Groussay, la petite Pologne
Tous les guides s’accordent pour le dire : « Groussay est un quartier au Nord de Rambouillet. »
On ne refait pas l’histoire, mais il s’en est sans doute fallu de peu pour que nous puissions dire aujourd’hui : « Rambouillet est un quartier au Sud de Groussay ». En effet, il ne semble pas contesté aujourd’hui que le peuplement de Groussay est plus ancien que celui de Rambouillet.
Nous visitons aujourd’hui un quartier qui est resté l’entrée principale de la ville par la route venant de Paris jusqu’au XIXème siècle, la grille de Versailles étant longtemps le seul accès au château. Votée en 1957 la réhabilitation de ce quartier a fait l’objet de travaux considérables, qui ont fait de Groussay, en vingt ans, un quartier composé principalement d’immeubles collectifs. Nous nous arrêterons ici à la veille de ces travaux, qui seront étudiés dans un prochain article.
A l’origine
Nous savons que le Rumbelitto latin du VIIIème siècle, qui a donné notre Rambouillet, signifiait « petit Rambeuil », ce qui laisse penser qu’un Rambeuil plus important existait à proximité. Le toponyme désignait une petite clairière.
Le nom de Groussay pour sa part viendrait des gaulois groua (marais) et ai (habitation) et il était donc très explicite.
Ce Groussay pourrait-il être l’ancien Rambeuil ? Des historiens l’ont envisagé, déjà au XVIème siècle, évoquant un ruisseau Rambe ou Rambo qui aurait traversé la cuvette de Groussay avant d’aller former l’actuelle Guéville. Cette explication est cependant abandonnée aujourd’hui, et les historiens s’accordent à situer Rambeuil dans le parc du château, entre Groussay et le fief de Montorgueil –actuelle Bergerie Nationale. Est-ce pour cela qu’en 2002, lors de la rénovation de la « résidence de la Fontaine de Rambeuil », celle-ci a été rebaptisée « résidence de la Providence » ?
Quoi qu’il en soit, il y a donc eu un peuplement très ancien au Nord ou Nord-Ouest de l’actuelle ville de Rambouillet, et les Groussayons y ont probablement précédé les Rambolitains.
Le relief du massif forestier du Pays d’Yveline en fait un obstacle naturel, que la route de Paris à Orléans contourne à l’Est par la trouée de Saint-Arnoult, et que la route de Paris à Chartres traverse à Rambouillet, pour y trouver la vallée de la Guéville, et la suivre jusqu’à Epernon.
Là où aujourd’hui il est facile de descendre du plateau en empruntant les rues de Penthièvre, de la République ou du Général Humbert, la pente était autrefois trop forte pour les lourds chariots. La route gagnait donc, vers l’Ouest, le fief de Groussay, pour contourner le plateau.
Elle pénétrait à Rambouillet par la « porte de Paris » au Carrefour Maillet. La rue des Juifs (rue R. Poincaré) conduisait à l’Eglise (en face de l’actuel Mercure) dont Amaury III de Montfort avait fait don au prieuré d’Epernon en 1053, tandis que la rue Troussevache (rue Lachaux) montait vers le plateau, avec ses champs, ses vignes, ses fermes et son moulin.
Bloquée par le château, elle bifurquait alors pour rejoindre d’Ouest en Est « la Porte de Chartres », sortie Sud de la ville (en face de l’actuelle sous-préfecture), avant de reprendre sa direction Nord-Sud, vers Gazeran.
C’est tout le long de cette voie que se sont construites les premières maisons de Groussay et de Rambouillet, alignant leurs façades le long de la rue jusqu’à occuper la totalité de l’espace disponible, avant de conquérir le flanc du coteau pour Rambouillet (rue d’Angiviller), et le bord de l’étang pour Groussay.
Groussay sous l’Ancien-Régime
En 1223 Jean de Bescheroles est seigneur de Groussay et rend l’hommage au comte de Montfort. En 1317, son fief, avec les étangs de Groussay, du Moulinet et du Gruyer sont acquis par Jeanne de Roussy, comtesse de Rochefort.
En 1368 Jean Bernier, prévôt de Paris achète le très modeste manoir de Rambouillet et les quelques terres qui l’entourent. Il y fait construire en six ans un véritable château-fort qui ne cessera de prendre de l’importance au cours des siècles suivants.
Or, tant pour le construire, qu’ensuite pour l’entretenir et le faire fonctionner, le château de Rambouillet va nécessiter une main d’oeuvre importante. Groussay, après avoir accueilli des bûcherons, forestiers, tresseurs d’osier ou lavandières… devient ainsi un quartier ouvrier important.
Le développement de ce faubourg est donc lié à celui de Rambouillet, et ce, d’autant plus étroitement, qu’en 1384 Regnault II d’Angennes se rend acquéreur du domaine de Rambouillet, et l’agrandit très vite par l’achat du fief de Groussay (en même temps que ceux de Grenonvilliers, de Montorgueil et de la Villeneuve, qui seront à leur tour absorbés par Rambouillet).
A la suite de cet achat et de ceux qu’effectueront les propriétaires successifs du château pour augmenter leur domaine, la route de Paris marquera la limite entre le parc du château, à l’Ouest, et les habitats privés de la commune à l’Est.
Sur ce plan du cadastre de 1830, on voit que le faubourg de Groussay a une forme vaguement triangulaire, qui va de la grille de Versailles à droite (en réalité : au Nord, car le plan a été orienté en fonction de la forme du faubourg) jusqu’à la Porte de Paris, à l’extrême gauche (au Sud), bordé à l’Ouest par le parc du château et au Nord et à l’Est par la rue du Hasard (aujourd’hui rue des Marais, rue de la Commune et rue Maurice Dechy).
Grâce à la comtesse de Toulouse, puis au duc de Penthièvre, le Sud de Groussay, entre la Porte de Paris et le carrefour formé par le chemin qui va de la Louvière à Groussay, et la rue de Groussay, prend de l’importance : s’y installent le premier hôpital de Rambouillet, puis une manufacture où travaillent les orphelins de la ville.
Au plan cadastral de 1830, cette partie Sud de Groussay, bordée par la rue de l’Hôpital, est indiquée « partie de la ville de Rambouillet », la partie Nord restant « le faubourg de Groussay », proprement dit.
Je ne reviens pas ici sur l’histoire de l’hôpital et de la manufacture : ces articles sont toujours en ligne.
Cependant, c’est avec Louis XVI que Groussay se transforme vraiment. D’abord parce que l’entretien d’un château royal demande un personnel important, et que le comte d’Angiviller ouvre dans Rambouillet de nombreux chantiers qui nécessitent des ouvriers et aussi de nombreux artisans qualifiés. Mais surtout, le roi est un amateur passionné de chasse, et il ne se contente plus des installations du duc de Penthièvre.
En 1785, il décide la création de « la Vénerie », dans le parc, avec accès direct dans la rue de Groussay. C’est alors la création de grandes écuries, pour 500 chevaux, « de 30 remises, de forges, d’ateliers, de magasins. A cela s’ajoutent les 20 logements d’officiers et les chambres pour loger 400 hommes : pages, piqueurs, éperonniers, postillons, palefreniers, maréchaux, selliers, vétérinaires, délivreurs… » (Monique Le Dily, « Douze siècles d’Histoire à Groussay, premier fief de Rambouillet »).
En 1787 le comte d’Artois, frère du roi, fait lui aussi construire à Groussay un vaste chenil, avec écuries et dépendances, dans la côte de la Providence.
Moins spectaculaire, mais tout aussi important pour la vie des lavandières de Groussay, la création d’un premier lavoir, au bord de l’étang, leur épargne d’aller jusqu’à l’étang du Moulinet.
Il est facile d’imaginer les retombées économiques, et notamment les emplois créés directement ou indirectement par ces projets ! Les Groussaillons les évaluent d’autant mieux qu’avec la destitution du roi, tous ces emplois sont immédiatement supprimés. 74 personnes qui travaillaient au château se retrouvent instantanément au chômage. Tous les chantiers en cours sont arrêtés; les chasses royales abandonnées.
Dans le même temps, l’hôpital et la manufacture du duc de Penthièvre, privés de subventions ferment leur porte. Devenus biens nationaux, la Vénerie et le Grand Chenil sont vendus à des particuliers.
La période révolutionnaire n’a donc pas été faste pour les habitants de Groussay, même si la suppression des lois règlementant la chasse ont pu leur permettre quelques maigres compensations !
Groussay après la Révolution
Heureusement Napoléon 1er hérite de la liste civile du roi Louis XVI, dont Rambouillet fait partie, et il s’intéresse à la ville. La manufacture du duc de Penthièvre rouvre, pour produire du sucre de betterave et donne des emplois à une cinquantaine d’habitants de Groussay (cependant sa production reste insuffisante, et elle referme trois ans après, pour être transformée en école de garçons). Les chasses royales sont rétablies.
coupe du lavoir 1811 (coll Daniel Czerniejewski)
La construction d’un nouveau lavoir améliore la vie des lavandières. En 1833 la ruelle de Groussay devient d’ailleurs la rue du Lavoir. Elle disparaît définitivement en 1976, lors de la réhabilitation du quartier.
La Vénerie connaît bien des changements. Les troupes d’occupation prussiennes, lors de l’abdication de Napoléon, y sont cantonnées du 25 juillet au 25 octobre 1815, et de nombreux soldats sont aussi nourris et logés chez l’habitant.
Après leur départ, les chasses royales, puis présidentielles reprennent avant que Rambouillet ne soit, à nouveau, occupé par les Prussiens, du 15 novembre 1870 au 15 mars 1871. De nombreux soldats prussiens étaient-ils d’origine polonaise ? Certains y voient une explication possible du surnom de « petite Pologne » donné à Groussay.
On peut aussi imaginer, cependant, que le cliché du Polonais, frustre, coléreux et buvant sec correspondait assez bien à la façon dont les bourgeois rambolitains jugeaient les habitants de leur faubourg. Sans généraliser, on peut relever que les condamnations pour rixe, tapage nocturne, incivilités ou braconnage y étaient effectivement assez fréquentes !
Avec l’arrivée du 3ème Régiment de lanciers, décidée par Louis-Philippe en mai 1832, le « quartier de la Vénerie » devient un quartier militaire dont l’histoire a été contée par ailleurs (et notamment par Christian Painvin : ouvrage disponible à la Shary). Je n’en parlerai pas ici, sinon pour souligner l’intérêt qu’a présenté pour Groussay l’arrivée de 700 hommes et 600 chevaux.
La vie de Groussay est désormais étroitement liée à son quartier militaire, où se succèdent les régiments. En 1946 il devient le quartier Général Estienne.
Débits de boissons, maisons closes, tabacs, épiceries se multiplient le long de la rue de Groussay, tandis que tailleurs, maréchaux-ferrants, et bourreliers retrouvent leur clientèle.
C’est ainsi que dans l’annuaire de 1912 on trouve rue de Groussay :
- au n° 2 : Liaud, café et blanchisserie,
- 4: Neveu, boucherie hippophagique
- 5: Lefebvre, cordonnerie
- 10 : Chesneau, charcutier
- 11bis : Naudin, fourrage militaire
- 12: Bonhomme, brocanteur
- 15: Chenel, hôtelier
- 16: Deschamps, cordonnier
- 18: Herfort, café et épicerie
- 28 : Cusson, épicerie
- 32: Darrigade, boulanger
- 36 : Ve Bajon, serrurerie
- 38 : Duchet, débit de boissons
- 40: Ve Lemaire, débit de boissons
- 40 : Lemaire, coiffeur
- 42 : Sensebe, coiffeur
- 44: Mace, marchands de vins
- 48: Racine, tabac
- 58: Ve Guiblet, voiturier
- barrière de l’octroi : Chenet, café
Un mot seulement pour évoquer le n°38, aujourd’hui restaurant asiatique. Lorsqu’il était magasin d’antiquités son propriétaire m’avait fait remarquer les ouvertures discrètes percées dans le plafond. Autrefois, le gérant de l’établissement avait ainsi, depuis son bureau en étage, une vue sur l’intérieur de chacune des cabines installées le long du mur.
C’est là que les pensionnaires de monsieur Lamour (ça ne s’invente pas !) pratiquaient avec talent le plus vieux métier du monde. Elles avaient droit à une sortie dans le parc du château une fois par semaine, en sa compagnie, et une fois par an à un voyage à Deauville avant l’arrivée du nouveau contingent. Souci humain, ou stratégie économique ? En tous cas, monsieur Lamour prenait ainsi soin de leur santé physique et morale !
Je n’ai pas trouvé d’inventaire exhaustif des maisons closes de Rambouillet, mais on peut penser que le 38 de la rue de Groussay avait quelques concurrents, même si le Paris-Fêtard n’en mentionne pas d’autres.
Peut-on imaginer que le « train du plaisir » qui desservait Rambouillet n’était baptisé ainsi que pour l’attrait de la forêt et la cueillette du muguet ?
Je ne me prononcerai pas.
En 1934 l’étang est asséché et son terrain aussitôt bâti. Un réseau d’égouts draine l’eau vers le parc du château, mais, sous-dimensionné, il ne met pas Groussay à l’abri d’inondations, notamment en 1836, 1982 et 2016.
La rue de l’Orme, qui allait de la rue de Groussay à l’étang est supprimée. Une rue Delorme est créée avec un parcours différent. Elle rappelle ainsi à la fois le maire et sous-préfet Jean-Sébastien Delorme, et l’ancienne rue de l’Orme !
De même sont créés à la place de l’étang, le quai de l’étang, et le square René Coty.
En 1946, le quartier est toujours composé de petites maisons individuelles, modestes, à l’équipement sommaire et souvent très vétuste. En 1975 certaines maisons n’ont toujours pas l’électricité, et prennent l’eau à la pompe de la rue de l’Orme.
Groussay n’est pas le seul quartier « populaire » de Rambouillet. C’est pourtant celui auquel on pense en premier lorsqu’on évoque un quartier ouvrier; celui où l’on attend alors le plus d’effort dans l’habitat social pour gommer l’écart avec la ville de Rambouillet, dont le centre, avec la conquête du plateau, n’a cessé de s’embourgeoiser.
En 1957 sa réhabilitation est donc votée, et un habitat collectif viendra bientôt remplacer le vieux Groussay, avec des logements sociaux et privés de qualité.
Christian Rouet
Juin 2023