Faisons la fête !
Après deux années de covid durant lesquelles les manifestations ont été déconseillées, voire interdites, la Fête du Muguet est de retour les 14 et 15 mai 2022, pour notre grand plaisir.
La Fête ? Il semble, à lire l’affiche conçue cette année, que nous ne célébrons pas la fête du muguet de 2022, mais les fêtes du muguet d’hier et de demain.
Autrement dit, avec ce pluriel plutôt… singulier, nous faisons l’impasse sur celle d’aujourd’hui.
Mais sans doute ne faut-il pas y chercher d’intention particulière : à notre époque, les mots ne sont-ils pas choisis pour leur qualité graphique plus que pour leur sens ?
Quoi qu’il en soit, s’il m’est difficile d’évoquer les fêtes de demain, je vous invite à remonter le temps.et à nous souvenir de celles d’hier.
Le muguet
Evoquons-le, en préambule, puisqu’il est le héros de notre fête !
On rapporte que l’habitude d’offrir aux dames un brin de muguet remonterait à Charles IX (1560). C’était à l’occasion des fêtes de l’amour, le 1er mai.
Même si cette histoire n’est pas avérée, cette tradition est, en tous cas, antérieure à la Révolution. Cependant, dans le calendrier républicain, Fabre d’Eglantine associe le muguet au « jour républicain » du 7 Floréal (le 26 avril), et c’est alors l’églantine rouge qui est associée au 1er mai, et qui sera pendant longtemps portée durant les manifestations ouvrières.
Elle symbolise le sang versé, lorsque la répression de la manifestation de Fourmies en 1891 fait 9 morts et 35 blessés.
En 1941 quand le maréchal Pétain instaure la « fête du travail et de la concorde sociale du 1er mai », il lui associe le muguet, pour remplacer la fleur d’églantine qu’il juge trop associée aux mouvements de gauche.
Les débuts de la Fête du muguet
Si le muguet reste aujourd’hui associé au travail, la fête du muguet de Rambouillet en est tout à fait décorrélée : il s’agit seulement de fêter une jolie fleur qui pousse facilement dans notre forêt, et dont Marie Roux, maire de Rambouillet, a eu l’excellente idée de faire le symbole de sa ville, en 1906.
Il s’en est expliqué en 1908, lors de la 3ème édition de la Fête :
« Le but que nous avons cherché en fondant, il y a deux ans, la Fête du Muguet, est comme celui du Syndicat d’initiative, d’attirer à Rambouillet une clientèle qui lui manquait: celle des touristes.
Pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de faire connaître partout le nom de Rambouillet et sa forêt; le meilleur moyen n’est-il pas d’associer intimement le nom de notre ville à celui d’un produit naturel ou manufacturé dont la seule énonciation évoque aussitôt le nom de Rambouillet ».
Rappelons toutefois que la première édition de cette fête, en 1906, fut fort modeste et ne laissait pas espérer un tel avenir à une manifestation dont Le Petit Journal était l’instigateur principal. C’est également lui qui en avait assuré la promotion à travers ses parutions.
Le Petit Journal
A cette époque il s’agit de l’un des 4 principaux quotidiens nationaux. Lamartine, Alexandre Dumas, plus tard Albert Londres, Daniel Rops ou Paul-Emile Victor y collaborent. 80% de son tirage est vendu en province, avec des éditions ciblées (« le petit journal agricole », « le petit journal militaire, maritime, colonial... » « le petit journal illustré de la jeunesse ») auxquelles s’ajoutent chaque dimanche des éditions spéciales.
Pour augmenter sa clientèle, il organise dans de nombreuses villes des manifestations dont il assure la promotion. C’est ainsi qu’en 1894 on lui doit la première compétition automobile de France : le Paris-Rouen. Durant des décennies il s’associe au Carnaval de Paris, et reçoit fastueusement la Reine du Carême.
Le 13 mai 1906 il n’a pas de mal à convaincre Marie Roux de le laisser organiser une Fête du muguet. Au programme : un concours du plus beau bouquet (catégorie du plus beau panier et celle de la plus belle corbeille), le concours de la plus belle façade fleurie, remporté par le chapelier Labussière, 17 rue Nationale, des excursions gratuites, de la musique, et un grand bal.
Cette fête remporte un certain succès, toutefois c’est la Fête des sapeurs pompiers de Seine-et-Oise, dont le Petit Journal est également co-organisateur le 27 mai suivant, qui marque le plus les esprits, avec l’envol d’un ballon de la place du tribunal. Il existe d’ailleurs des cartes postales de la fête du 27 mai, mais aucune de la première édition de la fête du muguet : ce signe ne trompe pas.
Le 26 mai 1907, la seconde édition de cette fête est organisée par « la Presse locale et le Petit Journal, avec le concours des sociétés locales. Sous les auspices de la Municipalité. »
Son programme s’est enrichi. Il y a maintenant deux concours principaux : bouquets et enfants fleuris, deux secondaires : boutiques ornées, et fenêtres fleuries, et un cinquième qui dépend des autres : le concours de photographies.
Les enfants défilent sur leurs vélos fleuris : c’est la toute première version du défilé de chars, et c’est déjà la manifestation principale de cette fête.
Le Président de la République a offert personnellement un vase de Sèvres pour une tombola tirée le soir de la fête, après les représentations données au théâtre de verdure, et avant le grand bal..
Cartes postales sans doute de la fête de 1908
Et c’est lors de la troisième édition, le 24 mai 1908 que le succès de la fête est vraiment confirmé et qu’elle devient fête municipale.
Le « défilé des enfants fleuris » en reste l’attraction principale. Tandis que de jeunes bouquetières vendent leur muguet, 50 enfants se réunissent dans l’avant-cour du château, et font un circuit dans le parc. « Jeunes amazones, voiturettes fleuries, un jeune chevrier, des garçons avec leurs ombrelles, leurs cerceaux, leurs automobiles ou bicyclettes fleuries… chez presque tous l’originalité s’unit au bon goût et à la grâce, aussi les personnes présentes restèrent émerveillées » (le Progrès).
Les commerçants, mais aussi nombre de particuliers ont décoré leur façade « avec un soin et un art dignes d’éloges (…) tout le monde est d’accord pour dire que le décor spontané de Rambouillet a été merveilleux ».
Les fanfares du 12ème Cuirassier, celle de l’Ecole Militaire, la Société Musicale, la chorale, les trompettes ont animé la fête, qui s’est terminée par un bal et une retraite aux flambeaux, pendant que monsieur Aubry présentait sa séance de cinématographe en extérieur.
La veille, samedi 23 mai, avait eu lieu en outre une soirée de gala pour la remise des prix d’un concours de poésie dont Edmond Teulet (un homme de lettres alors assez connu) a commenté le résultat. C’est le poème « O muguet ! O muguet !» qui l’a emporté. Je vous en fais grâce : à l’image de son titre, il est un peu daté ! Teulet a du reste fait remarquer que ses douze tercets (strophes de trois vers) ne sont finalement que des stances de six vers coupés en deux, mais a rassuré le lauréat en lui rappelant que Victor Hugo a commis la même erreur. N’est pas Teulet qui veut !
Sautons à la fête de 1911. Le programme précédent est renouvelé (à l’exception du concours de poésie). Le 21 mai, la ville reçoit en outre la Reine des Halles de Paris, venue en train avec la foule de visiteurs parisiens à qui la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest consent chaque année un prix spécial pour cet événement. Mlle Deschamps est couronnée Reine du Muguet.
Ce couronnement sera désormais le temps fort de la fête, avec l’arrivée en cortège de la reine et de ses dauphines.
En 1920 le char de la reine est suivi par celui de la reine du Commerce et celui de la reine de la Forêt.
En 1934 le défilé comprend déjà de nombreux chars fleuris que décrit avec enthousiasme le journaliste du Progrès :
« Voici en tête des chars un cygne géant venu de quelque lac de légende, qui glisse sur la route comme il glisserait sur les eaux. Derrière lui un vautour accroché sur un rocher d’étoffe peinte bat des ailes comme pour un envol. Un cerf lui succède, mais insensible à la musique des cors de chasse, il se repose sur un lit de mousse. Des enfants, tout de blanc vêtus, font un cortège de Pierrots. le printemps a son char et la forêt le sien. L’esprit se laisse aller à des mascarades symboliques et à des confusions musicales ».
Au fil des années, ce cortège prend de l’importance. De nombreuses associations créent leur char (ce qui n’est pas un mince travail ! Il faut beaucoup de petites clochettes blanches pour créer un motif avant qu’elles ne fanent ! )
Voici par exemple le cortège du 12 mai 1939En 1987 le record de 15 chars fleuris sera atteint et ne semble pas avoir été dépassé depuis.
Les témoignages ne manquent pas pour raconter la suite d’une histoire, qui se poursuit aujourd’hui, avec la recherche, toujours compliquée, de nouvelles formules qui pourraient lui donner un nouvel éclat. La Médiathèque de Rambouillet a consacré à la fête du muguet une très belle exposition en 2018 et les informations de la plaquette « Fêtons le muguet« , publiée à cette occasion sont régulièrement reprises par la presse locale.
Je ne m’y attarde pas : je voulais seulement m’intéresser à ses débuts.
La fête du muguet n’a été ni la seule, ni la première des fêtes
Il a existé bien d’autres fêtes à Rambouillet, ainsi que dans les hameaux voisins qui ont été absorbés en gardant une certaine vie de quartier.
Il y a bien sûr la Saint-Lubin. Elle est aujourd’hui prétexte à une fête qui séduit autant ses acteurs que ses visiteurs, au prix d’une grosse préparation qui ne permet de l’organiser que tous les deux ans. Cependant il est plus juste de dire que c’était autrefois une foire (même si un côté festif n’en était certainement pas absent !).
Mais parlons de fêtes aujourd’hui oubliées.
Quand la Révolution s’est empressée de supprimer toutes les fêtes religieuses, elle a jugé nécessaire de les remplacer aussitôt par des fêtes nationales républicaines. Panem et circenses : Juvenal avait déjà compris que la paix sociale a besoin de moments de fête !
Prenons à titre d’exemple la période du Directoire. Henry Levasseur est maire et dans le livre que Lorin lui consacre en 1897, on trouve les procès verbaux des fêtes qu’il organise. Il le fait en application stricte des lois et décrets de l’Assemblée, qui définissent les dates et objets, mais aussi bien les détails pratiques : la liste des personnalités civiles ou militaires tenues à y assister, le déroulement de la cérémonie, etc …
A Rambouillet, lors de chaque fête, doivent être mobilisés « deux pelotons de cavalerie, la gendarmerie, un détachement de la garde nationale ayant à leur tête les commandants et autres officiers, drapeau déployé, tambour battant et un nombre considérable de citoyens avertis par une proclamation…»
Les fêtes se tiennent sur la place de la mairie. Lorsque le temps est trop mauvais on utilise aussi les salles du château – inoccupé à cette époque.
Levasseur prononce un discours. D’autres personnalités également, suivant la nature de la fête. C’est le moment un peu pénible que les participants à une fête doivent supporter avant de profiter d’une collation et de s’adonner tard dans la nuit aux plaisirs de la danse. Ceci n’a pas tellement changé. A l’époque, l’absence de sono devait réserver le discours aux spectateurs des premiers rangs, et la carrière politique exigeait probablement d’avoir un bel organe vocal. Aujourd’hui encore, la qualité de la sono de Rambouillet n’est pas son point fort !
Tous les procès verbaux de Levasseur insistent sur l’enthousiasme de la foule : il faut montrer aux autorités départementales le bon esprit de Rambouillet, et que son statut de ville royale n’a en rien diminué son ardeur patriotique. Il n’est pas inutile de prouver aussi les qualités de meneur du citoyen-maire (que Napoléon reconnaîtra en le nommant premier sous-préfet de Rambouillet).
18 Floréal an V (7 mai 1797) la Fête des Epoux .
Elle a lieu « sur la place, près de l’autel de la Patrie, décorée et entourée d’arbres, arbustes, fleurs et feuillages autant que la saison peu avancée a pu le permettre ». La République tient à ce que l’abandon du mariage chrétien ne soit pas perçu comme un encouragement à l’union libre. Les nouveaux époux du canton sont donc honorés.
« Il me suffira de vous dire que les récompenses que la nation décerne aux personnes mariées, qui par quelque action louable ont mérité de servir d’exemple à leurs concitoyens, sont un gage non équivoque de son désir ardent de voir chaque ménage se disputer l’honneur de se rendre digne de ses regards paternels » … (discours de Levasseur)
11 Messidor an V (29 juin 1797) : Fête de l’agriculture.
Les Gardes forestiers du canton en armes, et de nombreux cultivateurs se sont joints à la fête, autour de l’arbre de la liberté.
Les commissaires de l’Administration ont désigné le citoyen Charles-Germain Bourgeois, régisseur de l’établissement rural et national, comme étant le cultivateur du canton dont la bonne conduite, l’intelligence et l’activité méritaient d’être récompensées. Il reçoit donc son prix. La fête étant contrariée par la pluie, c’est dans les salles du château qu’ont lieu les danses qui terminent cette cérémonie, après les discours consacrés à une agriculture qui ne se savait pas encore bio .
Les 9 et 10 Thermidor (27 et 28 juillet) on danse pour la Fête de la Liberté.
La Fête des vieillards, a lieu le 2 fructidor (19 août). Le citoyen Milocheau, bourrelier, y reçoit la couronne de lierre décernée au vieillard le plus vertueux. Je me demande quels étaient les critères (curiosité gratuite : je ne souhaite pas m’y présenter !).
Le 2 pluviôse (21 janvier 1798) il semble que Levasseur a du mal à mobiliser pour la Fête de la juste punition du dernier roi des Français. Il faut dire que Louis XVI a laissé de bons souvenirs dans Rambouillet, où son gouverneur, le comte d’Angiviller, a réalisé des travaux importants…
Le 30 ventôse (20 mars) c’est la Fête de la souveraineté du peuple.
Le 10 germinal (30 mars) la Fête de la jeunesse.
Plus tard, le 15 août 1808 Rambouillet fête la Saint-Napoléon qui se termine, le soir, par une illumination générale, différents jeux et bals champêtres dans le parc, des feux d’artifice sur les places publiques…
Certaines de ces fêtes révolutionnaires seront supprimées au Consulat. Des fêtes religieuses seront alors rétablies…
Cette réflexion de Diderot tirée de sa « Lettre à d’Alembert sur les spectacles » est très bien observée, et elle me semble pouvoir s’appliquer aussi bien trois siècles après :
« Plantez au milieu d’une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple et vous aurez une fête.
Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle, rendez-les acteurs eux-mêmes, faites que chacun se voie et s’aime dans les autres afin que tous soient mieux unis ».
Aujourd’hui ne boudons pas notre plaisir, et bonne fête du Muguet 2022 !
Christian Rouet
14 mai 2022