mais le coût de ce séjour est estimé à 10 000 francs.
- -4 décembre : cette fois ce sont 1 600 prisonniers français qu’il faut accueillir (avec beaucoup d’amitié, comme on peut l’imaginer !).
- -le 21 décembre : 80 blessés arrivent par le train et restent jusqu’au 23 janvier. Une ambulance de 400 lits s’installe peu après dans le château et les locaux de la Sainte-Enfance avec ses blessés et son personnel.
- -du 10 au 14 février, 6 000 soldats séjournent chez l’habitant.
Par ailleurs, il faut rappeler que la circulation n’a jamais été coupée entre la France occupée, et le sud du pays, la police et l’armée prussiennes n’ayant pas les moyens de contrôler les accès. Le transport de ravitaillement a donc pu se poursuivre, sinon normalement, du moins suffisamment pour éviter une pénurie alimentaire générale, comme le pays en connaîtra lors des deux guerres mondiales.
Les privations ont cependant causé une surmortalité due aux épidémies de typhoïde et de dysenterie dans la France occupée.
Pour information : l’état civil de Rambouillet a enregistré 102 décès en 1869, 151 en 1870, 163 en 1871, 129 en 1872 et 111 en 1873. Il faudrait analyser ces chiffres, qui mettent en évidence l’effet direct et indirect de la guerre, mais c’est une analyse que je n’ai pas faite.
La fin de l’occupation
Le 3 mars Félix de la Motte annonce la ratification par l’Assemblée du projet de traité de paix, qui sera signé officiellement le 10 mai : la fin de l’occupation est donc en vue. Il écrit fièrement :
« Permettez-moi de vous féliciter pour l’attitude prudente et digne que vous avez montrée pendant les six mois de dures épreuves que nous venons de traverser; vous avez été admirables de patience et de résignation; votre énergie a souvent ranimé mon courage et renouvelé mes forces qui s’épuisaient. Je vous remercie du plus profond de mon cœur des marques de sympathie que vous m’avez témoignées. Quant à moi, fidèle à des traditions de famille, dont quelques-uns d’entre vous ont conservé le souvenir, je n’ai fait que mon devoir, rien que mon devoir.»
Le 9 mars, les dernières troupes quittent la ville, à l’exception de l’ambulance qui reste encore quelques semaines.
Et le Progrès de Rambouillet du 16 mars 1871, dans son premier numéro à reparaître à Rambouillet, après l’occupation, fustigeant les habitants qui avaient fui la ville, peut écrire :
« Rambouillet a été évacué hier mercredi par les troupes prussiennes qui l’occupaient depuis six mois; aussi nos dernier émigrés s’empressent-ils de rentrer dans nos foyers, que bien des motifs leur feront certainement regretter d’avoir quittés. »*
Le 29 janvier 1878, Charles Voirin est élu maire en remplacement de Félix de la Motte. Pour se souvenir du rôle important que ce dernier a joué durant cette occupation, la ville donne le nom de rue de la Motte à l’ancienne « rue de l’hôpital », lors de son décès, en 1883.
Christian Rouet
19 mars 2022
* De nombreux articles de la presse nationale ou régionale reprochent ainsi leur départ à ceux qui ont fui devant l’ennemi.
Lire, par exemple, dans le Journal de Versailles du 16 mars, ce paragraphe d’une lettre adressée par une Versaillaise à une amie :
Bravo et superbe documentation, arrière-petit-fils du docteur Théophile Anger qui relate journellement la mise en place des fameuses ambulances Wallace
https://www.thebookedition.com/fr/notes-de-guerre-de-theophile-anger-187-p-105531.html
Jean-Louis Grognet/Anger
Bonjour, il me semble que la Croix Jouanne, en forêt non loin de Poigny, est un monument commémoratif élevé suite à l’exécution d’habitants de Poigny et Saint Léger en octobre 1870.
Remarquablement documenté, comme d’habitude. Merci !