Quand Rambouillet avait sa prison

Simon « le Suisse » est donc redevenu libre. Emprisonné depuis 5 ans à la prison de Rambouillet il vient de réussir une évasion spectaculaire, en prenant en otage le directeur de la prison. Ses complices l’ont amené à la gare de Gazeran d’où il a regagné Paris.

Ceci ne vous rappelle rien ? En 1970, le film « Le voyou » de Claude Lelouch a pourtant été un grand succès, servi par Jean-Louis Trintignant, Yves Robert, Aldo Maccione, ou encore Charles Denner et accompagné par une très belle musique de Francis Lai.

Outre quelques vues rapides de la région, on voit dans ce film quelques détails de la prison, qui vient d’être désaffectée, et sera démolie quelques mois après, pour être remplacée par l’actuel Hôtel des Finances. Voici quelques images du film :

Mais remontons les siècles …

Dans « lhommage et dénombrement » que le seigneur de Rambouillet, Regnault d’Angennes, rend le 6 juin 1399 à son suzerain Jehan de Craon, seigneur des Essarts, on trouve la description «  assis en bout de la ville de Rambouillet, devant ledit hôstel (il s’agit du château) une bassecourt en laquelle a une grange, deux cours d’éstable et un portail (…), une cohue ( halle ) pour tenir les plaids (les plaidoiries) et les assises en laquelle sont les prisons dudit lieu de Rambouillet ».

Le tribunal de Rambouillet, et la prison qui le jouxtait (ainsi que le pilori, à l’entrée de la place) existaient donc, au moins depuis le XIVème siècle, à proximité des Halles, de l’Eglise et du château.

Au fil des siècles, la ville prend de l’importance, et le 29 décembre 1783, Louis XVI acquiert le duché-pairie de Rambouillet. D’Angiviller, nommé gouverneur, est chargé d’acquérir entre 1784 et 1786 plusieurs terrains et bâtiments, afin d’embellir le domaine, poursuivant en cela les acquisitions réalisées par le Comte de Toulouse entre 1706 et 1727, et le duc de Penthièvre entre 1744 et 1745.

Ceci permet l’édification entre 1785 et 1787 d’un nouvel ensemble, comprenant baillage et prisons, dont la réalisation est confiée à l’architecte Jacques-Jean Thévenin.

Je ne décrirai pas ici ce bâtiment, devenu depuis la Mairie de Rambouillet, mais il est intéressant de relever l’utilisation de ses salles.

Situé devant la place où se tient alors un marché aux grains d’importance régionale, l’immeuble sert en grande partie au stockage et à l’organisation de ce marché.

Mais on y trouve, pour la Justice :

  • en entresol bas, une pièce pour entreposer les effets des prisonniers,
  • en étage, une salle d’audience, une chambre du conseil, trois cabinets et une salle précédée d’une antichambre,
  • sous les combles, une salle pour les archives du greffe,
  • et, communiquant par un escalier intérieur qui donne directement dans la salle d’audience, le bâtiment des prisons, sur deux niveaux.

Un premier plan prévoyait un bâtiment en L, et la prison aurait comporté une cour intérieure, avec un préau. Mais finalement ce dernier est surélevé d’un étage et devient une aile dans laquelle on ajoute trois cachots.

En 1790, la France est divisée en communes. Jacques Thiery, Procureur au Baillage, devient le premier maire de Rambouillet. C’est dans l’église qu’il est élu, avant de traverser la place pour prêter serment de fidélité sur le perron du baillage « à la Loi et au Roi. »

cette allée du parc longeait l’ancienne prison de Rambouillet

Durant les années suivantes, le baillage de Rambouillet accueille les locaux de la mairie – qui deviennent de plus en plus importants – tout en continuant à abriter le tribunal. Le bailli, pour sa part, installe son logement dans les locaux qui deviendront plus tard notre sous-préfecture.
Quant à la prison, elle connait divers aménagements, limités toutefois par le manque d’espace.

Le 24 mars 1809 Napoléon officialise la donation de l’immeuble du baillage à la ville, sans doute voulue par Louis XVI, mais dont les actes n’avaient pas été régularisés.

Paul Aubert note dans sa monographie communale que le 31 décembre 1864, il y a 42 détenus, dont 7 femmes, dans la prison de Rambouillet.

Il faudra attendre 1887 pour qu’un projet de rénovation de la prison, rendu nécessaire pour des questions de sécurité, mais surtout d’hygiène, soit sérieusement étudié par le Conseil Général, (cet investissement incombant au département et non à la ville) et plus de huit ans avant qu’il n’aboutisse.

Pourquoi de tels délais, à une époque où les projets ne connaissaient pas encore les complications et recours divers auxquels nous sommes aujourd’hui habitués ?

Un accord difficile

Voici les principales étapes de ce feuilleton à rebondissements. Leur liste peut sembler fastidieuse, mais elle nous renseigne sur le fonctionnement des institutions locales :

  • en août 1887, le Conseil Général prend en considération la demande de plusieurs conseillers, inquiets de l’insalubrité de la prison, et demande au Préfet d’étudier sa rénovation et/ou sa reconstruction, sur son emplacement actuel, ou ailleurs dans la ville.
  • avril 1888 : le préfet dépose ses conclusions. Il propose l’achat d’un terrain de 8400 M2 délimité par les rues du Moulin (rue Pasteur), Gambetta et de Grenonvilliers (rue du Mal Foch), et présente un devis de construction de 327 800 francs (environ 1 250 000€), pour la réalisation de
    • 25 cellules hommes,
    •   6 cellules femmes,
    •   2 cellules d’infirmerie pour hommes
    •   1 pour femmes,
    •   2 cellules de punition pour hommes
    •   1 pour femmes,     soit 37 cellules.

    Il est prévu en outre deux dortoirs de chacun 5 à 6 lits, et un atelier pour que les prisonniers puissent travailler.
    Cependant, la commission n’est pas convaincue, et propose d’ajourner le projet. En effet, il est question de réorganiser les tribunaux de France, et celui de Rambouillet pourrait très bien se voir fermé, ce qui réduirait considérablement l’intérêt de cette prison.

  • août 1888 : le Conseil Général, étudiant les conclusions de sa commission, considère au contraire que seule la rénovation de la prison pourra empêcher la fermeture du tribunal, et qu’il faut donc se hâter de la réaliser.
    Il souhaite toutefois limiter son investissement, et exprime donc le vœu suivant :

« le conseil général, considérant que la prison de Rambouillet est en si mauvais état qu’il ne semble pas qu’on puisse la réparer utilement, invite M. le Préfet à faire étudier un projet de reconstruction de ladite prison, plus économique que celui qui lui est présenté, tant au point de vue de l’emplacement que du bâtiment lui même ».

  •  27 avril 1889 : le Préfet remet à la commission un nouveau devis ramené à 294 000 francs.
    L’économie de 34 000 francs porte en grande partie sur l’achat des terrains, réduit de 8400 à 3000m2 ( au prix de 3 francs le m2 ) mais également sur le coût du bâtiment dont la largeur de la galerie cellulaire est ramenée de 5 à 4m, et la largeur des cellules de 2,5 à 2,30m, dimensions admises par l’Administration pour la prison de Pontoise.
  • 11 mai 1889 : le Conseil prend connaissance du rapport de la commission, mais refuse le projet :

« art 1er : Le projet de reconstruction de la maison d’arrêt de Rambouillet s’élevant à 294 000 fr et représentant 7 945,09 fr par détenu est rejeté.

art 2 : M. le Préfet est prié de faire étudier un projet de construction se renfermant dans une dépense de 3 000 fr par détenu. »

Les attendus de la décision montrent que l’aspiration à la décentralisation existait déjà en cette fin de siècle !

« – Considérant que le département s’est laissé entrainer à faire des constructions d’une dépense excessive pour le service des prisons en se soumettant aux exigences des fonctionnaires qui sont absolument étrangers au département et qui n’ont, en conséquence, aucun intérêt à ménager l’argent des contribuables;

– Considérant qu’au contraire le département, livré à lui-même, a su construire dans des conditions économiques et convenables des édifices destinés à recevoir des infirmes ou des malades incontestablement plus intéressants que les condamnés de droit commun;

– Considérant que si le département a pu construire des asiles sur le pied d’environ 1 500 fr par pensionnaire, il est parfaitement autorisé à se refuser de construire des prisons sur une dépense supérieure à 3 000 fr par détenu … »

  • 24 août 1891 : le Conseil Général décide de construire sur le même terrain, outre la nouvelle prison, un tribunal dont la façade sera rue Gambetta. Il communiquera directement avec la nouvelle prison, qui sera construite derrière lui, et aura son accès principal dans la rue du Moulin qui sera prolongée à cet effet.

Un budget de 15 000 francs (40 000 €) est voté pour l’achat global du terrain.

    • 7 novembre 1891 : le Conseil Municipal de Rambouillet accepte, afin de faciliter la réalisation de ce projet, de racheter pour 4 000 francs les terrains propriété du département, qui sont restés enclavés dans ceux dont Napoléon a fait don à la ville, et dont il n’aura plus d’usage.
  • 2 septembre 1892 : le Conseil Général approuve un projet final de 176 933 francs. Les achats de terrains se sont finalement élevés à 20 592 francs.
  •  
  • 22 avril 1893 : le projet, remanié à plusieurs reprises à la demande des Administrations concernées, est porté à 186 750 francs ( 700 000 € ). Une subvention de 47 861 francs étant accordée par l’Etat, le Département conserve donc à sa charge une dépense de 135 889 francs, et décide de lancer un emprunt de cette somme, en deux ans.

Le Conseil Général vote dans la même séance la construction du nouveau tribunal, pour 188 300 francs + 15 000 francs de mobilier, et lance un second emprunt de 200 000 francs pour le financer.

  • 27 mai 1893 : le Conseil Général informe la ville du lancement de l’adjudication pour les travaux, et s’engage à lui restituer les locaux actuellement occupés pour le tribunal et la prison sans indemnité, dès le transfert effectué.

Et c’est ainsi que le 1er mai 1895, M. Joliot, Président du Tribunal, prend enfin possession de l’immeuble réalisé par l’architecte départemental Albert Petit.

la prison cliché coll Ch&M Painvin retouché

La prison est opérationnelle dans les mois suivants.

La fin de la prison

En 1960, avec les changements de normes successifs, elle ne dispose plus que de 27 places, et emploie 8 surveillants.

Quelques années après, l’Administration pénitencière décide de la fermer de façon définitive.

Seule une porte, toujours visible dans le mur mitoyen, témoigne encore du passage qui existait entre le tribunal et la prison.

Quelques années après, l’actuel Centre des finances publiques est construit sur son emplacement.

Christian Rouet

Cet article a 3 commentaires

  1. Thierry Convert

    Merci pour cet article très intéressant sur la prison de Rambouillet .
    L’auteur a oublié de citer le tournage du Film d’Edouard Molinaro, « l’Emmerdeur « , avec Jacque Brel et Lino Ventura, dont la dernière scène a été tournée dans la cour de la prison en 1972.
    Plusieurs jeunes rambolitains avaient joué les figurants à cette occasion.

    Thierry Convert

    1. christian Rouet

      Merci de ce complément d’information. C’est un détail que j’ignorais.

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