"La nuit des trois rois" ou Chronique des règnes de Louis XIX et de Henri V

Les belles familles

Louis I Louis II Louis III Louis IV Louis V Louis VI Louis VII Louis VIII Louis IX Louis X (dit le Hutin) Louis XI Louis XII Louis XIII Louis XIV Louis XV Louis XVI Louis XVII Louis XVIII et plus personne, plus rien…

qu’est-ce que c’est que ces gens-là qui ne sont pas foutus de compter jusqu’à vingt ?

Jacques Prévert

 Voici une poésie qui montre que Prévert, comme une majorité de Français – Rambolitains exceptés – ignorent qu’il a existé un Louis XIX. Comme il y a eu un Henri V.

L’histoire est pourtant bien réelle, et à quelques jours du 1er avril, je ne résiste pas à l’envie de la raconter, tant elle donne une impression de farce !

Charles X

Sacré roi en 1825 Charles-Philippe de France, dernier petit-fils de Louis XV, succède à son frère Louis XVIII, qui avait retrouvé son trône lors de la seconde restauration, après les cent jours de Napoléon. Il règne sous le nom de Charles X.

La généalogie des Bourbon entre 1715 et 1830

Louis XV règne de 1715 à 1774. Marié à Marie Leczinska. 10 enfants dont le dauphin Louis-Ferdinand.

  • Louis-Ferdinand. Marié en seconde noce à Marie-Josèphe de Saxe. Il meurt en 1765, avant son père, donc sans régner. 9 enfants dont trois fils :
  • – Louis Auguste, futur Louis XVI. Marié à Marie-Antoinette d’Autriche. Ils meurent tous deux en même temps que leur fils Louis-Charles (Louis XVII)
  • – Louis-Stanislas-Xavier, futur Louis XVIII. Marié à Marie-Joséphine de Savoie. Pas d’héritiers.
  • – Charles-Philippe, futur Charles X. Marié à Marie-Thérèse de Savoie. Ils ont 4 enfants dont 2 fils:
    • Louis-Antoine . Marié à Marie-Thérèse-Charlotte de France. Ils n’ont pas d’enfants.
    • Charles-Ferdinand. Marié à Caroline de Bourbon. Ils ont 4 enfants. En 1830 il est déjà décédé depuis 10 ans, quelques mois avant la naissance d’Henri, son fils posthume.

Très influencé par les ultraroyalistes Charles X prend un certain nombre de mesures impopulaires : indemnisation des exilés, loi sur le sacrilège, rétablissement de la censure … et en 1829, le remplacement du vicomte de Martignac, ministre modéré, par le radical Jules de Polignac est très mal accueilli par le peuple.

Le 18 mars 1830, à l’ouverture de la session parlementaire, 221 députés expriment respectueusement leur défiance vis-à-vis de la politique de Polignac.

Le 26 juillet 1830 Charles X chasse à Rambouillet avec son fils ainé, le Dauphin Louis-Antoine, comte d’Artois.

Au cours du dîner, auquel assiste Delorme, le maire de Rambouillet, il est beaucoup question d’ordonnances promulguées le matin même, mais leur portée échappe au maire qui pourra seulement confier à ses administrés qu’il est manifestement en train de se passer quelque chose d’important !

Et ce soir là, le roi et le dauphin retournent ensemble à Saint-Cloud.

Les Rambolitains n’en apprendront pas plus les jours suivants : aucun journal ne paraît les 27, 28 ni 29 juillet. C’est par les récits contradictoires de quelques rares voyageurs que les Rambolitains apprennent que par « les quatre ordonnances du 26 juillet », le roi a dissout les chambres, afin d’obtenir une majorité plus forte à travers de nouvelles élections. Il a convoqué les collèges électoraux en changeant de mode d’élection, et suspendu la liberté de la presse.

Il faudra attendre la dissolution de l’Assemblée prononcée par Jacques Chirac en avril 1997 avec ce même espoir de renforcer une majorité jugée insuffisante, pour trouver une stratégie politique aussi brillamment efficace !

L’opposition juge ces ordonnances anticonstitutionnelles, et durant trois jours, les 27, 28 et 29 juillet, le peuple se soulève. Les barricades sont dressées contre l’armée royale commandée par Marmont, duc de Raguse. Les combats sont violents dans les rues de la capitale, et le 29, aux termes de ces trois glorieuses journées, les révolutionnaires l’emportent.

Delacroix : « la liberté guidant le peuple » scène des 3 glorieuses

La liste des 504 tués durant ces trois jours (chiffre officiel donné à l’époque) sera gravée sur la colonne de la Bastille afin de perpétuer leur souvenir.

Les parlementaires s’entendent alors pour proposer le trône à Louis-Philippe d’Orléans, fils de Louis-Philippe d’Orléans, dit « Philippe Egalité ». C’est le chef de la maison d’Orléans, branche cadette des Bourbon fondée par Philippe de France, fils cadet de Louis XIII

Mais comment procéder vis-à-vis de Charles X ? Pour le moment Louis-Philippe temporise en prenant seulement le titre de « lieutenant général du royaume. » 

Polignac est limogé. Le 31 juillet il s’arrête à Rambouillet le temps de se rafraîchir quelques instants, avant de reprendre la route vers Chartres, puis Vendôme, pour être finalement arrêté en Normandie.

Quelques heures après son passage, à la tombée de la nuit, le château de Rambouillet reçoit un long cortège : toute la cour royale a fui Saint-Cloud et vient se réfugier ici. Elle est protégée par 600 dragons de la garde, quatre compagnies des gardes du corps, 500 gendarmes de Paris, dix régiments d’infanterie … en tout 12 000 hommes et une trentaine de canons qui prennent position de l’étang de Coupe-gorge à la route de Chartres, et dans le parc du château.

Delorme réquisitionne immédiatement tous les boulangers et bouchers de la ville pour nourrir, aux frais de la ville, ces hôtes inattendus.

Le 1er août Charles X fait rédiger par ses ministres Capelle et Montbel deux proclamations, l’une adressée « aux bons français », l’autre « à l’armée » dans l’espoir de retourner la situation. Mais comment les diffuser ? Finalement il renonce à les utiliser, et annonce qu’il choisit d’adhérer à la nomination de Louis-Philippe comme lieutenant général du royaume.

Capelle et Montbel quittent Rambouillet. Ils réussiront à sortir de France. Tous les autres ministres du gouvernement de Polignac seront arrêtés et condamnés à la détention perpétuelle.

La journée du 1er août se passe à attendre des nouvelles de Paris. Pour calmer l’armée dont le ravitaillement n’a pas été assuré, le roi autorise à chasser dans le parc. En un instant « quatre ou cinq mille pièces furent abattues » et les soldats retrouvent le moral et l’envie d’en découdre avec la populace.

Mais Charles X ne voit pas d’issue à l’impasse dans laquelle il se trouve. Le 2 août il se décide à réunir ses proches et à leur donner lecture des actes d’abdication qu’il a préparés, et de la lettre d’accompagnement qu’il adresse à son cousin Louis-Philippe :

« Rambouillet, ce 2 août 1830.

Mon cousin, je suis trop profondément peiné des maux qui affligent ou qui pourraient menacer mes peuples pour n’avoir pas cherché un moyen de les prévenir. J’ai donc pris la résolution d’abdiquer la couronne en faveur de mon petit-fils le Duc de Bordeaux. Le Dauphin, qui partage mes sentiments, renonce aussi à ses droits en faveur de son neveu.

Vous aurez donc, en votre qualité de lieutenant général du Royaume, à faire proclamer l’avènement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d’ailleurs toutes les mesures qui vous concernent pour régler les formes du gouvernement pendant la minorité du nouveau Roi. Ici je me borne à faire connaître ces dispositions ; c’est un moyen d’éviter encore bien des maux.

Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique, et vous me ferez connaître le plus tôt possible la proclamation par laquelle mon petit-fils sera reconnu Roi sous le nom d’Henri V.

Je charge le lieutenant général vicomte de Foissac-Latour de vous remettre cette lettre. Il a ordre de s’entendre avec vous pour les arrangements à prendre en faveur des personnes qui m’ont accompagné, ainsi que pour les arrangements convenables pour ce qui me concerne et le reste de ma famille.

Nous réglerons ensuite les autres mesures qui seront la conséquence du changement de règne.

Je vous renouvelle, mon cousin, l’assurance des sentiments avec lesquels je suis votre affectionné cousin,

 

Charles Louis Antoine »

 Louis XIX

Si Charles X tient à préciser que «  Le Dauphin, qui partage mes sentiments, renonce aussi à ses droits en faveur de son neveu », il ne s’agit pas d’une vague formule de style.

En effet, si les rois de France ont eu bien des prérogatives, ils n’ont jamais eu celle de désigner leur successeur. Avec l’abdication de Charles X c’est obligatoirement au Dauphin que revient la couronne, et si son père peut l’inviter à y renoncer à son tour, il n’a aucun moyen légal de l’y obliger.

Il semble avéré que Louis-Antoine n’avait pas l’intention de renoncer au trône, cependant il n’a pas le courage de résister à la volonté de son père. « Puisqu’ils ne veulent pas de moi, qu’ils s’arrangent » commente-t-il seulement, avant de signer son acte d’abdication.

Ainsi le règne de Louis XIX commencé le 2 août 1930 par l’abdication de Charles X, se termine-t-il vingt minutes plus tard par la signature de son acte d’abdication.

Cet acte sera son seul acte royal, et son règne assurément le plus court de tous les règnes de France.

Ajouterai-je que c’est le seul souverain dont la totalité du règne s’est passée à Rambouillet ?

Henri V

Avec l’abdication de Louis XIX, c’est son neveu Henri qui devient roi, sous le nom de Henri V (son père, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, fils cadet de Charles X, est décédé dix ans plus tôt, victime d’un attentat).

Henri a neuf ans. Il interrompt ses jeux pour venir signer les documents qu’on lui présente.

« Bon-papa qui est si bon n’a pu faire le bonheur de la France, alors on veut me faire roi ? » s’étonne-t-il quand le baron de Damas vient lui expliquer la situation. « monsieur le baron c’est impossible ! »

Lenotre qui consacre un chapitre entier à cette abdication, dans son livre sur « Le Château de Rambouillet », et dont je tire l’essentiel de ces détails, souligne en rapportant ses paroles, qu’elles constituent bien « le seul discours du Trône, prononcé par Henri V » !

En cette nuit du 2 août 1830, le château de Rambouillet abrite donc trois rois de France : Charles X, Louis XIX et Henri V. Situation absolument unique !

La fuite

Louis-Philippe, recevant la lettre de son cousin, et les actes d’abdication, s’empresse d’annoncer celles de Charles X, et du Dauphin, mais se garde bien d’évoquer Henri V, qui contrarie ses plans. Et le 9 août la monarchie de juillet sera proclamée.

On sait que de nombreux royalistes légitimistes, comme Chateaubriand, n’apprécièrent que modérément cette façon de monter sur le trône.

Louis-Philippe qui souhaitait régner sous le nom de Philippe VII pour se placer dans la continuité de la Restauration, accédera finalement à la demande des révolutionnaires qui veulent marquer symboliquement le changement et deviendra le premier « roi des Français » sous le nom de Louis-Philippe 1er.

Il sera le seul roi de la monarchie de juillet, car son fils, Louis-Philippe II, en faveur de qui il abdiquera après la révolution de 1848 ne sera pas reconnu,  tout comme lui-même avait refusé de reconnaître Henri V !. 

Mais entre-temps que s’est-il passé à Rambouillet ?

Toute la journée du 3 août le roi a attendu avec confiance une réponse à sa lettre et à son abdication. Le choix d’un enfant de neuf ans pour accéder au trône lui semble de nature à satisfaire Louis-Philippe qui pourra exercer le pouvoir comme régent, tout en garantissant les droits de la famille royale.

Hélas, le soir il reçoit trois commissaires du gouvernement provisoire porteurs de nouvelles inquiétantes : « Tout Paris est à Coignières ! Dans deux heures, soixante à quatre-vingt mille parisiens seront ici pour s’emparer de la famille royale et la ramener à Paris ! »

le « départ de la populace vers Rambouillet » a fait l’objet de plusieurs représentations fantaisistes

Certes, Charles X dispose d’une armée de 12 000 hommes, probablement mieux armés et entraînés que ces 80 000 parisiens, mais maintenant qu’il a abdiqué, l’armée lui restera-telle fidèle ?

Et que veut cette foule ? Sait-elle seulement que le roi a abdiqué ? Les informations des commissaires sont loin d’être précises, peut-être pour pousser le roi à s’enfuir, mais plus vraisemblablement parce qu’eux-mêmes ont quitté Paris la veille. Ils ont passé la nuit à l’hôtel Saint-Martin dans l’attente d’une entrevue avec le roi, et n’ont sans doute pas d’informations plus fiables.

Après quelques moments de réflexions, Charles X renonce à résister. Mais pas question de se laisser reconduire à Paris comme l’avait accepté Louis XVI ! En quelques heures les bagages sont faits et la cour, (ce qu’il en reste, car beaucoup ont déjà quitté Rambouillet) et toute l’armée se replient vers Maintenon où le duc de Noailles est prêt à les recevoir.

Les autorités de Rambouillet se retrouvent seules devant un château désert que les insurgés vont probablement vouloir détruire, en les tenant responsables d’abord d’avoir accueilli le roi, et ensuite de ne pas s’être opposé à sa fuite.

Quel sera l’avenir de nos trois rois ? De Maintenon, Charles X gagnera Cherbourg où il s’embarquera pour l’Angleterre. Il vivra d’abord en Ecosse, puis à Prague, et enfin en Autriche où il décèdera en 1836.

Depart de Charles X a Cherbourg. Illustration for Histoire de Cent Ans by Jules Lermina (c 1870).

A sa mort, Louis XIX devient l’aîné des Capétiens et le chef de la maison de Bourbon, prétendant à la Couronne de France. Il sera reconnu comme roi par les légitimistes sous le nom de Louis XIX mais ne pourra jamais revenir d’exil. Il mourra en 1844 en Slovénie.

Quant à Henri V il reviendra en France en 1870 après la chute du second empire. Il pourrait alors revenir sur le trône, mais il exigera de remplacer le drapeau tricolore par le drapeau blanc, et son intransigeance fera finalement obstacle à ce projet de troisième restauration.

Mais revenons à Rambouillet !

Le maire donne à la hâte des instructions : tout ce qui peut rappeler Charles X et donner l’impression que la ville lui était favorable doit être immédiatement détruit. Tous les boulangers, tous les bouchers doivent à nouveau se mobiliser : cette fois il faut se préparer à recevoir, et à amadouer, 80 000 révolutionnaires.

« 80 000 ? Attendez-vous à en recevoir 150 000 : il en vient de toutes les directions » annonce-t-on à Delorme.

Et à la tombée de la nuit, voici l’avant-garde des parisiens : ils sont une douzaine, qui se font ouvrir le château et y passent la nuit.

Vers sept heures du matin, trois à quatre cents très jeunes gens, exaltés et assoiffés arrivent à leur tour au château. La fuite du roi les laisse indifférents. Ils demandent des armes pour pouvoir chasser dans le parc, et la seule victime de la journée sera l’un d’eux, tombé sous le feu des chasseurs improvisés.

Au total, ce seront moins de 1 200 révolutionnaires, très peu armés, qui arriveront dans la journée à Rambouillet, en lieu et place des 80 000 annoncés. Et c’est sous la menace de cette armée fantôme que le roi a fui avec ses 12 000 soldats et ses 38 canons.

Les Parisiens, après leur journée de chasse et de joyeuses libations repartent en fin de journée, sans commettre d’exactions, en réquisitionnant toutes les voitures, carrioles ou charrettes pouvant les ramener à Paris, dont sept carrosses abandonnés par la Cour, sur lesquels ils réussissent à s’entasser à plus de trois cents.

L’histoire ne dit pas ce que les Rambolitains firent des provisions amassées pour cinq ou six fois plus de convives, mais leur soulagement l’emporta certainement sur la contrariété d’avoir à en assumer le coût, qui s’additionnait pourtant à celui de l’hébergement du roi, sans espoir de remboursement.

A cette histoire rocambolesque, il faut ajouter une dernière anecdote.

La cour, en se retirant, avait abandonné huit carrosses devant le château. En ouvrant l’un d’eux, avant l’arrivée des Parisiens, on s’aperçu qu’il contenait tous les bijoux de la couronne. Erreur due au départ précipité ? Volonté de se débarrasser d’un trésor dont la famille royale n’avait que la jouissance ?

Le maire, très embêté par cette responsabilité, fit mettre sur les caisses les scellés de la ville, et le fourgon fût soigneusement dissimulé. Il sera remis le 4 août contre décharge à un envoyé de Louis-Philippe.

Christian Rouet

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