Le drapeau français

« Il n’y a que deux choses à faire avec un drapeau : ou le brandir à bout de bras, ou le serrer avec passion contre son cœur. »

Paul Claudel 

le drapeau flotte sur la mairie

Il flotte en haut de la mairie. Le soleil l’éclaire par derrière, un léger vent l’agite. Il est beau.

Je parle de l’objet et non du symbole : trois belles couleurs qui se marient bien et se détachent sur le ciel bleu : c’est notre drapeau.

Je triche un peu aujourd’hui. En effet, je me suis fixé comme limites, sur ce blog, de n’y parler que du seul pays d’Yveline. Or certes, le drapeau français ne nous appartient pas, et son histoire ne se rattache pas particulièrement à notre région.
Tant pis ! Permettez-moi cette exception : c’est quand même bien notre drapeau, et nous sommes le 11 novembre !

Un peu de vocabulaire

  • L’enseigne : le terme, attesté dès 1100, désigne le « signe de ralliement ». Au XVIème siècle, c’est aussi l’officier qui la porte (également appelé cornette). L’enseigne s’échappe vite du champ de bataille pour venir désigner aussi l’auberge ou la boutique.
  • L’étendard : une « enseigne de guerre ». De standhard « stable, fixe », parce qu’au Moyen Âge, pendant la bataille, il était souvent planté en terre, en un endroit où les combattants pouvaient le voir.
  • Le pennon : «le drapeau triangulaire à longue pointe que portaient les chevaliers au Moyen Âge, au bout de leur lance».
  • La flamme : à partir du XIIIème siècle, un étendard de forme allongée.
  • Le drapeau : d’abord tissu, vêtement, comme le drap, il remplace l’enseigne à partir du XVIème siècle, et devient un terme générique.
  • L’oriflamme : un petit étendard, puis une bannière d’apparat.
  • La bannière : l’enseigne sous laquelle se rangeaient les vassaux du seigneur pour combattre. A partir du XVIème siècle le terme désigne aussi, puis principalement, le drapeau d’une confrérie religieuse.
  • Le gonfanon, ou gonfalon : dès le XVIème siècle, la bannière de guerre.
  • Le pavillon : à partir du XVIème siècle, le drapeau qui indique la nationalité d’un navire, ou qui lui sert à communiquer par signaux.
  • La banderole : la « bande d’étoffe flottante terminée en double pointe qu’on arbore au sommet d’un mât, au fer d’une lance, autour d’un casque de tournoi ».

J’en ai oublié ? C’est bien possible : notre langue est si riche !

Assurément, le champ de bataille ne manquait donc pas d’indications visuelles qui aidaient à distinguer l’ami de l’ennemi. Et pour être sûr de ne pas se tromper, les armes étaient peintes sur les écus, et souvent aussi sur les vêtements.

A l’issue du combat, les drapeaux ennemis, abandonnés sur le champ de bataille, étaient ramassés et servaient de décor au triomphe du vainqueur. Après la victoire de François-Henri de Montmorency-Luxembourg contre le prince d’Orange en 1691, il y en a tant, suspendus aux voûtes de la cathédrale, que le maréchal de Louis XIV reçoit le surnom de « tapissier de Notre-Dame ».

Les drapeaux de l’Ancien Régime

Un drapeau flottait-il sur la bailliage de Rambouillet, avant la Révolution ? Et si oui, lequel ? Assurément pas les armes de Rambouillet, puisqu’elles n’ont été créées qu’en 1887, pour des raisons touristiques !

Alors peut-être la bannière du comte de Montfort, à une certaine époque ? Ou celle d’Anne de Bretagne ? Les armes de la famille d’Angenne ? Celles du comte de Toulouse, avec ses fleurs de lys et son bâton de bâtardise ?

Le drapeau du roi lorsqu’il séjournait au château ?

En réalité, le drapeau n’était hissé, très vraisemblablement, qu’à la seule tour du château.

Les rois mérovingiens avaient combattu sous la protection de la chape de Saint-Martin, apôtre des Gaules, qui était bleue. La monarchie capétienne se reconnaissait dans les seules armes de sa maison : les trois fleurs de lys sur fond azur.

« Mises au nombre de trois, ces fleurs de lys renferment le symbole de la Sainte Trinité et nous représentent parfaitement trois grands attributs de Dieu, sa puissance, sa sagesse et sa bonté ; c’est-à-dire que le royaume de France a toujours excellé sur tous les autres États par la force des armes, la science des lettres et la magnanimité de ses princes, et également pour désigner les trois vertus ordinaires aux rois de France : la valeur, la sagesse et la foi. » D’après « Notice sur l’antiquité et la gloire des lys », par le chevalier H. de Féraudy, paru en 1815.

le drapeau de Philippe Auguste

Bleue encore, la bannière qui flottait pour le couronnement de Charlemagne.

Hugues Capet et ses descendants directs ayant choisi Saint Denis comme protecteur du royaume, c’est donc leur bannière rouge qui se mêle aux étendards aux fleurs de lys. C’est sans doute sa couleur aux reflets de feu qui nous donna le terme d’auriflamma : l’oriflamme. 

Les croisés adoptent une croix blanche pour partir combattre en Terre-Sainte. Au retour, les Français la conservent, sur fond d’azur fleurdelisé, tandis que les Anglais la remplacent par une croix rouge pour venir combattre en France durant la guerre de cent ans. La croix blanche devient alors le signe des partisans du roi de France, et celui de la résistance à l’envahisseur.

A partir du XVIème siècle le blanc devient le signe du commandement. La cornette blanche indique la présence du roi, ou de son représentant sur le champ de bataille. « Si les cornettes vous manquent, ralliez-vous à mon panache blanc » exhorte Henri IV à la bataille d’Ivry en 1590.

Jusqu’à la Révolution, on ne peut donc pas dire que le blanc était la couleur royale.

Les trois couleurs bleu, blanc et rouge se retrouvent d’ailleurs en Ile-de-France, depuis le Moyen-âge, en bordure de nombreuses miniatures, pour désigner le pouvoir royal, et depuis les Valois, la livrée des gens de service à la cour était bleu, blanc et rouge.

miniature : le sacre de Philippe Auguste

La cocarde

Le 12 juillet 1789, dans les jardins du Palais-Royal, Camille Desmoulins prend une feuille verte et la place à son chapeau, incitant la foule à en faire autant pour marquer son adhésion à la mobilisation générale. Or on réalisa très vite que le vert était la couleur du comte d’Artois (futur Charles X), alors très impopulaire. On s’empressa donc de remplacer les cocardes vertes par des cocardes de différentes couleurs, souvent blanches ou rouges.

Après la prise de la Bastille, les cocardes bleu et rouge devinrent populaires parce qu’elles étaient celles de la garde municipale parisienne. Lafayette, qui peut être considéré comme l’inventeur de la cocarde tricolore revient d’Amérique, où ces trois couleurs sont celles de la guerre d’indépendance contre l’Angleterre. La sympathie ressentie en France pour cette révolution menée contre notre ennemi héréditaire a déjà rendu populaires ces couleurs. Commandant de la garde nationale qui vient d’être créée, Lafayette aurait choisi d’unir le bleu et le rouge de la milice parisienne, au blanc de l’uniforme des gardes français, ralliés au mouvement insurrectionnel afin de fédérer les deux troupes.

Le 17 juillet 1789, le roi, reçu à l’Hôtel de ville accepte de porter cette cocarde, en signe de réconciliation.

Ce n’est pas un grand sacrifice ! Il faut insister : le blanc ne symbolisait pas, alors, la royauté. Si cela avait été le cas, nul doute que cette couleur aurait été retirée du drapeau, lors du procès puis de l’exécution du roi. Dans les textes de 1789, le blanc est présenté comme couleur de la France.

Le 20 mars 1790 l’Assemblée Nationale décide que «  lorsque les officiers municipaux seront en fonction, ils porteront pour marque distinctive une écharpe aux trois couleurs de la nation : bleu, rouge et blanc ». Le 18 juin 1790 toutes les cocardes autres que la cocarde tricolore sont interdites. Et pour la fête de la Fédération, le14 juillet 1790, le drapeau tricolore est omniprésent.

Pour autant il est loin d’être normalisé : les bandes peuvent être horizontales aussi bien que verticales, le rouge peut être attaché à la hampe comme peut l’être le bleu… Le premier drapeau national de la 1ère république est trop complexe pour s’imposer longtemps.

le drapeau de la 1ère République

l faut attendre le décret du 15 février 1794 pour qu’une norme soit adoptée : « le pavillon national sera formé des trois couleurs nationales, disposées en trois bandes égales, posées verticalement de manière que le bleu soit attaché à la gauche du pavillon, le blanc au milieu et le rouge flottant dans les airs ».

Le drapeau tricolore s’impose

Lorsque le roi est arrêté, le blanc, couleur du commandement aux armées du roi, devient tout naturellement le signe de ralliement des insurgés vendéens. Drapeau blanc contre drapeau tricolore : le drapeau vainqueur sort renforcé de cette confrontation et s’impose comme emblème national.

Napoléon aurait pensé le remplacer par un drapeau vert à abeilles d’or, mais conscient de l’attachement de ses armées à un drapeau qu’elles ont déjà porté sur tant de champs de bataille, il y renonce vite. L’aigle impérial vient toutefois remplacer la flamme, au sommet de la hampe, d’où le nom d’aigles donné aux drapeaux de ses armées.

Puisque le drapeau français est devenu le symbole de la République, c’est tout naturellement qu’à la Restauration, le roi Louis XVIII impose le drapeau blanc de ses partisans, pour indiquer le retour de la royauté.

Restauration : le drapeau utilisé pour indiquer la présence du roi

Cependant ce drapeau est mal accepté, et sous la Révolution de Juillet, Louis-Philippe, qui succède à Charles X, s’empresse de rétablir le drapeau tricolore.

Certes, lors de la Révolution de 1848 (de même que sous la Commune, en 1871), on songe à le remplacer par un drapeau rouge, symbole de la répression du peuple insurgé. L’intervention de Lamartine est décisive

:« Le drapeau rouge que vous nous rapportez n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple en 91 et 93, alors que le drapeau tricolore a fait le tour du monde avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie ! ».

Philippoteaux – Lamartine repoussant le drapeau rouge à l’hôtel de ville, le 25 février 1848

En 1873 la France est prête à accepter une seconde Restauration, et à reconnaître Henri V, comme roi des Français. Cependant le prétendant au trône annonce qu’il rétablira le drapeau blanc « Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d’Henri IV ». Or même ses soutiens royalistes se sont attachés au drapeau tricolore. L’intransigeance du prétendant au trône met fin à ce projet de Restauration, et la 3ème République est instaurée.

Le drapeau tricolore ne sera plus abandonné.

L’époque moderne

Aucune des lois définissant les couleurs du drapeau n’en a précisé les nuances. Je ne sais d’ailleurs pas si avant l’invention récente des normes Afnor ou des codes Pantone les désignations des couleurs étaient très précises.

A l’origine, en tous cas, le bleu était un bleu marine assez sombre : un bleu nuit. Le rouge, un rouge-orangé assez vif.

En 1974 le président Giscard d’Estaing modifie ces couleurs pour les éclaircir, et notamment pour adopter le bleu du drapeau européen. Je ne me souviens pas que cette décision ait provoqué alors des réactions; il est vrai que les réseaux sociaux n’existaient pas encore !

Comparaison entre le drapeau normal et la version éclaircie largement utilisée entre 1974 et 2018

A partir de 2018 le président Macron décide de ne plus utiliser cette version éclaircie pour ses allocutions télévisées et en 2020 les drapeaux de la présidence reprennent les couleurs initiales. C’est un livre de 2021 sur les coulisses de l’Elysée qui révèle au grand public ces changements passés jusqu’alors inaperçus.

Les proportions du drapeau sont, elles aussi, normalisées : il est de 50% plus long que haut, et les 3 couleurs sont de même largeur.
C’est en tous cas ainsi qu’est le drapeau lorsqu’il est représenté à plat. Toutefois, le drapeau qui flotte a des proportions de 30%(bleu), 33% (blanc) et 37%(rouge) afin de donner l’impression que ses bandes sont égales, malgré ses mouvements.

Et à la télévision, lors des interventions présidentielles, pour éviter qu’en plan resserré seul le blanc du drapeau apparaisse à l’écran, on utilise un drapeau aux proportions 40%, 20%, 40%.

A Rambouillet le drapeau français est déployé sur le sommet de la mairie, mais aussi sur un mât, sur la place de la Libération, entre le drapeau européen, et ceux des pays avec lesquels Rambouillet est jumelée.

L’ordre protocolaire des drapeaux, tel que je le lis dans les textes officiels, devrait être le suivant : « si les mâts sont alignés vers le bâtiment, le drapeau français est alors le plus proche du bâtiment, le drapeau européen, le plus éloigné ». Pourquoi à Rambouillet le drapeau européen est-il le plus proche de la mairie ? Je n’ai pas trouvé d’explication.  

En feuilletant le « Livre unique de morale & d’instruction civique » par Poignet & Bernat (1931), je me pose la question : présente-t-on encore le drapeau français aux élèves de l’école primaire ?

Dans l’affirmative, je doute que cela soit dans les mêmes termes !

« Livre unique de morale & d’instruction civique » par Poignet & Bernat (1931),

Christian Rouet
11 novembre 2022
un article d’Yveline.org

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