Jean Blécon, historien
Dans la page de présentation de mon site, je précise : « Je me dis chroniqueur du pays d’Yveline : raconteur d’histoires et non historien. Je tiens à cette distinction, car j’ai choisi une démarche de vulgarisation et non de recherche. »
Cependant, je ne pourrais écrire mes articles si des historiens, professionnels ou amateurs ne se consacraient à des recherches approfondies sur le passé de notre pays d’Yveline, en y appliquant une méthodologie scientifique, et s’ils ne choisissaient de nous les rendre accessibles, par des livres, des articles, et aujourd’hui par internet.
J’ai donc autant d’admiration que de reconnaissance pour eux, et notamment pour ceux qui se sont consacrés à l’histoire de Rambouillet : je pense à G. Lenotre, Auguste Moutié, Pierre de Janti, pour ne citer que quelques-uns de ceux qui ont participé aux travaux de la SHARY, depuis sa création en 1836.
Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique (1764) remarquait déjà :« On exige des historiens modernes plus de détails, des faits plus constatés, des dates plus précises, des autorités, plus d’attention aux usages, aux lois, aux mœurs, au commerce, à la finance, à l’agriculture, à la population… »
Cette exigence est probablement plus grande encore, maintenant que sont accessibles tant de bases de données, et des bibliothèques d’une richesse incalculable…
Parmi les historiens du pays d’Yveline, je cite souvent Jean Blécon, qui nous a quittés le 30 décembre 2022. Il ne faudrait pas que Rambouillet oublie trop vite cet historien qui a tant aimé sa ville, et lui a tant apporté, et c’est pourquoi j’ai demandé à Thierry Liot, qui l’a si bien connu, de nous présenter l’homme et l’historien.
Jean BLéCON (1933-2022), acteur majeur du patrimoine rambolitain
Né à Guer le 2 janvier 1933, dans une famille bretonne attachée à ses racines et particulièrement croyante, Jean BLÉCON intègre dès 1945 le petit séminaire de Ploërmel, puis le grand séminaire de Vannes de 1954 (année d’obtention de son baccalauréat en philosophie) à 1957.
De cette solide formation religieuse, il en résultera une foi inébranlable, qui le guidera toute sa vie, et une connaissance approfondie de l’iconographie biblique, l’initiant à une approche et à une lecture très savantes des monuments religieux.
Initialement destiné par les siens à la prêtrise, il fait toutefois le choix de rejoindre l’école d’architecture de Rennes en 1957, puis l’école nationale supérieure des Beaux-Arts en 1960 où il obtient le diplôme d’architecte DPLG à l’issue de sa soutenance sur François II Blondel, architecte du roi, 1683-1756. Après une brève carrière dans un cabinet d’architecture, il devient ingénieur de recherches au CNRS, à partir de 1966, collaborant avec André CHASTEL et Jean-Pierre BABELON au Centre de Recherches sur l’Histoire de l’Architecture Moderne.
L’école française d’Athènes, qui l’accueille en 1967 pour une formation aux relevés archéologiques très concluante, le sollicite jusqu’en 1975. Retenu sur des sites emblématiques à Dikili Tasch, à Delphes (où il étudie le cas de deux édifices, le trésor de Thèbes et le temple en calcaire), en Phocide et en Doride (où il intervient sur une muraille antique isolée, seulement accessible à dos de mulet), il œuvre à la restitution de monuments partiellement ou totalement disparus.
De 1971 à 1976, il effectue également des relevés de murs et des dessins apportant un nouvel éclairage sur le cloître détruit de Notre-Dame en Vaux, à Châlons-en-Champagne.
Avec toute la discrétion et l’humilité d’un religieux, sans jamais vouloir attirer sur lui la lumière, il exécute un travail prodigieux.
A partir de ses recherches aux archives, il élabore de remarquables maquettes (le château royal de Saint-Léger-en-Yvelines, la prison et le premier projet de la sous-préfecture de Rambouillet). Sa terre natale lui inspire l’une de ses plus belles réalisations, un château médiéval inspiré par les grands exemples bretons de Fougères, de Nantes ou de Vitré, qu’il réalise à titre privé, pour son fils aîné. Tours et murailles constituent là, à une belle échelle, une œuvre guidée par l’exactitude archéologique. Il en réalise lui-même les moules à plâtre pour en constituer l’appareil, sans compter le décor des cheminées blasonnées ou des parapets crénelés. Il en façonne les sols dans du carton peint, colorié, utilise le bois pour les charpentes ou le pont-levis.
Très engagé dans le secteur associatif à partir de 1959, il dirige le club de football des jeunes de Rambouillet, devient administrateur de la SHARY (Société Historique et Archéologique de Rambouillet et de l’Yveline) dont il est membre depuis 1978, président de la SAVRE (Sauvegarde Architecturale du Vieux Rambouillet et de son Environnement) en 1992, membre fondateur de PARR (Patrimoine et Avenir de Rambouillet et de sa Région) en 2002.
Auteur de nombreuses publications sur l’histoire de l’urbanisme et du patrimoine rambolitains (parmi lesquelles Le palais du roi de Rome, Napoléon II à Rambouillet, ouvrage paru en 2004, L’historique des rues de Rambouillet édité par la SHARY en 1997, ou encore L’hôtel de la sous-préfecture de Rambouillet, étude publiée par l’association PARR en 2012), il impose son expertise scientifique avec des données précises, étayées par des années de recherches, une expertise qui se substitue enfin aux affirmations approximatives ou erronées de toute une génération d’historiens.
Chercheur reconnu, auteur et maquettiste minutieux, Jean BLÉCON est également aquarelliste. Un nombre d’œuvres incalculable, que l’on reconnaît aux couleurs claires, très diluées, de sa palette, et quelques encres de Chine, expriment sa perception des paysages, sa lecture architecturale du patrimoine monumental. Il a beaucoup peint la Bretagne où il aime venir se reposer.
Outre ses qualités intellectuelles, artistiques et professionnelles, Jean BLÉCON est un homme humainement remarquable. Bienveillant, fidèle en amitié, dévoué et serviable, il reste très accessible. Jamais lassé d’expliquer l’architecture et son rapport à l’histoire, il apporte volontiers sa contribution à quiconque la lui demande, sa solide expertise lui permettant de revenir sur les certitudes, de traiter les lacunes pour faire progresser la connaissance.
Après avoir quitté avec son épouse et ses trois enfants la maison rambolitaine de la rue de Toulouse où il s’était établi (il y découvrira d’exceptionnelles céramiques Art Nouveau sous l’auvent du perron d’entrée), il reprend le chemin de sa Bretagne natale et s’installe à la Baule où il terminera son parcours de vie, le 30 décembre 2022, à 89 ans.
Avant de nous quitter, il aura pris soin de léguer aux Archives départementales des Yvelines de précieux plans cadastraux, fruits de son travail, qui nous racontent l’histoire des rues et des parcelles de Rambouillet entre 1705 et 1850.
Thierry LIOT
NDR : Thierry Liot, est lui-même historien. Il a écrit plusieurs ouvrages, édités par l’association PARR, dont récemment « Le domaine et la ville de Rambouillet » disponible à l’Office de Tourisme.
Christian Rouet
novembre 2024