Que d'eau, que d'eau ...
Le mois d’octobre 2024 a été marqué par de brutales inondations, et 75 communes d’Yvelines ont été durement touchées, comme Epernon ou Saint-Rémy-lès-Chevreuse…
Il semble que les énormes investissements réalisés à Rambouillet pour éviter que Groussay ne se trouve à nouveau inondé aient été efficaces, mais le parc du château, au pied de la route de la Bergerie était sous l’eau, et les travaux de construction d’un nouveau bassin de rétention ont commencé.
Ces phénomènes de pluies violentes et d’inondations ne sont pas nouveaux. On circulait en barque dans Paris en 1910, et le zouave du pont de l’Alma –qui mesurait la hauteur des crues– avait bien souvent les pieds dans l’eau.
Cependant, je n’aborderai ici que la seule situation de Rambouillet au début du XXème siècle.
Un château d’eau
L’Yveline est un château d’eau (c’est le sens premier de sa toponymie médiévale). C’est un empilement de couches sédimentaires du tertiaire, qui forment un massif, entre la plaine de Beauce et la vallée de la Seine, d’une altitude moyenne de 100 à 200m. Il est creusé par de nombreuses vallées.
Rambouillet est proche du point de partage des eaux : à l’Est de la RN10 les vallées de la Rémarde et de l’Yvette conduisent leurs eaux vers l’Orge, puis la Seine en amont de Paris. Au nord, à partir des étangs de Hollande, la rivière royale aménagée sous Louis XIV les dirige vers les réservoirs de Versailles. A l’ouest, la vallée de la Vesgre rejoint l’Eure, puis la Seine en aval de Paris.
Enfin, au sud, les eaux de la Guéville, de la Guesle et de la Drouette se rejoignent à Epernon, et la Drouette les conduit à l’Eure puis à la Seine.
Au final, quel que soit le sens de la pente, et leur direction initiale, la totalité des eaux recueillies en Yveline finissent donc dans la Seine, en amont ou en aval de Paris.
Ramenons l’hydrographie à une simple question de plomberie.
L’eau circule, en surface et sous la terre, des points hauts aux points bas, sur les couches imperméables. Elle s’enfonce chaque fois qu’elle atteint une couche perméable non saturée d’eau. L’Yveline est un ensemble de réservoirs naturels ou artificiels, reliés par un réseau de tuyaux de diamètres variés. Si leur curage n’est pas effectué très régulièrement, leur diamètre se réduit, et leur débit chute. Et chaque rétrécissement est un goulot d’étranglement où risque de se produire un débordement. Quels que soient les travaux exécutés en amont, ils ne font qu’en déplacer le risque vers l’aval.
Nous nous limiterons ici à l’évocation de trois zones sensibles de Rambouillet : la plaine de Groussay, le parc du château, et à une moindre échelle, la rue Nationale.
Groussay
Point le plus bas de la commune, Groussay reçoit en sous-sol toutes les eaux de la région. On y trouvait jadis l’eau à 1.50m de profondeur. Le quartier était alimenté par un grand nombre de puits qui n’étaient jamais à sec.
Répondant aux sollicitations des lavandières de Rambouillet obligées d’aller à l’étang du Moulinet (en bordure actuelle de la RN10), Napoléon avait financé la construction d’un lavoir. L’architecte Mariaval, mandaté le 20 mai 1811, avait attiré l’attention de l’empereur sur les conséquences qui pourraient résulter de cette construction, en cas de fortes crues, et notamment en période de fonte des neiges.
« L’eau ne peut venir en abondance dans le cours actuel. Elle n’arrivera dans la rigole où seront les prises d’eau, que par le trop-plein de la superficie des étangs de Gruyer et de Coupe-Gorge appartenant à sa Majesté et par celui du Moulinet appartenant au particulier. Il est encore à observer que du dessus de la superficie de ces étangs au radier du pont de Penthièvre sur lequel doit se vider l’eau des lavoirs pour se perdre dans les canaux du château il n’y a de hauteur que 48 à 50 centimètres, qu’il est encore à observer que dans les crues d’eau et fonte des neige cette partie de terrain serait inondée si on ne donnait pas un grand cours à l’eau. »
L’écoulement devait se faire par ce que l’on appelait les égouts Napoléon qui n’ont, par la suite, jamais été utilisés.
Les années passent et le quartier de Groussay se développe. Le lavoir Napoléon est remplacé en 1832 par un nouveau lavoir, et l’étang reçoit en outre des eaux ménagères du quartier de la cavalerie. En cas de fortes pluies le quartier est inondé, et en 1906 l’agent voyer cantonal Lamarche, remet un rapport alarmant au maire Marie Roux :
« Il n’a pas été possible d’augmenter la pente du fossé actuel. En effet, on est tenu en aval par la hauteur du radier de l’aqueduc qui traverse le parc, en amont par le radier pavé qui s’étend dans le lavoir, et par défaut de pente du fossé d’amont dont les eaux arrivent déjà parfois à submerger les constructions riveraines. »
Les eaux s’écoulent alors à l’air libre dans des fossés pour rejoindre par un réseau d’égouts la rivière anglaise du parc du château.
Des considérations d’hygiène conduiront plus tard à remplacer ces fossés ouverts par un réseau de buses souterraines. La liste des inondations de Groussay prouvera qu’elles avaient été insuffisamment calibrées…
Je ne veux pas faire ici l’histoire de deux siècles d’investissements et des tentatives –pas toujours efficaces– pour mettre le quartier à l’abri des eaux.
La dernière étape a consisté dans l’aménagement de digues et de vannes en amont, dans les étangs (Coupe-Gorge y a perdu beaucoup de son charme!), dans l’élargissement de certaines buses (mais pas du réseau complet) et la construction d’un bassin de rétention enterré de 6000m3, non loin de l’hôpital, destiné à remplir le rôle que jouait autrefois l’étang de Groussay.
Le système semble avoir été efficace, puisque les fortes pluies de l’automne 2024 ont épargné le quartier.
Le parc du château
En 1908, lorsque le président Fallières séjourne à Rambouillet, il se plaint que « l’air est empesté d’odeurs nauséabondes ».
Une étude est aussitôt menée à bien et ses conclusions sont claires. Les 4/5èmes des eaux usées de Rambouillet –dont la population augmente régulièrement– se jettent dans les canaux, en provenance de l’égout municipal de la place de la Foire (place Félix Faure), de l’égout de la sous-préfecture, du lavoir, de l’égout de la mairie et de l’étang de Groussay (qui reçoit les eaux usées des établissements militaires: caserne de cavalerie et école des enfants de troupe).
Le Rondeau les recueille au premier niveau, et son trop-plein se déverse dans les canaux. Ceux ci, à leur tour, alimentent les rivières du jardin anglais, et, de cascade en cascade, les eaux sortent du parc pour atteindre la propriété Chiris (château de Guéville).
A chaque niveau ces eaux déposent des boues noirâtres au-dessus desquelles voltigent mouches et moustiques.
Les pièces d’eau du château n’ont pas été curées depuis plus d’un siècle. Une ordonnance royale avait bien été prise le 29 juin 1847, pour imposer un curage annuel, mais elle n’avait jamais été respectée. Un décret impérial pris le 12 novembre 1868 n’avait pas eu plus d’effet.
Au vu de cette étude, l’administration ordonne un curage général… mais l’abandonne en recevant le devis qui dépasse 150 000 francs.
Durant la guerre de 14-18 on projette d’y faire travailler des prisonniers de guerre mais le président Poincaré craint qu’on lui reproche d’utiliser pour sa résidence une main-d’œuvre qui ne doit être affectée qu’au bien public. Le projet est abandonné.
Certains font la remarque que le curage n’est pas une solution, car il faudrait le recommencer chaque année. On cherche donc une solution plus moderne.
Et on la trouve…
Un égout circulaire recueille les eaux en amont du Rondeau, et les déverse dans une fosse septique biologique à 3300 m de là, avant de les restituer, purifiées, à la Guéville. Le projet adopté ne coûta que 120 000 francs à l’Etat, et 115 000 francs à la ville (qui reçut une subvention de 75 000 francs prise sur les recettes du Pari Mutuel).
Cette installation, conçue par le docteur Calmette fonctionna parfaitement. Malheureusement, construite pour recevoir 200 m3 par jour, elle en recevait plus de 2000, le système n’ayant pas été prévu pour y recevoir seulement les eaux qui avaient besoin d’être purifiées.
Le parc s’est ainsi trouvé assaini. mais la propriété Chiris (le château de la Guéville) a hérité de sa pollution. En 1912, sa propriétaire engage donc un procès qui durera plus de 20 ans.
L’Etat reconnait sa responsabilité. Il multiplie les travaux, dresse des barrages, tente des dérivations, pose des vannes et des filtres, mais sans apporter de solution satisfaisante. En 1936 Mme Chiris poursuit toujours la ville pour obtenir le remboursement des frais de curetage qu’elle a dû entreprendre. Cependant, les travaux ayant été créés sur autorisation préfectorale, la ville réussit à en rejeter la responsabilité sur l’Etat. Il ne sera donc plus question de ce procès-fleuve dans les documents locaux, et je n’en ai pas trouvé la conclusion…
En ce moment, dans le parc, on enterre un bassin de rétention supplémentaire, pour que l’eau, en provenance de Groussay, dispose d’un volume de stockage intermédiaire.
La rue Nationale
Il faut aussi parler d’inondations bien moins graves, mais fort déplaisantes : celles qu’ont subies à plusieurs reprises les commerces de la rue Nationale (rue de Gaulle).
Tant que le plateau de Rambouillet était utilisé en terres agricoles, et les coteaux en vignes, le ruissellement était quasi inexistant.
Par la suite, quand le bâti s’est développé, les rues (rue d’Angiviller, ruelle et rue des Vignes) ont suivi l’axe de la rue Nationale, et la protégeaient donc.
Mais lorsque l’église a été déplacée, on a percé l’actuelle rue de la République en deux fois (1863 et 1869) et par temps de fortes pluies, la rue Nationale s’est retrouvée inondée. C’est le sable de pavage qui, entraîné par l’eau, venait obstruer les bouches d’égout, et « chiens ou chats crevés, boules de pain etc. ralentissaient encore l’évacuation. »
En septembre 1936 la ville se résigne donc à refaire tout le réseau d’égout de la rue Nationale (coût : 65 000 francs).
Une conclusion ?
Plusieurs points me semblent intéressants dans ces situations rambolitaines :
- d’abord on voit comment l’urbanisation, et le remplacement de l’existant naturel par des solutions artificielles posent de problèmes,
- on voit aussi que leurs inconvénients sont souvent reconnus dès l’origine, et que les dérèglements sont surtout dus à une absence d’entretien,
- et enfin ces exemples nous rappellent une règle physique évidente : dans un réseau, le débit est toujours limité par sa partie la plus étroite, et les travaux d’amélioration qui ne portent que sur une portion ne font que déplacer le problème sans le résoudre.
Un ingénieur des Ponts, M. Immel, dans son rapport « Sauvegarde des mares dans la région de Sermaise » rappelait :
« L’origine des mares, sauf quelques flaques naturelles, n’est pas due au hasard. Ce sont des création faites par les hommes. Elles ont été creusées et aménagées aux endroits favorables (points bas) pour recueillir et collecter les eaux de pluie, la neige, et les ruissellements provenant des alentours. Il ne faut pas les faire disparaître sous prétexte d’une meilleure urbanisation. En cas de grosses pluies, la mare, en collectant les eaux, évite les inondations de la façon la plus économique qui soit. Une mare est une création intelligente de l’homme, et elle vit ! Le béton et le bitume ne vivent pas. »
Christian Rouet
novembre 2024