Un café peut en cacher un autre

Voulez-vous prendre un café avec moi ?

Quand le café, importé des pays arabes, commença à se répandre en Italie, son entourage pressa le pape Clément VIII de l’interdire en le déclarant boisson d’infidèle. Heureusement il n’en fit rien : on raconte que, l’ayant goûté, il déclara qu’il eut été dommage de laisser le plaisir de cette boisson aux seuls infidèles !

Réjouissons-nous de cette décision ! Après un premier établissement ouvert à Marseille en 1671, et le Procope en 1686 à Paris, des cafés ouvrent dans toute la France, et les auberges ou débits de boissons traditionnels rajoutent le café à leur carte.

A voir la liste des débits de boissons, auxquels s’ajoutaient les auberges, hôtels et restaurants, il n’a jamais été difficile, à Rambouillet, de sortir prendre un café, même si leur nombre a fortement diminué en un siècle :

42 « cafetiers-débitants » dans l’annuaire professionnel de 1914,

47 « cafetiers-débitants » dans celui de 1935,

22 « cafés, bars, tabacs » dans l’annuaire de 1954

15 « cafés » en 1980

14 « cafés » aujourd’hui

Par café, on entend normalement un endroit où il est possible de consommer debout au bar (parfois à un prix moins élevé qu’assis en salle) alors qu’il n’est possible de prendre un café dans une auberge, ou un restaurant, qu’assis, et parfois seulement en complément d’un repas.

Aujourd’hui, avec le développement des machines, pour recenser tous les lieux où il est possible de prendre un café, il faudrait y ajouter de nombreuses boulangeries, et quantité de salles ouvertes au public : hall de gare, salle d’attente dans une banque, couloir d’un hôpital, etc…

percolateur ancien

Reconnaissons toutefois que jusqu’à une époque récente le Français préférait commander au comptoir un verre de rouge plutôt qu’un café, ce qui s’expliquait non seulement par la longue tradition viticole de notre pays, mais aussi par la mauvaise qualité du café. L’Italie a eu, dans ce domaine, une avance à nous rendre jaloux.

Le café a été servi en infusion jusqu’au début du XIXème siècle. Après plusieurs inventions on revient à l’infusion en 1924, mais avec un filtre intégré dans la cafetière, et un piston qui presse l’eau sur le marc. Jusqu’à la seconde guerre mondiale les établissements sont équipés de percolateurs, dans lesquels l’eau est poussée par la force de la vapeur. A partie de 1940, les italiens perfectionnent le système, et la pression de l’eau chaude remplace celle de la vapeur qui avait l’inconvénient de donner au café un goût de brûlé. Depuis les années 70 les machines sont équipées de deux cuves séparées : l’une pour produire la vapeur de compression, et l’autre pour la distribution du café dont la température peut ainsi rester plus basse.

Depuis 1994, la capsule Nespresso a révolutionné la consommation du café, grâce à une excellente qualité et un marketing exceptionnel, et en dépit de prix élevés, jusqu’à ce que ses brevets tombant dans le domaine public, la concurrence puisse s’organiser.

Mais reste le plaisir de prendre son café dans un lieu public, d’y retrouver des amis et une clientèle d’habitués qui choisissent un établissement en fonction de son emplacement, de son cadre, ou de la gentillesse de l’accueil. Tout ce qu’un tête-à-tête, chez soi, avec sa machine Nespresso ne peut nous proposer.

Des évolutions contraires

Ce qui est intéressant, lorsqu’on regarde l’évolution des cafés de Rambouillet (et j’imagine que la remarque vaut pour n’importe quelle ville) c’est de voir que ces établissements ont évolué de deux façons contraires : du bar à la restauration, ou de la restauration au bar.

Dans le premier cas, un bar (ou bar-tabac) ajoute à ses consommations, à l’oeuf dur, la corbeille de croissants et le  jambon-beurre, un peu de brasserie : croque-monsieur, croque-madame avec l’oeuf en supplément, et salade du chef … Et après quelques années, il abandonne l’activité de bar pour ne conserver que celle de  restauration.

Citons par exemple le Drink-Store créé par Marcel Azzopardi, à l’entrée de la rue de Gaulle (place de la Libération). Les anciens Rambolitains n’ont pas oublié que sa salle emprisonnait le tronc d’un platane. C’était un bar mais aussi une discothèque.

Repris par André Bisson, en nom personnel en 1973, puis par son fils en société à partir de 2011, le Restaurant Bisson devient un restaurant de cuisine traditionnelle française, et cesse d’apparaître dans les listes de « cafés-débits de boissons ».

Aujourd’hui son emplacement  vient d’être repris par la société GCTB (Guillaume Chapelle/ Tiffanie Beurtey) et dès le mois de juin 2023, le Limonaia nous proposera sa cuisine italienne de qualité.

En 1835 le Palais du Roi de Rome  est démembré et vendu à plusieurs acquéreurs. Ses deux ailes sont prolongées de 2.5m pour venir à l’alignement de la rue, et l’aile gauche (54 rue de Gaulle) abrite désormais la Civette, un tabac, qui devient ensuite café-tabac. La façade a conservé le souvenir de cet établissement.

la civette
1913

Il n’occupe tout d’abord que le tiers de l’aile, le reste abritant une entreprise de serrurerie. Lorsque celle-ci est transférée rue des Petits-Champs (rue Clemenceau) en 1903 le bar-tabac peut s’agrandir.

En 1931 l’établissement est cédé par Bonnefond à Louis Ginisty. En 1935 c’est sa veuve qui l’exploite. Elle vend le fonds en 1938 à André Clavel.
Ainsi que l’indique Mme Guillaumain dans son commentaire ci-dessous, la famille Clavel décide accidentellement, et le café, connu sous le nom de Café du Roi de Rome, est ensuite tenu par les Caussanel.
Laurent Lachaud le gère de 2000 à 2003. (j’ai encore des trous !)

En 2003, une première crêperie reprend l’emplacement sous le nom de Phare Saint-Louis. En 2017 elle devient la Crêperie du Roi, avec ses salles et sa terrasse extérieure, dans la cour du Roi-de-Rome.

2022

A l’inverse, de nombreux hôtels-restaurants scindent leurs locaux lorsque le tourisme déserte Rambouillet après des années fastes qui avaient profité du chemin de fer et des spectacles offerts par la ville : la chasse à courre, la fête du muguet, la fête de la Ruche, etc…

Je pourrais citer par exemple l’Hôtel-restaurant Parisien.

Au début du XXème siècle il est sur la place Félix-Faure, entre la boucherie et un tabac, avec sa salle de restaurant en rez-de-chaussée et ses chambres en étage.

Il ferme. Les étages sont vendus en appartements, et son rez-de-chaussée est conservé comme bar-brasserie.

En 1974 son propriétaire, M. Chateau, double sa surface, en absorbant la petite épicerie (qui a remplacé le tabac), à sa gauche. Malgré cette extension, la place reste insuffisante pour cumuler l’activité de restauration avec celle de tabac. M. Chateau cède donc son Celtique, et traverse la rue pour poursuivre l’activité de tabac et de maison de la presse.

1974

Durant plusieurs années le Celtique connaît de nombreux gérants libres, et rencontre bien des problèmes qui conduiront à sa faillite. Compliquée par un décès, la procédure empêche la réouverture de cet excellent emplacement durant plus de deux ans.

démolition de l’ancienne terrasse
la salle est entièrement restructurée

Repris aujourd’hui par Stephan Romagnolo qui a complètement restructuré les lieux, c’est sous le nom de l’Industrie qu’il est rouvert, et connaît un beau succès tant en bar qu’en restaurant ouvert 7 jours sur 7.

l’Industrie 2023

De la même façon, le Grand Hôtel du Dauphin, en face de la place Marie-Roux a fermé ses portes, transformé ses chambres en appartements, et seule la partie gauche du porche a été conservée comme bar-restaurant.

Afin de réduire ses coûts de fonctionnement, M. Baud, qui le tient de 2012 à 2018, négocie sa division en deux parties. L’arrière, avec accès par la cour, devient le Taj Mahal, restaurant asiatique en fond de cour, remplacé en 2016 par l’Epicurien. Un restaurant français qui prend la place d’un restaurant exotique ? Le cas mérite d’être signalé : il est plutôt rare !

La partie en façade sur rue conserve la seule activité de bar, sous le nom de Nelson Café avant d’être repris en 2022 par le propriétaire de l’Epicurien, sous le nom improbable de Joliz & Nalio. En fait, il s’agirait des premières lettres du prénom des quatre enfants du gérant.

La fermeture de chambres d’hôtel, et la transformation des étages en appartements est d’ailleurs une constante que l’on retrouve dans de très nombreux immeubles du centre-ville : effet conjugué de la baisse de la demande, et de la multiplications des normes de sécurité et d’hygiène.

Et je citerai aussi le cas du Prado, 12 place Félix-Faure.

Ici aussi c’est une division de surface qui amène la création d’un bar indépendant, mais son origine est différente.

Vous vous demandez si ce café doit son nom à la plage de Marseille, ou au musée madrilène ?  Vous n’y êtes pas ! M.et Mme Pradaud tenaient la boulangerie attenante, et l’avaient agrandie en créant le café du Pradaud. Armand y a travaillé comme salarié, puis comme gérant salarié, avant de devenir propriétaire du fonds de commerce.

Armand derrière son comptoir. Au mur photos de M.Pradaud, déguisé

Lorsqu’Armand a pris sa retraite, son repreneur, comprenant que le nom n’évoquait plus rien à la majorité des clients, mais désireux d’en conserver le souvenir en a fait très intelligemment Le Prado.

Une belle façon de faire du neuf avec du vieux !

Bon, je m’arrête là, parce que trop de café, ça finit par m’exciter. Mais il reste bien des établissements à évoquer !

Christian Rouet
avril 2023

Cette publication a un commentaire

  1. Anonyme

    le café du Roi de Rome a été tenu dans les années 50… 70 par la famille CLAVEL d’abord par les parents puis leur fils et leur belle-fille.ces derniers moururent asphyxiés par l’oxyde de carbone émis par le chauffe-eau de leur salle de bains .L’émotion fut grande à Rambouillet . D Guillaumin

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