L'octroi
Pendant très longtemps la mention « Bureau de l’octroi » est restée visible à Groussay sur la première maison à gauche de la rue en venant de la Grille de Versailles. Ne la cherchez plus : le mur a été repeint (vers 2010 ?) et rien ne rappelle plus désormais dans Rambouillet cette taxe communale qui était, pour les marchandises ce qu’est le péage pour les personnes.
Retour sur une taxe impopulaire (y a-t-il des taxes qui ne le sont pas ?), définitivement supprimée en 1948.
Histoire de l’octroi
Pour faire face à leurs dépenses, les communes étaient autorisées à percevoir certains impôts et taxes.
L’octroi est la taxe qu’elles pouvaient percevoir sur certains produits destinés à la consommation locale qui entraient dans la commune (les produits qui ne faisaient que transiter par la commune n’étaient pas taxés). Le plus ancien octroi de France semble avoir été mis en place à Paris au XIIème siècle, afin de financer l’entretien des fortifications et des travaux d’utilité publique (mais a-t-on jamais su à quoi sert vraiment un impôt ?).
Très vite la monarchie cherche à réglementer ces taxes locales, et elles doivent faire l’objet d’une lettre patente par laquelle le roi octroie l’autorisation de lever cette taxe : d’où son nom.
Au XVIIème siècle la moitié de l’octroi collecté par les villes doit être reversé au Trésor Royal.
Cette taxe était naturellement impopulaire –et jugée inégalitaire puisqu’elle n’était perçue que dans les limites de la commune, ce qui poussait à des installations concurrentes, en dehors de ses limites – et on se souvient qu’à Paris, c’est par l’incendie des barrières d’octroi, le 13 juillet 1789 que commence l’insurrection, quelques heures avant le siège de la Bastille.
L’Assemblée Constituante supprime donc l’octroi en 1791.
Cependant les communes découvrent vite que la nationalisation des biens de la noblesse ne rapporte qu’une seule fois, et bien moins qu’espéré. Faute de revenus de remplacement, elles obtiennent donc du Directoire son rétablissement le 18 octobre 1798.
Toute ressemblance avec des réformes fiscales plus récentes serait naturellement pure coïncidence.
Les recettes de l’octroi s’envolent au XIXème siècle, avec le développement de la consommation et des transports. L’ordonnance du 9 décembre 1814 retire de la base taxable les produits de premières nécessité, comme le blé et les farines. Elle énumère les marchandises taxables : boissons et marchandises liquides, comestibles, combustibles, fourrages et matériaux.
Par la suite, la suppression de l’octroi a été souvent envisagée, comme en 1815 puis en 1847. Une loi le supprime en 1851 sous l’influence de Victor Hugo. Une autre loi est votée en 1885. Elles ne seront jamais promulguées.
En 1897 les communes sont autorisées à remplacer l’octroi par des taxes de remplacement. Aucune commune ne procède à cette substitution qui reste un modèle de complexité, de la part d’une Administration que nous savons particulièrement douée dans ce domaine.
Et c’est finalement le gouvernement Laval, en 1943 qui supprime l’octroi, pour tenir compte des difficultés d’approvisionnement dues à la guerre. Cette suppression entre en application définitive en 1948, à l’exception des départements d’outre-mer et de la Corse qui continuent à bénéficier d’un statut particulier.
Rappelons que cette taxe, collectée au profit des communes, était distincte du droit d’entrée, perçu sur les alcools à l’entrée des villes de plus de 4000 habitants –et perçu en même temps que l’octroi, par le même personnel.
L’octroi de Rambouillet
Une commune pouvait librement opter pour l’une de ces formes de collecte :
- la régie simple : une collecte organisée par la commune
- la régie intéressée : un régisseur assure la collecte, moyennant une rémunération fixe et proportionnelle
- la ferme : un fermier s’engageait de façon ferme vis à vis de la commune, et faisait son affaire du recouvrement, à ses risques et périls. Ce système conduisait à de nombreux abus, et la Révolution le supprima.
- la perception par le Service des Contributions Indirectes, avec prise en charge des frais de collecte par la commune. C’est la formule choisie par Rambouillet.
La loi fixait la nature des produits imposables. La nomenclature était très complexe, certains produits pouvant être rattachés à plusieurs taux, selon leur nature, et leur stade de transformation. Quant aux tarifs, ils pouvaient être décidés par la ville pour 5 ans, mais devaient être approuvés, d’abord par le Préfet, et ensuite par le Ministère des Finances, de sorte qu’il y avait une assez, grande homogénéité entre les communes.
Les avantages et inconvénients de cette taxe n’étaient pas éloignés de ceux des droits de douane perçus à l’entrée du pays.
Un produit local était avantagé par rapport au produit identique venant de l’extérieur. Cet avantage, dont bénéficiaient par exemple les quelques fermes présentes sur le territoire communal, ou quelques entreprises artisanales était toutefois compensé par un surcoût pour les produits qui ne pouvaient pas être produits localement, et par le poids des formalités administratives.
Et quelque soit la formule de recouvrement choisi, le coût de la collecte de l’octroi, était toujours élevé. C’était le cas à Rambouillet.
Encore ne s’agissait-il que de bureaux d’octroi, où les assujettis devaient venir déclarer leurs marchandises, et acquitter la taxe, et non de barrières au sens physique, avec contrôle matériel de chaque entrée, comme ce fut le cas à Paris à certaines époques. Ceci aurait nécessité un personnel bien plus important, et aurait de surcroît considérablement gêné la circulation.
Rambouillet a eu trois bureaux principaux : celui du Tivoli, au n°1 du boulevard Voirin (Mal Leclerc) pour la déclaration des marchandises en provenance de Chartres, via Gazeran, celui de Groussay pour les marchandises de Paris, et celui du Pont Hardi pour celles qui entraient dans la ville par la gare, ainsi que par les autres entrées secondaires.
Par la suite, afin d’éviter aux contribuables un déplacement au Pont Hardi, et les « oublis » qui en résultaient trop souvent, la ville a créé deux postes de « tenant de registre », l’un à Grenonvilliers et l’autre à la Villeneuve, chez deux débitants de boissons, rémunérés à la commission. Enfin, lorsqu’un abattoir a été ouvert, à l’emplacement de l’actuelle caserne des pompiers, l’octroi sur la viande était perçu dans ces locaux.
On comprend que les frais de collecte étaient ainsi très importants. Durant des années, on retrouve dans les comptes rendus du conseil municipal de nombreuses résolutions qui concernent l’octroi : il s’agit toujours de chercher à en réduire les frais, faute de pouvoir agir sur les recettes.
Par exemple, le 19 octobre 1889, le conseil, après avoir envisagé « la construction d’un chalet en briques près des grilles du parc qui réunirait les octrois du chemin de fer et Tivoli » finit par accepter le renouvellement des baux pour deux raisons : « la première c’est que le temps fait défaut pour le construire pour le 11 novembre, la deuxième, qui est aussi sérieuse, c’est qu’il n’y a pas d’argent. » Raison sérieuse, en effet !
Ou encore, le 20 juin 1930, le conseil accepte une demande d’augmentation du tarif appliqué aux poids relevés à la balance de la gare, mais refuse l’augmentation de salaire déposé par Guillot. Il faut augmenter les recettes, mais pas les dépenses !
Le salaire de Guillot, qui tenait le bureau du Pont Hardi, mais était en outre responsable de la bascule de la gare, ne devait d’ailleurs pas être très élevé, puisque le conseil était très régulièrement saisi d’une demande d’augmentation –qu’il refusait le plus souvent !
La séance du 27 octobre 1937 est particulièrement intéressante, puisque la possibilité de supprimer l’octroi y est étudiée. C’est d’ailleurs une question récurrente posée tous les 5 ans lors du renouvellement des barèmes.
Nous lisons dans son compte rendu que cette année là, l’octroi a rapporté 135 000 francs, mais que sa collecte a coûté 60 000 francs (soit 45 000 francs de salaires fixes, 6 000 francs de charges sociales, 3 500 francs de commissions, et 5 500 francs de charges pour la location et le fonctionnement des locaux).
Le produit net de l’octroi n’a donc été que de 75 000 francs.
Supprimer l’octroi ? Soit ! mais par quoi le remplacer pour ne pas diminuer les recettes de la commune ? Plusieurs pistes sont envisagées :
- augmenter de 7.5% la contribution foncière : elle ne touche que les propriétaires, tandis que l’octroi est répercuté par les commerçants sur tous les consommateurs,
- augmenter de 55% le prix des places payées par les commerçants sur les marchés : la demande de stands est supérieure aux capacités du marché, et les vendeurs sont majoritairement extérieurs à la commune (donc concurrents des commerçants locaux).
- gérer directement ces marchés, avec du personnel communal, au lieu d’en confier l’exploitation à un prestataire privé afin de conserver sa marge.
Rien de nouveau sous le soleil de la fiscalité : ce que certains cesseraient de payer devrait être mis à la charge d’autres contribuables, mais si possible sans augmenter les impôts des électeurs de la commune !
Après délibération le conseil estime ces différentes propositions risquées, et préfère voter une nouvelle fois le renouvellement de l’octroi.
Il faudra finalement attendre les décrets d’application de 1948 pour que l’octroi soit supprimé… et immédiatement remplacé par un supplément de taxe locale calculé plus simplement sur le prix de vente de tout produit, sans distinction de sa provenance (hors frais de douane).
Aujourd’hui c’est la suppression de la taxe d’habitation –et l’augmentation des coûts, dont ceux de l’énergie– qui obligent les communes à chercher de nouvelles recettes, à défaut de savoir comment réduire leurs dépenses.
Ainsi, pour équilibrer ses comptes, la ville de Rambouillet vient de décider de majorer le taux de ses taxes foncières de 19.04%.
Une bonne nouvelle cependant : l’octroi ne sera pas rétabli !
Christian Rouet
avril 2023
Bonjour,
J’apprécie beaucoup tous vos articles, merci.
Gilles.
Merci cher Monsieur ROUET pour cet article illustré sur l’octroi de Rambouillet
Ceci m’a permis de me remémorer l’octroi devant lequel je passais, enfant, à Valencienens (nord)
Votre blog est vraiment très interessant. JMT
http://valentianoe.unblog.fr/2014/01/15/9-l-echo-des-taxes/
Une fois de plus un article bien intéressant et ,comme quoi qu’elle que soit l’époque ;l’argent ;toujours l’argent avec au bout du compte toujours le contribuable qui paie.Le temps passe ,mais la fiscalité reste!!
Merci beaucoup pour les explications et les photos anciennes. Je viens d’emménager rue de Groussay et je suis toujours preneuse des histoires de Rambouillet