Les chapeaux de Rambouillet
La fin du XIXème siècle, jusqu’au milieu du XXème siècle est, en France, l’âge d’or du chapeau. Il est porté en toutes occasions par les hommes comme par les femmes, de tous âges, et de tous milieux sociaux.
Outre quelques chapeliers, dont les trois générations de Labussière (rue Nationale, puis place Saint-Hubert) et quelques modistes qui réalisent des modèles sur mesure, deux manufactures de chapeaux, ont existé à Rambouillet, toutes les deux rue Gambetta. Elles y ont employé jusqu’à 100 salariés, des deux sexes.
Parce qu’elle occupe aujourd’hui les locaux de l’une d’elles, la MJC a adopté le nom Usine à chapeaux. Pas sûr, cependant, que les jeunes qui la fréquentent soient nombreux aujourd’hui à en porter un !
Ces deux entreprises n’ont pas laissé d’archives mais à partir de quelques documents et témoignages nous pouvons retracer les grandes lignes de leur histoire.
La « Manufacture Générale de Casquettes et Chapellerie »
Il semble que ce soit la plus ancienne fabrique de chapeaux de la ville, puisqu’elle se dit « fondée en 1852 ». Je n’en trouve trace, toutefois qu’à partir de 1870.
Un des ouvriers du chapelier Labussière, Henri Ricq, s’installe alors comme fabricant de casquettes, au 7 rue Gambetta.
L’entreprise change ensuite plusieurs fois de propriétaire, jusqu’à sa fermeture définitive, vers 1955.
En résumé : quand Henri Ricq décède en 1882, âgé de seulement 33 ans, c’est sa soeur Prudence Ricq qui reprend son entreprise avec son mari Eugène Méhudin, jusqu’alors voyageur de commerce.
Le 27 juin 1899 les époux Méhudin-Ricq cèdent la manufacture à Alexandre Lefroit précédemment marchand de nouveautés au 28 rue Nationale.
Nous trouvons ensuite Jean-Marie Albert. Puis M. Dubois, qui dépose la marque « Euréka » pour des casquettes de « Haute nouveauté ». Ses produits reçoivent une médaille d’or à l’exposition de Paris de 1908.
En 1914 la société appartient à Jacques Dussault. En 1926 une nouvelle vente porte cette fois sur les murs et le fonds de commerce.
En 1930 son repreneur est Charles Cantelaube (Cantelaube et Cie). On le retrouve au recensement de 1931, mais il n’est plus dans les listes de 1936.
Enfin, l’almanach de 1954 recense l’entreprise en tant que « manufacture de casquettes Gallon, au 7 rue Gambetta. »
Elle s’adresse à une clientèle masculine. Les hommes portent alors essentiellement trois modèles de chapeau.
– Le chapeau haut-de-forme. C’est celui de la noblesse et de la bourgeoisie. Même si, en 1814, Louis Comte en fait sortir le premier lapin de l’histoire de la prestidigitation, il reste le chapeau du capitaliste. C’est celui de l’Oncle Sam, ou de l’oncle Picsou !
Compte tenu de sa taille, et de sa rigidité il lui faut épouser parfaitement le tour de tête. Le chapelier dispose d’un appareil spécial pour en prendre les mesures : le conformateur (brevet déposé en 1843 par les Français Maillard et Allié). Il reste donc un produit à réaliser sur mesure.
– Plus facile à porter par grand vent, le chapeau melon, d’origine populaire, en feutre rigide, est récupéré par la bourgeoisie moyenne. C’est le chapeau des financiers de la City, mais aussi celui de Charlot, de Laurel et Hardy, des Dupont et Dupond ou du commissaire Maigret.
– Cependant, la spécialité de l’entreprise de Rambouillet, c’est la casquette. Souple, c’est la plus facile à fabriquer en prêt-à-porter et en séries.
Dans l’armée, elle s’avère plus commode que les bicornes ou autres shakos rigides. Celle du maréchal Bugeaud lui vaut plus de célébrité que ses victoires, lorsqu’il repousse en 1846 une attaque sans avoir eu le temps de troquer son bonnet de nuit contre sa casquette réglementaire.
« As-tu vu la casquette, la casquette,
As-tu vu la casquette au père Bugeaud ?
Elle est faite la casquette, la casquette,
Elle est faite avec du poil de chameau. »
La casquette militaire inspire les costumes de travail (portiers, chauffeurs, gardes, concierges …), et la casquette devient le couvre-chef du peuple. C’est celle de Gavroche, et des Poulbots parisiens. En laine ou en coton elle réchauffe la tête. Le monde ouvrier la plébiscite. Plus tard, les bourgeois l’adoptent pour l’automobile, car elle offre moins de prise au vent qu’un chapeau, et pour de nombreux autres sports. Il en existe différents modèles; celle de Sherlock Holmes, en tweed, dispose même d’un couvre-nuque.
Comment se fabrique une casquette à Rambouillet ?
Le 2 mars 1907, dans le cadre de leurs sorties pédagogiques, avec leur directeur Louis Bascan, des élèves visitent la manufacture de M. Dubois. Lisons leur compte-rendu :
« Dès qu’elle est commandée, la casquette est inscrite sur une fiche spéciale qui reçoit aussi l’indication de ses mesures. Elle est ensuite tracée à la craie au moyen de patrons; et coupée avec des ciseaux de tailleur ou une grande cisaille; sa coiffe en « saint galette » est découpée par une scie à ruban qui peut trancher dix-huit épaisseurs à la fois; sa visière en carton ou en cuir tombe sous les coups d’une balançoire « emporte pièces ».
Ses différentes parties sont assemblées au point de chainette sur une machine à un seul fil.
Des mains alertes munissent de « boutons à pression » pour réunir le devant et la visière, de « ventouse » d’aération ou même de lunettes d’automobilistes.
Elle passe ensuite au « bichonnage » où des caresses un peu rudes et le fer chaud la débarrassent de ses plis et lui donnent un air coquet. Elle peut plaire alors aux plus difficiles ».
Dans les années 1960 toute l’industrie textile française est en crise, avec la perte de ses débouchés coloniaux, et la concurrence de pays à bas coût. Mais depuis une dizaine d’années la mode et les comportements ont déjà changé, et l’usage du chapeau en général, et de la casquette en particulier s’est réduit.
La manufacture de casquettes de Rambouillet ferme, et ses terrains, bien situés près de la gare, font ensuite l’objet d’une promotion immobilière.
Corbin & Donné
En 1910, deux parisiens Aristide Corbin et Frédéric Donné s’associent pour créer la société en nom collectif Corbin & Donné, au 48 rue Chapon, Paris 3ème. La société a pour objet « l’exploitation d’une fabrique de chapeaux pour dames et fillettes ».
En complément de ses bureaux parisiens, elle prend en location le 11 novembre 1913 les locaux que vient de libérer la société Bernier. Celle-ci y exerçait une activité de fabrication de balais de bouleau. Les murs sont la propriété de madame Bailly, veuve Micheau, la société parisienne les rachète en 1919.
Le fait que la société puisse commencer son activité quelques mois seulement après la signature de son bail nous indique que les locaux existants étaient déjà opérationnels, même s’il est probable que des travaux et un agrandissement ont été réalisés par la suite, sans que l’on en connaisse ni la date ni la nature exacte.
Dans l’annuaire professionnel de 1914, les «chapeaux de paille et feutre Corbin & Donné » prennent donc la place des « balais de bouleau Bernier » de l’édition précédente.
La société exploitera ses locaux jusqu’en 1951, quand la conjoncture l’obligera à fermer définitivement. Entre temps elle se sera transformée en société anonyme au capital de 50 000 francs, puis de 2 000 000 francs. En 1941 elle aura eu comme administrateurs Aristide Corbin, la veuve de Frédéric Donné et une Mme Veuve Perrot. Au décès de A. Corbin en 1943 Mme Ve Donné lui succèdera. Maurice Corbin, le fils du gérant, y occupera des fonctions commerciales.
La société réalise des chapeaux en feutre et en paille, qui s’adaptent aux tendances de la mode, et notamment à celle du chapeau cloche, adopté par les femmes avec la mode des cheveux courts.
Le feutre :
Rambouillet recevait le feutre déjà traité, sous forme de cloches. L’atelier était ainsi épargné des empoisonnements qui étaient le lot des ouvriers qui travaillaient au secrétage. Cette opération consistait à baigner les peaux dans une solution de mercure et d’acide nitrique dont les effluves avaient des effets terribles. L’expression « travailler du chapeau » pour indiquer la folie vient de là, et quand Alice, au Pays des Merveilles, rencontre un « chapelier toqué », cela n’étonne personne ! En 1828 on relève plus de 40 000 cas d’empoisonnement dans les seuls ateliers de Paris.
Après teinture, les cloches étaient placées dans des formes chauffées au gaz. La compression et la vapeur les transformaient en chapeau, selon la forme choisie.
Ce travail, effectué à la machine à pédale était physiquement dur, et il était généralement assuré par des hommes.
Restait ensuite à couper, lustrer, peigner ces formes et les garnir d’éléments décoratifs, plumes, nacre, bakélite… Puis à les emballer dans une caisse individuelle légère, à claire-voie.
La paille
La technique de fabrication est très différente. La paille arrivait à Rambouillet sous forme de tresses déjà colorées. Elles étaient enroulées à la main en partant du sommet de la coiffe, puis fixées par des machines à coudre spéciales commandées par un moteur électrique, toutes reliées par une seule courroie.
Le chapeau était ensuite achevé par un travail à chaud, recouvert d’un vernis, et garni de rubans, pompons, fleurs artificielles …
Chaque jour un camion faisait la rotation entre les entrepôts de Paris et les ateliers de Rambouillet.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, cherchant des nouveaux débouchés, la manufacture fabrique des casques coloniaux.
Adaptés du chapeau philippin, ce casque est utilisé d’abord par les armées, mais très vite par les colons ou touristes dans les pays chauds. C’est celui de Tintin au Congo, et encore aujourd’hui celui de la garde du palais de Monaco. Des bandes de liège recouvertes d’un tissu clair en font un couvre-chef léger qui protège de la chaleur et de la transpiration.
Le travail correspond aux techniques du feutre : le liège arrive en feuilles qui sont déposées sur une forme. Il est ensuite garni de tissu, d’une coiffe intérieure, et de rivets d’aération.
Cette activité complémentaire permet à l’entreprise de résister quelques années de plus, mais en 1951 elle doit fermer définitivement.
Pour les 10 ans du Café-Club de la MJC, Daniel Blumé de la Shary a recueilli les témoignages d’anciennes salariées de l’entreprise, sur leurs conditions de travail. Je publie ici, tiré de son article, le plan des locaux, tels que les a reconstitués Xavier Huret.
Signalons rapidement qu’après la fermeture de l’entreprise Corbin & Donné, l’Education Nationale achète l’emplacement pour en faire une annexe du collège voisin, puis le revend à la ville en 1976.
Ce sont aujourd’hui les locaux de la MJC, baptisée fort logiquement « l’Usine à Chapeaux ». Son pignon artistiquement décoré est bien connu des Rambolitains.
Je ne décris pas ici les mille et une activités de cette association. Son site est très complet et je suis sûr que vous y découvrirez des activités insoupçonnées.
Quant au personnel de ces deux entreprises, (et d’autres qui ferment à la même époque), victimes de l’évolution économique, sa présence à Rambouillet comptera dans la décision de la Radiotechnique de s’installer à Rambouillet.
Leurs ouvrières qualifiées passeront ainsi du feutre et de la paille au fil électrique et à la soudure. Des métiers exercés dans des conditions bien moins pénibles …
A leur tour ces professions seront ensuite remplacées, sous l’effet de la mondialisation, de la robotisation et des changements profonds de la demande, par de nouveaux métiers que la crise de l’énergie va, à son tour impacter durement.
Christian Rouet
décembre 2022
un article d’Yveline.org
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