Sébastien Faure

Né en 1858 à Saint Etienne, Sébastien Faure est le quatrième enfant d’une famille de notables profondément catholique.

Après des études dans un collège de jésuites, il entre au noviciat des jésuites de Clermont-Ferrand, mais avant de mourir son père lui demande de renoncer à sa vocation pour s’occuper de sa famille. Il revient donc à la vie civile et entame une carrière dans l’assurance. La lecture d’auteurs qui lui étaient jusqu’alors interdits, et la découverte des problèmes sociaux, l’éloignent de la religion.

Il se marie, et le couple s’installe à Bordeaux, où S. Faure commence à militer au Parti ouvrier de Jules Guesde.

En 1888, à trente ans, il monte à Paris. Déçu par le collectivisme autoritaire et le socialisme parlementaire il s’engage dans le syndicalisme (dans le Syndicat des hommes de peine qui regroupe des travailleurs sans métier bien défini) et devient anarchiste.

Sa vie devient un combat, qu’il mène par le verbe :

– Des journaux libertaires qu’il crée et développe, mais dont beaucoup ont une durée de vie éphémère, victimes, soit de la censure, soit de difficultés financières…

– Des centaines d’articles, de fascicules, de livres vendus en France et à l’étranger par les mouvements syndicalistes ouvriers et les groupements anarchistes…

– Et surtout des conférences-débats, organisées dans toute la France, qui rencontrent un énorme succès et le rendent célèbre. Elles ont souvent un titre provocateur : « douze preuves de l’inexistence de Dieu, la pourriture parlementaire, ni commander ni obéir, la faillite du christianisme …» et inlassablement Sébastien Faure y prend pour cible l’Etat, le Capital et la Religion.

Outre sa volonté inébranlable qui le met au cœur de toutes les luttes sociales durant plus de cinquante ans, malgré revers, poursuites, condamnations, et en dépit de gros problèmes de santé à partir de l’âge de soixante ans, la célébrité de Sébastien Faure tient à son talent d’orateur, et à ses idées.

Un orateur :

Benito Mussolini assiste à l’une de ses conférences, donnée en Suisse en 1903. Il témoigne de son admiration :

« Faure est un orateur. Il allie la forme classique de l’éloquence à la grâce moderne. Sur ses lèvres la langue française court, animée et légère soutenue par une diction parfaite.

La tribune n’est par pour Sébastien Faure, le lieu d’une réclame personnelle, qui se nourrit de rhétorique et d’applaudissements. De la tribune , Faure ne répand pas les banalités habituelles, mais une large sémination d’idées. Ses conférences sont nourries de pensée et lui ont coûté de longues recherches et de patientes études. Il agite, discute, convie à discuter, toujours calme, imperturbable, inflexible. »

Le Progrès de Rambouillet février 1905

C’est un débateur d’une grande efficacité : la contradiction est toujours possible, et elle est même fortement encouragée dans toutes ses conférences. Très souvent une personnalité locale relève le défi et vient se mesurer à lui. Et tous les témoignages attestent d’une lutte acharnée mais toujours constructive et respectueuse, dont Sébastien Faure sort régulièrement gagnant.

Rappelons que l’époque est propice aux débats d’idées. Dans chaque salle de province, l’occasion de venir écouter des arguments, les discuter, s’instruire par la réflexion est un moment privilégié, recherché par beaucoup, et notamment  des gens très simples, notamment dans le milieu ouvrier.

Enfin, si les idées anarchistes ne sont partagées que par une minorité, beaucoup adhérent à certaines d’entre elles : l’anticléricalisme, à la veille des lois sur la laïcité, la défiance vis à vis des politiciens, nourrie par de nombreux scandales financiers etc.

Les idées :

On ne détaillera pas ici les idées de base des mouvements anarchistes.

Cependant, Sébastien Faure s’est illustré tout particulièrement dans certains combats :

  • l’affaire Dreyfus :

A partir de 1897, Sébastien Faure et Louise Michel se mobilisent en faveur de Dreyfus.

Sans être totalement sûrs de son innocence, ils y voient une victime de leurs ennemis : « Autoritaires chrétiens ou juifs, capitalistes chrétiens ou juifs, officiers chrétiens ou juifs sont pour nous pareils ennemis. Mais l’opprimé, quels que soient son rang, sa tribu, son pays, devient notre compagnon de misère, notre frère en douleur ».

Faure rédige un « J’accuse» plus violent que celui d’Emile Zola :
« j’accuse la propriété individuelle, l’Etat, la loi, la magistrature, l’armée, la religion, l’enseignement, la presse. Principes, institutions, croyances, toutes ces forces sociales procèdent d’une source génératrice : l’autorité. C’est donc l’autorité sous toutes ses manifestations et sous toutes ses formes que j’accuse… »

Il réussit à mobiliser les anarchistes, et une partie de l’opinion publique.
En septembre 1899, le président de la république gracie Dreyfus, mettant fin à « l’affaire » qui a tant divisé les Français.

  • l’éducation :
une fête à la Ruche

Faure écrit beaucoup sur les principes de l’éducation. D’abord simple théoricien, il passe à l’action à partir de 1903, et consacre son temps et ses ressources à la réalisation d’un projet qui lui tient à cœur : éduquer des enfants selon les principes libertaires. Il crée la Ruche, au Pâtis de Rambouillet.

L’histoire de cette école est traitée dans un article spécifique : nous ne la reprenons donc pas ici.

Elle s’arrête en 1917, quand la guerre la prive de ses moyens humains et financiers.

  • la révolution d’octobre

Pendant un temps S. Faure soutient la révolution bolchévique, mais il s’en détache très vite :

« c’est fort inexactement que cette dictature nous est présentée comme étant la dictature du prolétariat. Actuellement le régime sous lequel la Russie est courbée est bien celui de la dictature exercée par le Parti communiste sur le prolétariat de Russie, et par le truchement de ce prolétariat lui-même sur la population russe toute entière. »

  • la guerre d’Espagne :

En 1936 il milite activement lors de la guerre « entre l’Espagne des privilégiés et celle des déshérités ». Des volontaires français, constituent « la centurie Sébastien Faure » et partent combattre sur le front de Saragosse, et lui-même se rend en Espagne où il reçoit un accueil chaleureux. Mais, déçu par les positions du gouvernement républicain, il prend très vite ses distances avec lui, et publie en 1937 un bilan plutôt négatif de l’expérience espagnole.

  • la paix :

Tous les anarchistes y aspirent, et Sébastien Faure a beaucoup milité toute sa vie pour la paix.

Quand la guerre de 14-18 est déclarée, il continue à publier des articles, et son manifeste Vers la Paix est largement diffusé dans les tranchées. Le gouvernement s’en émeut, et Malvy, ministre de l’intérieur, menaçant de faire fusiller tous les soldats qui le lisent, obtient que Faure cesse toute propagande en échange de leur grâce.

Plus tard, vers la fin de sa vie, Sébastien Faure milite pour un pacifisme intégral et naïf, prônant l’objection de conscience absolue et un désarmement inconditionnel à titre exemplaire.

« Si on veut bien comparer les maux relativement légers que déterminerait l’invasion de la France désarmée, aux horreurs qu’entrainerait pour ses habitants une nouvelle guerre, on ne peut que se prononcer pour le désarmement. »

Sébastien Faure et la justice :

La crise économique de 1883-1887 a engendré, partout en Europe, des heurts entre la police et la classe ouvrière. Elle conduit une partie des anarchistes à prôner le recours à la force, et les attentats se multiplient en une spirale classique où la violence de la répression répond à la violence de l’opposition qui se nourrit d’elle.

En France, un premier terroriste anarchiste, Ravachol, est exécuté en mars 1892. Pour le venger Auguste Vaillant jette une bombe dans l’Assemblée Nationale, qui fait plusieurs blessés. Il est guillotiné le 21 mai 1894. En représailles, le 24 juin 1894 l’anarchiste Santo Caseiro assassine le président Sadi Carnot.
Le gouvernement prend alors une série de lois d’exception – qualifiées par l’opposition de « lois scélérates » – qui restreignent la liberté de la presse, étendent la notion de délit à la simple intention, et punissent toute propagande anarchiste selon des critères volontairement mal définis. 

« Ces lois d’exception sont des armes terriblement dangereuses. On les bâcle sous prétexte d’atteindre une catégorie d’hommes spécialement en butte à la haine ou la terreur du public. On commence par les leur appliquer et c’est déjà un scandale et une honte qui devraient faire frémir d’indignation tous les cœurs bien placés. Puis on glisse sur une pente presque irrésistible. Il est si commode, d’interprétation en assimilation, par d’insensibles degrés, d’étendre les termes d’une définition élastique à tout ce qui déplaît, a tout ce qui, à un moment donné, pourrait effrayer le public… » (1898, Francis de Pressensé, président de la Ligue des droits de l’homme)  

Un procès spectaculaire est organisé durant neuf jours, à partir du 6 août 1894, contre trente personnes plus ou moins liées au mouvement anarchiste. S. Faure est l’un d’eux.

L’opinion publique se passionne pour ce procès. Clemenceau écrit «  trente inculpés sont devant les juges. Il y a de tout. Des théoriciens de l’anarchie, des écrivains, un poète, un orateur, et puis des violents, et jusqu’à des cambrioleurs qu’on a fourré là pour essayer de déshonore les doctrinaires ».

Au final, tous les inculpés sont acquittés et le verdict en calmant les esprits, met fin au cycle des attentats.

Le procès renforce la notoriété de Sébastien Faure.

Le 23 septembre 1917 Sébastien Faure, dont les écrits en faveur de la paix dérangent l’armée et le gouvernement, est accusé d’agression sexuelle à l’égard d’une fillette, porte de Clignancourt. Une congestion pulmonaire l’empêche de se présenter à son procès. Durant sa convalescence il est arrêté et c’est à l’infirmerie de la prison de la Santé qu’il attend son passage devant la dixième chambre correctionnelle, le 28 janvier 1917.

Après un simulacre de procès, il est condamné à six mois d’emprisonnement. Même ses adversaires évitent de commenter le jugement, tellement il est évident qu’il s’agit d’un coup monté, visant à le faire taire.

Après avoir purgé sa peine, Sébastien Faure se remet physiquement et moralement. Il reprend ses publications, et dès que la guerre est terminée, ses conférences. 

« on a cru probablement m’abattre par cette condamnation. On a eu tort de croire cela. Si physiquement je suis quelque peu débilité à l’heure actuelle, je conserve intacte mon intelligence et mon énergie. »

 En 1921 une seconde affaire de mœurs vient ternir sa réputation. Accusé de rapports sexuels avec une mineure, il est condamné à huit mois de prison, le 15 juin 1921, mais bénéficie d’une remise de peine.

Si sa première inculpation de 1917 était clairement un coup monté, cette nouvelle affaire est plus douteuse. Les relations sexuelles semblent probables, mais sans doute sans savoir qu’il s’agissait d’une mineure. Un de ses collaborateurs témoigne  : « j’ai rencontré dans les couloirs du Palais de justice cette demoiselle qui racolait les hommes et paraissait âgée au moins de dix-huit ans. Vous et moi n’eussions point résisté à ses avances pour peu que nous ayons été célibataires et sevrés de tendresse féminine » .

Sébastien Faure souffre beaucoup de passer pour un débaucheur d’enfants et envisage de cesser toute vie publique.

Cependant, poussé par ses amis, il reprend vite publications et conférences.

La fin :

Son épouse, qui ne partageait pas ses idées – notamment en matière de religion – avait obtenu le divorce en 1888, mais elle était restée toute sa vie en contact avec lui.

En 1928, alors que la santé de Sébastien Faure s’est beaucoup altérée, elle revient vivre avec lui.

Ensemble, ils vont passer trois mois à Royan, en juin 39, pour que Sébastien puisse se reposer, mais la guerre les contraint à prolonger indéfiniment leur séjour. Sans ressources ils ne vivent que de l’aide de quelques amis qui n’ont pas oublié le grand anarchiste.

Avec les privations, la santé de Sébastien Faure s’aggrave et, ironie du sort, en 1942, c’est un 14 juillet qu’il meurt d’une congestion cérébrale, pendant que défilent les militaires qu’il a toujours combattus. Il a quatre-vingt quatre ans.

 

Christian Rouet
février 2021

Source principale : « Sébastien Faure et la Ruche » de Roland Lewin.

Cet article a 3 commentaires

  1. Eric Thibaut

    Je découvre une personnalité inconnue. Merci, monsieur Rouet.

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